A 75 ans, Jim Harrison signe un roman sublime de justesse
sur un flic en déclin. Une histoire humaine corsée sur la mort, l’amour et la
désillusion.
Depuis
« Légendes d’automne » à « La route du retour » en passant
par « Wolf », « Dalva », « En marge », « L’été
où il faillit mourir », l’univers de Jim Harrison est complexe. Rien n’y
est jamais définitivement dit. Rien n’y est jamais résolument décidé. Tout
flotte jusqu’au bout, et au-delà de la fin, pour raconter de simples passages
d’une vie, sur fond de crise identitaire, de dépression, de fin de cycle. Pour
Grand Maitre, dernier roman, indiqué par l’auteur lui-même comme un faux polar,
on fait connaissance avec Sunderson, un flic sur le retour, décapé, usé, las et
désabusé. Vieilli et dépassé par les êtres et les choses, à soixante-cinq ans, Sunderson
part dans quelques jours à la retraite. Sa carrière de policier est déjà
derrière lui. Mais il s’obstine à résoudre le dossier bizarre de Grand Maitre.
Non pas qu’il veuille en faire un dernier baroud d’honneur, mais il a juste
envie d’aller au bout de quelque chose, faute de mieux. L’affaire est pourtant
simple. Un chef de secte accusé de viol sur mineure. N’allons pas chercher des
indices, des preuves et une enquête hollywoodienne. Rien de tout cela n’intéresse
Jim Harrison. Le faux roman policier n’a même pas besoin de créer la tension,
par un pseudo suspense.
Contre l’oubli
Quand
l’auteur lance son « héros » derrière Grand maitre, c’est moins pour
capturer ce dernier que pour nous
montrer qui est Sunderson. C’est là où réside la force de l’écriture de
l’auteur de Faux-jour. Tout le
roman se construit alors sur la déprime d’un homme qui a fini de vivre. Il est
dans les arrêts de jeu, mais il n’y a plus ni spectateurs, ni enjeux, ni
intérêt à ce que cette partie aille au bout. Pourtant, comme une fatalité, il
faut aller de l’avant, vers où ? Peu importe. Mais aller, bouger, se
mouvoir, créer de l’air, faire du bruit, respirer, tenir haleine.
C’est
finalement pour ne pas capituler devant soi qu’il est indiqué qu’il faut finir
le job. En route, on ne sait jamais sur quoi on tombe. Sunderson, qui est aussi
un peu Jim Harrison, qui flirte avec les 80 ans, sait quelque part qu’il peut
donner un nouveau sens à son existence. Quand le flic croise le chemin de Mona,
une jeune voisine, très spéciale,
et porté sur la nudité, son regard
rincé aux contours érotiques de la jeune femme, sait qu’à coté de sa passion
pour la truite qu’il pêche dans les rivière alentour, Mona est le clef pour
faire tomber les défenses de la vieillesse, et reprendre goût à autre chose. Et
pourquoi pas l’amour ?
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