lundi 10 juillet 2017

Interview de Abdelhak Najib, écrivain et journaliste




Vous venez de publier un nouveau livre « Ce que m’ont dit les peintres… ». Pouvez-vous nous parler de cette expérience littéraire?

Absolument. Le livre porte le titre: "Ce que m'ont dit les peintres".  C’est un voyage à travers les oeuvres picturales de 13 peintres majeurs du Maroc. Une analyse et une lecture de leurs univers multiples, à travers l'évolution de leurs travaux durant plus de 50 ans.  De Farid Belkahia à Karim Marrakchi en passant par des figures comme Mohamed Kacimi, Aissa Ikken, Miloud Lebied, Saâd Hassani, Hossein Tallal, Bill West, Mahi Binebine, Omar Bouragba, Bouchta El Hayani, Abdelhay El Mellakh, El Houssaine Mimouni et d'autres grands noms qui ont écrit l'histoire de la peinture au Maroc. C’est aussi un choix de traiter des travaux de tel ou tel peintre et de ne pas aborder d’autres artistes tout aussi importants au Maroc.  Le procédé est simple. Pour moi, il s’agit de parler des peintures qui me touchent, des peintres qui me parlent, des toiles qui me font réfléchir, qui appellent en moi ce besoin d’en parler, cet impératif d’écrire pour les accompagner et donner d’elles une vision, une approche, des points de vue.
Je parle de peintres que j’ai connus, dans leur vie de tous les jours, d’artistes qui ont été des amis et qui ont disparu. Je pense à Mohamed Kacimi, à Miloud Lebied, à Farid Belkahia et à Aissa Ikken. Nous nous sommes souvent vus.  Je parle aussi d’autres figures telles que Saâd Hassani, Omar Bouragba, Bouchta El Hayani, Abdelhay Mellakh, Bill West, Mahi Binebine, El Houssaine Mimouni, Houcein Tallal qui sont aussi des amis, avec qui j’ai d’autres partages, d’autres échanges sur leurs carrières, leurs évolutions, leurs différentes visions du monde.  Bref, en connaissant les hommes, j’ai aussi eu des clefs de lecture pour leurs travaux, à différents degrés. C’est ce que je tente de faire ressortir dans cet essai. Aborder la peinture à travers l’homme et inversement. Trouver dans la vie ce qui explique telle époque, telle variation sur le même thème, tel virage à 360 degrés. Puiser dans les jours ce qui a donné corps à toutes ces réflexions sur soi, sur nous, sur l’humain en nous, à travers les doutes, les questionnements, les hésitations, les essais, les expériences et les arrêts.



Ce livre est édité par une nouvelle maison d'édition « Orion ». Qui est cet éditeur ? Et pourquoi avez-vous choisi cette maison ?

Orion est une nouvelle maison d’édition qui a de très grandes ambitions. Dans un paysage littéraire où l’édition est le parent pauvre en terme de visibilité, de diffusion et de retombées critiques et médiatiques, la naissance d’une nouvelle structure, qui obéit à des standards internationaux, avec des connexions internationales, pour diffuser et distribuer les livres marocains ailleurs, est une bonne nouvelle.  Orion Editions veut faire connaitre les auteurs marocains au niveau mondial. Elle veut leur donner la chance d’aller rencontrer d’autres lecteurs, un peu partout dans le monde. Orion Editions à des relais en Europe, au Moyen Orient et en Amérique du Nord (USA et Canada) pour la traduction, les salons de livres, les grandes messes dédiées à la littérature et aux livres d’arts, avec au plusieurs collections toutes dirigées par des Marocains: Poésie, Roman, Arts plastiques, Sciences Humaines, l’islam en Question, Biographèmes et les grands entretiens, sans oublier bien sûr les livres d’art.  C’est ce qui m’a décidé de signer un contrat de 10 ans avec mes nouveaux éditeurs pour dix ouvrages. 

Comment s’est déroulé le processus de l’édition ?

Comme vous le savez, j’ai de nombreux romans achevés, des essais, des enquêtes, plusieurs ouvrages sur des sujets divers comme la peine de mort, le terrorisme et l’art. J’ai présenté mes travaux et ils ont été acceptés par un comité de lecture. Vous savez cette maison d’édition qui vient de signer son acte de  naissance, travaille depuis 2 ans sur ce grand chantier, avec de grands moyens et de très grandes ambitions. J’ai rencontré les membres de ce comité de lecture, ici au Maroc, puis en France et au Canada. Nous nous sommes entendus d’abord d’un point de vue humain avant d’être d’accord  au niveau éditorial.  C’est très important pour les deux parties. Partant de là, les choses se sont très vite enclenchées et des personnes de grande valeur ont rejoint la maison pour des livres de choix. Orion Editions réserve de grandes surprises aux amoureux du livre et de la littérature au Maroc. Bientôt de grandes figures de la littérature marocaine et mondiale vont être publiées par Orion Editions et je suis heureux de faire partie de cette aventure avec des noms aussi prestigieux.


Comment qualifiez-vous les conditions économiques de l’édition au Maroc ?

L’édition se porte très mal au Maroc. Ce n’est un secret pour personne. Les professionnels du secteur ne cessent de le repeater, et ce, depuis de longues années. Les éditeurs luttent au quotidien pour ne pas mettre la clef sous le paillasson, on le sait. Les Marocains ne lisent pas et les chiffres sont terribles à ce niveau, faut-il encore le rappeler! C’est une catastrophe le rapport du Marocain au livre. On n’achète pas de livres. On ne lit pas de livres. Rares, très rares sont les passsionnés de la lecture, les amoureux des livres, les aficionados. Les auteurs ne vivent pas de leurs livres, cela aussi on le sait.  Les livres sont mal diffusés. Une distribution bancale et qui laisse à désirer. On ne retrouve pas des livres partout au Maroc. Cela est généralement concentré dans les grandes villes, avec un axe connu: Casa-Rabat-Tanger-Marrakech. Des régions entières sont oubliées, marginalisées. Ce sont là les réalités que tout le monde connait et dont on parle depuis longtemps. C’est affligeant et décourageant pour de nombreux auteurs. Certains sont tellement dégoûtés qu’ils ne publient plus.



En général, comment l’édition se porte-t-elle au Maroc ?

Encore une fois, je le dis, cela va très, très mal. Il y a du pain sur la planche. L’urgence pour moi est de faire du livre un réel projet de société. Cela ne peut se faire que si le livre et l’édition sont soutenus par les politiques. Il nous faut prendre conscience que la culture est un réel levier de développement tout aussi puissant que l’industrie et le tourisme. Il faut investir dans l’art, dans la culture, dans les intellectuels, leur donner de la visibilité, leur créer de véritables conditions de travail et d’édition pour que leur travaux touchent le plus grand nombre, chacun dans son domaine.  Sans cela, on tourne en rond, on balance des slogans et rien ne change. Il faut surtout éduquer les générations futures pour aimer lire, aimer les livres, aller aux librairies, fréquenter les bibliothèques, aller dans des musées, passer du temps dans des galeries d’art…

Selon vous, quel avenir pour l’édition au Maroc?

Si on n’en fait pas une priorité politique, c’est fichu d’avance. Les éditeurs font ce qu’ils peuvent. Ils travaillent, ils résistant, mais jusqu’à quand? Il y a aussi le ministère de la Culture qui fait des efforts  avec des fonds d’aide à l’édition et aux artistes, mais ce n’est pas suffisant. Il faut plus. Le privé doit s’investir et investir pour faire de la culture au Maroc un grand projet de société.

Avez-vous envie d’écrire un autre livre ? Si oui, quel sujet vous inspire? 
Les sujets sont nombreux. Ce n’est pas ce qui manque. J’ai déjà signé pour dix livres pour les dix prochaines années avec Orion Editions. J’ai mes ouvrages sur le Couloir de la mort qui vont sortir en deux tomes sous le titre: “Vivre dans le couloir de la mort”. Une série de portraits sur de nombreuses figures du crime au Maroc que j’ai réalisés au sein du couloir de la mort dans la prison centrale de Kénitra.  J’ai aussi mes travaux sur le terrorisme qui vont voir le jour.  Le fruit de plus de 17 ans de recherches, d’enquêtes et de documentation sur un sujet très actuel pour lequel j’ai mené des investigations dans de nombreux pays dans le monde. Mes écrits sur l’art et le cinéma. Et une bonne dizaine de romans don’t le prochain qui ferme ma trilogie casablancaise, après “Les territoires de dieu” et “Le printemps des feuilles qui tombent”. Après Hay Mohammadi, l’ancienne médina, c’est le tour d’Anfa de servir d’ancrage géographique à mon roman qui sort dans les prochaines semaines. 

Un dernier mot ?


Longue vie au livre et aux auteurs.

“Ce que m’ont dit les peintres…” de Abdelhak Najib

Peinture de l’humain




Après deux romans à succès, Abdelhak Najib sort son premier livre en tant que critique d’art. “Ce que m’ont dit les peintres…”, édité par Orion Editions, est une plongée dans les univers multiples de treize peintres majeurs au Maroc. Lecture.

Dans la préface de “Ce que m’ont dit les peintres…”, signée  par le critique d’art et commissaire d’exposition, Mohamed Rachdi, nous avons déjà une  idée sur l’approche de Abdelhak Najib dans cet ouvrage dédié à quelques grandes figures des Arts plastiques au Maroc: "Si ce livre n’est pas celui d’un spécialiste,  Abdelhak Najib ne s’est toutefois pas aventuré dans l’écriture sans s’être armé de lectures adéquates. En effet, il est bien clair que chaque traitement d’un artiste passe d’abord par  la réunion d’une documentation et la lecture d’une importante bibliographie avant de s’engager dans la rédaction. Par conséquent, sa réflexion et son écriture se retrouvent fécondées par ses diverses lectures. Ce qui fait apparaitre dans l’ouvrage de Abdelhak Najib un principe rédactionnel qui consiste à entrelacer et métisser en impliquant maintes citations sa propre écriture avec celles des autres auteurs et des propos d’artistes glanés ici et là dans des catalogues d’expositions ou à travers des conversations menées directement avec eux.

En effet, "Ce que m'ont dit les peintres" est un voyage à travers les oeuvres picturales de 13 peintres majeurs du Maroc. Une analyse et une lecture de leurs univers multiples, à travers l'évolution de leurs travaux durant plus de 50 ans.  De Farid Belkahia à Karim Marrakchi en passant par des figures comme Mohamed Kacimi, Aissa Ikken, Miloud Lebied, Saâd Hassani, Hossein Tallal, Bill West, Mahi Binebine, Omar Bouragba, Bouchta El Hayani, Abdelhay El Mellakh, El Houssaine Mimouni et d'autres grands noms qui ont écrit l'histoire de la peinture au Maroc. Pour Abdelhak Najib, c’est aussi un choix de traiter des travaux de tel ou tel peintre et de ne pas aborder d’autres artistes tout aussi importants au Maroc.  Le procédé est simple. “Pour moi, il s’agit de parler des peintures qui me touchent, des peintres qui me parlent, des toiles qui me font réfléchir, qui appellent en moi ce besoin d’en parler, cet impératif d’écrire pour les accompagner et donner d’elles une vision, une approche, des points de vue.”

Abdelhak Najib parle de peintres qu’il a connus, dans leur vie de tous les jours, d’artistes qui ont été ses amis et qui ont disparu. On pense à Mohamed Kacimi, à Miloud Lebied, à Farid Belkahia et à Aissa Ikken avec lequel l’auteur travaillait déjà sur un livre entre péosie et peinture. Abdelhak Najib parle aussi d’autres figures telles que Saâd Hassani, Omar Bouragba, Bouchta El Hayani, Abdelhay Mellakh, Bill West, Mahi Binebine, Karim Marrakchi, El Houssaine Mimouni, Houcein Tallal qui sont aussi ses amis, avec qui il a d’autres partages, d’autres échanges sur leurs carrières, leurs évolutions, leurs différentes visions du monde.  Bref, en connaissant les hommes, il a aussi eu des clefs de lecture pour leurs travaux, à différents degrés. “C’est ce que je tente de faire ressortir dans cet essai. Aborder la peinture à travers l’homme et inversement. Trouver dans la vie ce qui explique telle époque, telle variation sur le même thème, tel virage à 360 degrés. Puiser dans les jours ce qui a donné corps à toutes ces réflexions sur soi, sur nous, sur l’humain en nous, à travers les doutes, les questionnements, les hésitations, les essais, les expériences et les arrêts.”, précise Abdelhak Najib.

Le propos de l’auteur fait echo à celui de Mohamed Rachdi qui souligne que “ce n’est qu’à force de fréquenter les artistes étudiés, d’écouter attentivement  leurs propos, de lire différents  écrits sur eux, etc. que l’auteur forge sa sensibilité et affine son ressenti, aiguise sa pensée et libère son écriture. Une écriture suffisamment avisée donc pour conduire son lecteur dans les méandres de chacun des univers  artistiques examinés.".  Ces différents textes qui se baladent d’un univers à l’autre sont tous soustendus par le même souci d’être au plus près de l’humain. L’auteur insiste sur des thémétiques  comme l’érotisme, le désir, l’humain, le dépassement de soi, la résistance, le questionnement permament de notre propre existence pour créer un fil d’Ariane entre ces treize peintres traits dans cet ouvrage, bien documenté et qui s’appuie sur les analyses  d’autres critqiues d’art qui ont travaillé sur les memes peintres.

Dans son post-scriptum, l’écrivain Mounir Serhani insiste sur le fait que Le livre de Abdelhak Najib s’inscrit dans la tradition moderne du paragone qui désigne les interférences heureuses entre arts et lettres. La littérature s’invite dans l’enceinte des arts visuels et le texte se lit intimement grâce à l’image. Cet échange se concrétise dans les entretiens que Abdelhak Najib a entrepris avec ses amis peintres, ses alliés substantiels pour reprendre son expression de prédilection. A l’issue d’une telle conversation l’écrivain ne s’empêche pas dans des textes où la critique d’art se mêle à l’analyse littéraire et philosophique, de parler d’artistes qui l’ont touché et de nous dire ce qu’il en pense, ce qui l’a nourri. Loin du pragmatisme répugnant, Abdelhak Najib a fait le choix, nous dit-il, de « traiter des travaux de tel ou tel peintre et de ne pas aborder d’autres artistes tout aussi importants au Maroc. » Car il écrit par et pour le plaisir. Une raison toute simple qui se niche derrière cet immense projet esthétique. Ne vaut-il pas mieux accompagner une œuvre qui nous fait réfléchir que d’écrire sur commande, sans âme et surtout sans volonté.  
“Ce que m’ont dit les peintres…” est le ptemier volume d’un triptyque dans lequel Abdelhak Najib traite de 40 artistes marocains, toutes générations confondues. On peut d’ores et déjà announcer que le tome 2 comporte des analyses des oeuvres de peintres comme Saâd Bencheffaj, Fouad Bellamine, Khadija Tnana, Abderrahim Iqbi et d’autres.

  



“Ce que m’ont dit les peintres…”. Editions Orion. 284 pages. 180 dhs.

“Ce que m’ont dit les peintres…” de Abdelhak Najib







 “Ce que m’ont dit les peintres…” est le nouveau livre de l’écrivain, journaliste, chroniqueur et animateur-télé, Abdelhak Najib. C’est le premier tome d’une série de sept consacrés aux artistes majeures de l’histoire des Arts Plastiques au Maroc.
Treize peintres, toutes époques et générations confondues. Treize univers différents mais qui ont comme point commun le trairement de l’humain dans leurs travaux à travers les périodes picturales successives. On retrouve des visages importants de l’histoire des Arts plastiques au Maroc, des figures qui nous ont quitté comme Farid Belkahia, Mohamed Kacimi, Miloud Lebied et Aissa Ikken. Ce sont là des peintres qui ont  donné corps à des oeuvres solides, cohérentes, construites durant au moins 5 décennies. Ensuite nous avons dans “Ce que m’ont dit les peintres…” de Najib Abdelhak d’autres noms qui apportent aujourd’hui à la peinture marocain de nouveaux regards, de nouvelles approaches tant au niveau des techniques que des thématqiues décliénes en couleurs et en formes. Bouchta El Hayani, Hossein Tallal, Saâd Hassani, Mahi Binebine, Karim Marrakchi, Bill West, Abdelhay Mellakh, Omar Bouragba et  El Houssaine Mimouni. Chacun son univers. Chacun ses techniques, ses proccupations humaines et existentielles. Mais un dénominateur commun: la peinture de l’humain, la présence du dépassement de soi, l’ancrage dans l’histoire sans oublier des themes comme l’amour, le désir, l’érotisme, l’hérmétisme et la spiritualité.  

Pour l’auteur, Abdelhak Najib, les choses sont simples quand on lui pose la question du choix de ces treize premiers artistes: “Le choix des 13 premiers peintres que je traite dans “Ce que m’ont dit les peintres…”, est clair. C’est là une série d’artistes qui fait partie d’un ensemble de 100 plasticiens, que je considère comme importants dans l’histoire des arts au Maroc. J’ai travaillé sur le sens de l’humain chez ces peintres, leurs différents rapports à l’Homme, à l’existence, à la vie, à la création, à l’amour, à la femme, au corps et au désir. Ce sont des thématiques que j’ai développées, toutes issues de mes observations, mes recherches, mes entretiens pour donner corps à un ouvrage homogène et cohérent.” Cette cohérence, on la sent au fil des pages. D’un peintre à l’autre, on suit le chminement des artistes, à travers  plusieurs périodes qui ont façonné leurs reagrds sur leurs propres travaux. Najib Abdelhak commente, cite d’autres critiques d’art et analystes,  revient sur l’histoire de l’art, s’appuie  sur un travail d’accompagnement, fruit de plusieurs années de travail et de recherches, d’une exposition à une autre, d’une rencontre à l’autre, d’une visite d’atelier à une autre, toujours avec le souci de ne jamais comparer les artistes entre eux.   En effet, à aucun moment Abdelhak Najib ne compare Belkahia à Hassani ou Binebine à Bill West ou encore Tallal à Marrakchi. Chaque peintre est traité dans son univers, avec une approche profonde qui va à l’essentiel, souligne la force du propos, la maîtrise des techniques et ce regard philosophique sur l’Homme dans ces multiples manifestations.
Comme le souligne le critique d’art, Mohamed Rachdi, qui signe la préface de cet ouvrage: "Avec ce livre Abdelhak Najib nous convie à entrer dans une partie de l’expression picturale marocaine à travers treize portes qui donnent accès à treize figures de la peinture moderne et contemporaine de différentes générations, dont certaines sont décédées et d’autres toujours en activité et dont le point commun se trouve sans doute dans l’intérêt qu’elles portent toutes au corps et à la matière, au temps et à l’espace, à la trace et au signe..."  Ecrit dans une langue maîtrisée, alliant poésie et lyrisme, analyses et commentaire, “Ce que m’ont dit les peintres… “ vient enrichir les Arts plastiques au Maroc avec une série d’études qui ouvrent la voie à deux tomes bien fournis, avec d’autres grands artistes marocains à l’honneur.

Ce que m’ont dit les peintres… Abdelhak Najib. Orion Editions. 2017. 180 dhs.


mercredi 23 septembre 2015

« Les territoires de Dieu », roman de Abdelhak Najib, Al Bayane De l’universalité des valeurs humaines Par Hajar El Alaoui, professeur de l’Histoire de l’art et des styles

« Les territoires de Dieu », roman de Abdelhak Najib, Al Bayane

De l’universalité des valeurs humaines

Par Hajar El Alaoui, professeur de l’Histoire de l’art et des styles






Le roman de Abdelhak Najib s’intitule LES TERRITOIRES DE DIEU, un titre dans sa forme  métaphorique, a résumé en deux mots la multitude de péripéties qui se passent dans le récit tout en conservant leur portée allusive et symbolique d’une part, de l’autre, a suggéré cette tension qui anime le texte par la juxtaposition de deux éléments porteurs d’une bipolarité dichotomique : les territoires et dieu, le créé et le créateur. Bien entendu on se rend compte de cela après la lecture du roman, aidé par une décortication minutieuse de tous les détails physiques et de toutes les nuances émotionnelles des personnages qui portent ce roman, une tâche que l’auteur a su mener à bien jusqu’au point final.
Les péripéties qui se passent à Hay Mohammadi à Casablanca, constituent une petite échelle temporelle, relatant une quarantaine de vie de l’auteur-narrateur dans les années 70 du siècle passé. ABDELHAK Najib porte en lui « le temps et l’espace » si bien que dans ce roman où l’autobiographie et la fiction se mêlent, il va glaner dans sa vie, dans ses rêves et ses fantasmes, dans ses méditations et ses blasphèmes, dans ses temples et ses prières amoureuses, de quoi aborder les grands questionnements d’un homme en devenir, à savoir, Qu’est-ce être un homme ?  Qu’est-ce qu’un saint ? Qu’est-ce que la mort ? Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que la divinité ?
Bien évidemment chaque questionnement porte un ensemble de petits fragments d’histoires, dont les péripéties sont, à première vue indépendantes, les unes des autres. Leurs faits ne s’inscrivent certes pas dans une linéarité, ni dans une démarche littéraire qui obéit à un schéma narratif  classique, ils constituent, toutefois, un ensemble de micro récits imbriqués. Et la beauté du texte, réside dans la réussite de deux défis majeurs par l’auteur. D’un point de vue esthétique, il a su allier la démarche littéraire du fragmentaire à l’unité du récit. D’un point de vue du contenu, il a réussi à inscrire les comportements, les réactions, les émotions d’un certain nombre de personnages qui peuplent cette « colline » à Hay Mohammadi, dans l’universalité des valeurs humaines à travers les questionnements ontologiques posées par l’auteur dans le texte.
Notons que la sensibilité de l’auteur, sa démarche esthétique et le contenu du récit, correspondent à la même dynamique esthétique et philosophique des auteurs qui habitent en épigraphe ou entre les lignes, le récit. En effet, Rimbaud, Sade, Goethe, Lautréamont, Blake, ou les autres ont ceci de commun : une assomption d’une étrangeté et une sensibilité qui s’inscrit dans une démarche disloquante, une démarche qui s’élève contre un conformisme, une esthétique, une philosophie, une spiritualité linéaire et totalisante. L’auteur, dans sa démarche inspirée de celle de ces auteurs, a voulu pour son roman, une « somme des soustractions », une multitude de fragments, « des petites images disloquées», des territoires où religion, hérésie, manipulation, profanation, us et coutumes imposants, conservatisme et transgressions, où tous ces éléments vont créer des situations à première vue hétérogènes, parfois même surréalistes mais qui savent cohabiter, créant malgré tout une homogénéité, car les liens sont sous terrains et dissimulés  certes, mais ils sont bien là.
Les TERRITOIRES DE DIEU raconte de bien rudes tribulations. Toutes ces disputes entre adultes et adultes, adultes et enfants, enfants et enfants, hommes et animaux, animaux et animaux, constituent une violence, bien qu’intériorisée par l’auteur, trouve toujours une issue pour se révéler à travers des visions semblable à celle-ci: « je me suis vu dans un long couloir noir, au sol glissant (…) en train de ramper (…) craignant de tomber sur un reptile ou une bête féroce qui m’engloutirait vivant. (…) j’ai vu le quartier en feu, les femmes à poil et des hommes, toutes verges dehors, en train de leur courir derrière dans une orgie ensanglantée (…). Ce sont là, des visions qui expriment l’âpre constat d’une évanescence du bien dans les territoires de Hay Mohammadi, mais aussi dans les territoires intérieurs du narrateur. C’est ainsi qu’il invoque une autre vision en disant : « (…) J’ai vu le fqih de la mosquée Al Khair (le Bien), ivre mort, arrêté par les flics (…)» 
Dans LES TERRITOIRES DE DIEU, le bien et le mal sont dans une lutte permanente, à l’instar de l’amour et de la haine, des croyances et des hérésies, de la vie et de la mort. Toutes ces dichotomies, ajoutées à tous les propos oxymoriques, dans le texte : le Styx et le paradis, les litanies et le lyrisme coranique, l’amour et la mort, etc. énoncent une grande tension dans le récit de l’auteur et dans la vie du narrateur. Ce dernier est allé jusqu’à donner à cette tension une allusion chromatique en intégrant une symbolique du rouge et du bleu. Le rouge du désir, de tension sexuelle, le rouge de la vive colère des yeux de l’auteur, ou celui de la terre qui cache le secret de la terre, par opposition au bleu, la « marque de distinction », celui du ciel, du septième ciel dans son sens érotique, de l’affranchissement, « le bleu de l’eau quand le visage de l’amour s’y reflète » ou le bleu de dieu.
Dieu ? Qu’en est-il de cette présence phénoménale, incommensurable, qui fait les deux parenthèses de tout le récit et des quarante ans de vie du narrateur? Si le roman comporte un ensemble de grands questionnements sur l’amour, la mort, les rapports humains, la révolte et bien d’autres thèmes de ce genre, celui sur dieu, n’en est pas un. Le narrateur, ce « frère en dieu », a arrêté de se questionner à son propos dès qu’il a compris, très tôt d’ailleurs, que c’est un dieu « oisif, attentiste, démissionnaire, contemplant le désastre subliminal de la création ».
Aussi, dieu est-il placé, presque malgré lui, par le narrateur dès la première page. Il est placé dans la vie de chacun des personnages du roman, de celle de Brahim, de Ayoub, de Raouf et de tous les autres. Il est placé dans leur moindre fait, dans la plus infime nuance de leurs émotions. Le narrateur ne le lâche pas, il  s’accroche à lui, à sa présence presque forcée, comme une moule s’accroche à son rocher. Il s’accroche à lui  pour mieux le transgresser, pour être son égal par la force de l’amour et puis le surpasser. Il s’accroche à lui pour mieux effacer son visage. Il s’accroche à lui pour pouvoir substituer son visage à celui de toutes les divinités qui ont été plus clémentes comme celle de son père, de Malika, de Bach et de tous les autres. Il s’accroche parce que le narrateur et dieu, représentent l’archétype même de toutes les oppositions, de toutes les dichotomies et de tous les oxymores du roman.
Cependant dès lors que la tension est à son paroxysme, un indéniable relâchement s’ensuit, une délivrance par l’amour ou par la mort se réalise. Deux issues qui s’entremêlent et s’imbriquent, car la mort dans LES TERRITOIRES DE DIEU est tant de fois liée à l’érotisme. Les corps, dans les deux conditions (de mort ou de petite mort), en agonie ou en extase, aspirent à un état d’apathie, à un état d’élimination de tension. Un état indispensable qui permet au narrateur de poursuivre son pèlerinage dans ses sentiers intérieurs, un besoin de relâchement et de décontraction qu’il résume ainsi: «mourir à moi-même à mainte reprise pour essayer toutes les renaissances ».

Si dieu ne lui a été d’aucun secours en dépit de ses présences imposantes, c’est bien l’amour et le désir qui ont « joué en sa faveur ». L’amour dans la vie du narrateur est une sorte de mécanisme de défense intuitif, qu’il a compris de lui-même et très tôt. Quand il nous rapporte ceci « je n’ai jamais cessé d’aimer, pas un instant, pas l’ombre d’une seconde dans ma vie sans amour », on comprend aussi que l’amour et la souffrance dans la vie du narrateur, sont les deux faces de la même pièce. Si «L’amour va au-delà du temps et de la vie », c’est qu’il défie la douleur qui se complait à maintenir les êtres malmenés en vie, en pleine conscience de leur souffrance. Et s’il est bien des fois, vécu par le narrateur dans son aspect le plus mystique, où les étreintes sont comparées à une prière et où l’odeur est comparée à celle du temple religieux, c’est que le narrateur et dieu se croisent bel et bien, ils se croisent mais ne cohabitent jamais.