jeudi 23 avril 2015

Parution : « Les territoires de Dieu » d’Abdelhak Najib






Les éditions Les Infréquentables viennent de publier: «Les territoires de Dieu», le premier roman de Abdelhak Najib. Ancré dans le coeur de la vie marocaine, c’est le roman d’une ville. Plus précisément d’un quartier, qui est un haut lieu de l’imaginaire marocain: Hay Mohammadi, avec sa cohorte de visages, son poids historique et sa place dans le paysage humain marocain. “Les territoires de Dieu” est un roman très particulier à plus d’un égard. D’abord la narration y suit des sinuosités dictées uniquement par les personnages.  Ces derniers sont nombreux, et pour certains, sont des figures archétypales qui en dissent long sur la variété humaine d’un quartier, d’une ville, voire d’un pays entier. Ensuite, le sens même du livre est de suivre les pas de plusieurs personnages, à travers leurs désirs, leurs rêves, leurs désillusions et leur volonté de tout dépasser. Roman  drôle, ironique, c’est aussi un témoignage à vif d’une époque douloureuse de l’histoire récente du Maroc. Abdelhak Najib y alterne lyrisme, reportage, narration débridée et dialogues décalés, parfois absurdes, le tout dans une féérie de langage, où l’on sent les influences d’une certaine littérature américaine. “Les territoires de Dieu” fait aussi le solde de tout compte d’une vision d’un certain Maroc, sans compromis, sans concession et sans la moindre amertume.  Au contraire, on rit beaucoup en lisant ces pages aux envolées ironiques stridentes.



Les territoires de Dieu. Abdelhak Najib. Editions Les Infréquentables. Avril 2015. 80 dhs

dimanche 19 avril 2015

Portrait hommage: Günter Grass : une voix du siècle s’est tue

Le grand écrivain allemand, Günter Grass, est décédé le 13 avril 2015. Il avait 87 ans. L’auteur du Tambour, prix Nobel en 1999 était un homme engagé, un polémiste, toujours rangé du côté des “perdants”. 





Günter Grass n’aimait pas l’Allemagne. Un Allemand qui n’aime pas la sainte patrie, cela rappelle un autre immense nom germanique, celui de Friedrich Nietzsche.  Pourquoi un  tel désamour, pour l’une des figures majeures des lettres allemandes au même titre que Heinrich Böll, Thomas Mann ou encore l’immense Hermann Hesse, par exemple? Il y a certes le nazisme, auquel il a pourtant appartenu jeune, lui le natif de 1927 ; le poids de la guerre, la division des deux Allemagnes, la dérive politique entre gauche et droite, lui, Günter Grasse, qui était très proches de figures politiques comme Willy Brandt et Gerhard Schröder, deux grands chanceliers qui tendaient l’oreille pour écouter les conseils d’un sage toujours révolté, un brin provocateur, éternel insatisfait.  Face à la guerre, il a eu cette phrase lancinanate, qui revient comme un couperet : “ La guerre m'a laissé la conscience très nette que mon existence ne tient qu'au hasard.” La fin des rêves, la mort, le désastre de l’après-guerre, le mur de Berlin et la mise sur pied de deux entités fratricides, incestueuses, deux patries, ennemeis, avec un seul et même peuple: « Nous, les enfants aux doigts brûlés, avons répudié le noir et blanc, et sommes devenus les rejetons du scepticisme, les adeptes de toutes les nuances du gris.” De ce marasme sort un chef d’ouevre, le Tambour. Plus tard, cet immense pavé, aux consonances infernales, sera adapté au cinéma par Volker Schlöndorff et aura une Palme d’or à Cannes en 1979. Suivront d’autres grands titres, moins clossaux  que le Tambour, mais avec la même puissance verbale, le même engagement, ce regard sans compromise sur le monde d’aujourd’hui et sur ses faillites à tous les niveaux. Le chat et la souris, Les années de chien, Le Turbot, L’appel du crapaud, Mon siècle, En crabe et d’autres grands livres, qui marquent la particularité d’un auteur, habité par la langue, au plus près de lui-même, de ses origines, lui, le natif de Danzic et mort à Lübeck.  Günter Grass était ironique face à tous ce qui faisait mal aux sociétés modernes. Un style mordant pour dire le non-dit et surtout ne pas laisser le hazard ronger advantage la capacité humaine de résistance. Résistance face au mal, aux catastrophes idéologiques et aux injustices. C’est dans ce sens, qu’il a un jour dit au grand écrivain israélien, Amos Oz, qu’il n’avait rien, lui l’Allemand, contre les Juifs ni Israël, mais qu’il ne pouvait en aucun cas cautioner, de quelque manière que se soit, la politique menée par les dirigeants israéliens contre les Palestiniens. C’est dans ce sens qu’il était toujours du côté des “perdants”.  Günter Grass était sans complaisance aucune, et surtout pas avec lui-même: « Nous avons eu tort. J'ai eu tort. D'abandonner ce pan d'histoire à la droite et à des groupes de nostalgiques. La gauche a fait l'erreur de prendre les gens pour des idiots. Comme si les ouvriers des chantiers navals, qui acclamaient Hitler en 1935, n'étaient pas les mêmes qui avaient voté rouge quelques années plus tôt. Comme s'il n'y avait pas, dans le nazisme, le mot national mais aussi socialisme. Nous avons démonisé. Il fallait dire les faits. Moi je ne suis là que pour raconter : montrer les faits, ressortir les vieux albums de famille et poser des questions sur les photos qui manquent. » Il faut dire que jusqu’à sa mort, Günter Grass a traîné polémique sur polémique. Il aurait pu couler des jours heureux en travaillent à ses sculptures et grtaphismes, mais il avait toujours un oeil sur le monde. D’où son immense ouvrage, Mon siècle, où il dit tout, fustige tout le monde, révèle des choses et crée un cataclysme en Allemagne et dans le monde quand on apprend qu’il a eu maille à partir avec les hitlériens.  Peut-être que ce type de courage littéraire et humain est à lire à l’aune de cette pharse qui en dit long sur le bonhomme: « Je le concède : je suis pensionnaire d’une maison de santé, mon infirmier m’observe, me tient à l’œil, car il y a dans la porte un judas, et l’œil de mon infirmier est de ce brun qui ne saurait percer à jour celui qui a les yeux bleus comme moi.» Comme un aveu de liberté au-delà de la mort, pour un écrivain aux dimensions universelles et dont l’oeuvre survivra aux ideologies de bas étage.