jeudi 18 avril 2013

Les ravages des psychotropes au Maroc: L’autre conception de la réalité


Selon les services de police de la DGSN (Direction générale de la sûreté nationale), chaque jour des dealers sont écroués pour motif de trafic de stupéfiants. Et ce ne sont pas seulement le Chira et le kif, mais surtout les psychotropes, connus aussi dans le jargon comme « Karkoubi ». Des dizaines de milliers de pilules sont vendus au Maroc et leurs ravages sont innombrables. Les plus touchés sont les jeunes, les lycéens qui payent un lourd tribut à l’invasion des pilules de la mort.  Etat des lieux. 


Knut Hamsun écrivait dans son célèbre «La Faim», qu’il y a un fil ténu entre le bien-être et la perdition. Il suffit d’avoir la faim vissée au ventre pour se rendre compte de la fragilité de qui nous sommes. Toujours le même Hamsun a écrit un livre sur la perdition qu’il a intitulé «Vagabond», summum de la perte dans la vacuité de l’être entre pauvreté, manque de repères, désespérance et paradis artificiels. Ce même Eden que de nombreux Marocains veulent atteindre en avalant quelques pilules du bonheur, de l’oubli, du détachement, du coma face au quotidien.  Par malaise, mal-être, colère ravalée, désespérance, folie passagère, mimétisme, curiosité, stupidité, des dizaines de milliers de jeunes, garçons et filles, de moins jeunes, hommes et femmes, s’adonnent à la prise systématiques de barbituriques, d’antidépresseurs, de psychotropes, sans avis médical, sans contrôle de santé, sans ordonnance. 

Le marché parallèle de la contrebande se porte tellement bien que des gosses de riches, des enfants de pauvres, des lycéens, des élèves, des chômeurs, des cireurs, des fonctionnaires, des comme vous et moi, avalent du Rivotril, du Nordaz et autres variétés inconnues des pharmacies, droit arrivées de la frontière algérienne. Le but ? « Oublier, s’oublier, se sentir détaché, laisser éclater sa colère, exprimer ses refoulements », comme le précise un psychiatre de la place. Mais dans la foulée, la pilule devient deux, puis dix, puis le plaisir de planer devient très vite addiction et conduit aux dérives les plus inimaginables : «on peut devenir très agressif, frapper voire tuer dans l’inconscience la plus absolue », enchérit le même thérapeute. D’ailleurs, on se souvient de ce cas qui a défrayé la chronique il y a deux ans lorsqu’un type s’est gavé de psychotropes avant de perpétrer un réel carange à Casablanca.

Il s’agit du cas Azzedine Ejjemouhi. Un autre individu victime de sa toxicomanie qui vient grossir la liste d’autres jeunes, entre 14 et 30 ans, tous en proie à l’addiction fatale aux psychotropes, dont la vedette du marché reste le Rivotril, un produit dangereux en vente sous le manteau partout au Maroc et dont des quantités alarmantes ont été saisies dans presque tous les quartiers du Pays et même à l’intérieur des prisons marocains.  C’est dire que le fléau est de taille et dépasse la compétence des autorités et met en difficulté famille, entourage, société, justice : «c’est un fait, les psychotropes sont un danger et font des personnes qui les prennent des bombes à retardements. Est-ce que cela circule dans nos villes ? Oui, tout le monde le sait. Et l’urgence est de faire face au niveau du ministère de la santé publique, des écoles, les médias et la société civile. On doit se bouger et tirer une réelle sonnette d’alarme. Ce qu’on appelle Karkoubi est aussi dangereux que le terrorisme », souligne un responsable au ministère de la santé.  Car le danger est réel et il guette partout : « des hommes ont tué sous l’emprise du karkoubi, des filles ont tenté le suicide, d’autres se sont attaqués aux gens dans la rue », explique un inspecteur de la brigade des Stup de Casablanca. 

Et le cas de Kariane Sekouila est très éloquent à cet égard. Un simple conflit personnel a vite débordé au dehors, pour éclabousser des citoyens qui ont eu la malchance de se trouver sur le chemin d’un homme dans la trentaine, qui était en proie à une hystérie incontrôlable, selon les dires des enquêteurs de la police d’Anassi, qui ont attesté du degré de dangerosité d’un tel individu, sous l’emprise de la folie. Un simple conflit qui a dégénéré pour causer un mort et 20 blessés.  La cause, quelques pilules, une rixe et la flamme devient volcan. Des cas similaires se comptent par dizaines, chaque jour, dans tous les arrondissements des grandes villes du pays.


Le danger aux portes des écoles


Deux types ont été arrêtés par la police. Ils avaient sur eux 1020 comprimés Rivotril 2 mg. Ils sont achetés à 5 DH et écoulés à 7 ou 9 DH pièce. Les aveux de Bouchaib et de Rachid ont conduit les éléments de la police judiciaire à Hay Tacharouk pour arrêter le grossiste. Ceci est un cas parmi des milliers. Mais ce type de prise mène vers les victimes qui, aujourd’hui, sont de plus en plus jeunes. Filles et garçons rivalisent de prises pour « planer ».  

Cela se passe devant les lycées et les écoles. Tout le monde le sait, ce n’est un secret pour personne. Les parents d’élèves se plaignent  (et il suffit de faire un tour dans quelques directions de lycées casablancais pour toucher du doigt l’ampleur d’un tel phénomène) «Nous sommes conscients du danger. Nous le constatons, et les services de police nous aident en quadrillant le terrain, mais il y a toujours un moyen pour toucher nos enfants », confesse un responsable dans un lycée de Casablanca. Le topo est simple : ce sont ou des lycéens qui se sont convertis en dealers ou des malfrats patentés qui ont écumés le secteur en proposant des commissions à des adolescents. 

Le résultat ? « Des quantités de pilules qui circulent d’une poche à une autre », avoue un lycéen de 15 ans qui dit avoir arrêté après un mauvais « trip ». Et là, toutes les couches sociales sont touchées. Riches, pauvres, fils de « bonne famille » ou laissés pour compte, tout le monde avale. Les effets : « on se sent bien, on plane un peu et des fois on mélange la pilule à des joints et, c’est cool ». Sauf que la pilule devient trois ou dix et cela conduit à des viols, des passages à tabac, des agressions, des vols voire des tentatives de meurtre ou de suicide. Les exemples sur des gosses qui ont « pété un câble » sont légion. Le bureau des Stups à Casablanca en connaît un large rayon sur ces « gosses de riches » qui ont failli passer au pire. Le pire ? Viol voire meurtre. 

Dans d’autres cas, moins extrêmes, des jeunes filles entre 12 et 17 ans se prostituent sous l’effet des psychotropes, des passes dans les voitures, des virées avec des hommes trois fois plus âgés qu’elles, pour quelques centaines de dirhams, une fragrance, des habits et de quoi se payer son kiffe du lendemain. «Une ex-copine tapinait pour se payer ce qu’elle voulait, explique une lycéenne du centre ville. Quand elle a quitté le Lycée, elle en était à l’ecstasy et à la blanche ». D’abord du « karkoubi », quelques pilules de Nordaz ou de Rhupnol avant de tester de l’ecstasy et se faire un sniffe. Le reste du chemin est semblable à une plongée dans les affres des toxicos. Quand les parents se rendent compte, c’est souvent trop tard. Les nantis tentent de sauver les meubles en expédiant les jeunes toxicos dans des centres en Europe loin des regards. Les pauvres constatent et attendent de voir leur progéniture passer à la vitesse supérieure, tuer, massacrer, violer et finir à Oukacha.

Les mutilés de la vie

Pour vérifier si une personne a un jour avalé du Rivotril, faites un diagnostic cutané pour voir si les bras et le ventre portent ou non des scarifications.  Ces balafres assénées toujours dans un état second sont la preuve qu’au moins, une fois, le drogué, à touché aux portes de l’enfer. Une forte prise de psychotropes fait enter dans des états insoupçonnés pour le commun des mortels. Ce que les drogués racontent de leurs « voyages » dépasse l’entendement, mais les médecins ont une explication à ce type de folie : «quand on prend une certaine dose, on perd toute notion de la réalité et de la conscience. Le sujet ne ressent plus la douleur, d’où ces mutilations, ces coups de rasoir ou de couteau que l’on voit sur de nombreux jeunes. » les propos de ce psychiatre rejoignent ceux d’un urgentiste qui relate le cas d’un gamin de 18 ans qui s’est porté pas moins de 80 coups de rasoir sur les bras. Un véritable parchemin sculpté dans l’inconscience. Sauf que le réveil est dur : « le sujet constate les dégâts, mais peut récidiver plusieurs fois, pour oublier ces mêmes mutilations qu’il s’inflige ». 

D’autres, au lieu de se porter des coups, attaquent les gens dans la rue à coups de sabre, de couteaux, de rasoir, de tournevis et d’autres armes imparables. Et même après « une guérison » le toxico mutilé subit une autre forme de terreur liée aux scarifications : il y a la honte de montrer son corps en public, la honte vis-à-vis de soi et surtout, comme c’est souvent le cas, certains tentent de s’éliminer pour couper le mal à la racine ». Et c’est là que les cas de tentatives de suicide deviennent des plus alarmants. D’ailleurs, des études réalisées par des chercheurs sur le suicide démontrent quel rôle joue l’addiction et les psychotropes dans les cas de suicide.

Reste que malgré cet état des lieux, diagnostiqué et connu des autorités, les dealers ont de beaux jours devant eux, les pilules se vendent comme des petits pains, des adolescents se font piéger, des jeunes finissent en prison, d’autres portent des traces pour la vie quand certains tentent difficilement de tourner la page. La réalité est que les psychotropes rongent le tissu social à la base, le bouffe dans sa jeunesse, ce qui fait dire à plusieurs médecins et à des membres de la police nationale que l’urgence est de créer des centres pour traiter les addictions, assainir par « tous les moyens les quartiers, organiser des rafles, faire une véritable compagne nationale de lutte contre le karkoubi  dont les dégâts sont de loin plus dangereux que toutes les autres formes de criminalités au Maroc.» 

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