Selon les services de police de
la DGSN (Direction générale de la sûreté nationale), chaque jour des dealers
sont écroués pour motif de trafic de stupéfiants. Et ce ne sont pas seulement
le Chira et le kif, mais surtout les psychotropes, connus aussi dans le jargon
comme « Karkoubi ». Des dizaines de milliers de pilules sont vendus
au Maroc et leurs ravages sont innombrables. Les plus touchés sont les jeunes,
les lycéens qui payent un lourd tribut à l’invasion des pilules de la
mort. Etat des lieux.
Knut Hamsun écrivait dans son célèbre «La
Faim», qu’il y a un fil ténu entre le bien-être et la perdition. Il suffit
d’avoir la faim vissée au ventre pour se rendre compte de la fragilité de qui
nous sommes. Toujours le même Hamsun a écrit un livre sur la perdition qu’il a
intitulé «Vagabond», summum de la perte dans la vacuité de l’être entre
pauvreté, manque de repères, désespérance et paradis artificiels. Ce même Eden
que de nombreux Marocains veulent atteindre en avalant quelques pilules du
bonheur, de l’oubli, du détachement, du coma face au quotidien. Par malaise, mal-être, colère ravalée,
désespérance, folie passagère, mimétisme, curiosité, stupidité, des dizaines de
milliers de jeunes, garçons et filles, de moins jeunes, hommes et femmes,
s’adonnent à la prise systématiques de barbituriques, d’antidépresseurs, de
psychotropes, sans avis médical, sans contrôle de santé, sans ordonnance.
Le
marché parallèle de la contrebande se porte tellement bien que des gosses de
riches, des enfants de pauvres, des lycéens, des élèves, des chômeurs, des
cireurs, des fonctionnaires, des comme vous et moi, avalent du Rivotril, du
Nordaz et autres variétés inconnues des pharmacies, droit arrivées de la
frontière algérienne. Le but ? « Oublier, s’oublier, se sentir
détaché, laisser éclater sa colère, exprimer ses refoulements », comme le
précise un psychiatre de la place. Mais dans la foulée, la pilule devient deux,
puis dix, puis le plaisir de planer devient très vite addiction et conduit aux
dérives les plus inimaginables : «on peut devenir très agressif, frapper
voire tuer dans l’inconscience la plus absolue », enchérit le même
thérapeute. D’ailleurs, on se souvient de ce cas qui a défrayé la chronique il
y a deux ans lorsqu’un type s’est gavé de psychotropes avant de perpétrer un
réel carange à Casablanca.
Il s’agit du cas Azzedine Ejjemouhi. Un autre
individu victime de sa toxicomanie qui vient grossir la liste d’autres jeunes,
entre 14 et 30 ans, tous en proie à l’addiction fatale aux psychotropes, dont
la vedette du marché reste le Rivotril, un produit dangereux en vente sous le
manteau partout au Maroc et dont des quantités alarmantes ont été saisies dans
presque tous les quartiers du Pays et même à l’intérieur des prisons
marocains. C’est dire que le fléau
est de taille et dépasse la compétence des autorités et met en difficulté
famille, entourage, société, justice : «c’est un fait, les psychotropes
sont un danger et font des personnes qui les prennent des bombes à
retardements. Est-ce que cela circule dans nos villes ? Oui, tout le monde
le sait. Et l’urgence est de faire face au niveau du ministère de la santé
publique, des écoles, les médias et la société civile. On doit se bouger et
tirer une réelle sonnette d’alarme. Ce qu’on appelle Karkoubi est aussi
dangereux que le terrorisme », souligne un responsable au ministère de la
santé. Car le danger est réel et
il guette partout : « des hommes ont tué sous l’emprise du karkoubi,
des filles ont tenté le suicide, d’autres se sont attaqués aux gens dans la
rue », explique un inspecteur de la brigade des Stup de Casablanca.
Et le
cas de Kariane Sekouila est très éloquent à cet égard. Un simple conflit
personnel a vite débordé au dehors, pour éclabousser des citoyens qui ont eu la
malchance de se trouver sur le chemin d’un homme dans la trentaine, qui était
en proie à une hystérie incontrôlable, selon les dires des enquêteurs de la
police d’Anassi, qui ont attesté du degré de dangerosité d’un tel individu,
sous l’emprise de la folie. Un simple conflit qui a dégénéré pour causer un
mort et 20 blessés. La cause,
quelques pilules, une rixe et la flamme devient volcan. Des cas similaires se
comptent par dizaines, chaque jour, dans tous les arrondissements des grandes
villes du pays.
Le
danger aux portes des écoles
Deux types ont été arrêtés par la police. Ils
avaient sur eux 1020 comprimés Rivotril 2 mg. Ils sont achetés à 5 DH et
écoulés à 7 ou 9 DH pièce. Les aveux de Bouchaib et de Rachid ont conduit les
éléments de la police judiciaire à Hay Tacharouk pour arrêter le grossiste.
Ceci est un cas parmi des milliers. Mais ce type de prise mène vers les
victimes qui, aujourd’hui, sont de plus en plus jeunes. Filles et garçons
rivalisent de prises pour « planer ».
Cela se passe devant les lycées et les écoles. Tout le monde
le sait, ce n’est un secret pour personne. Les parents d’élèves se
plaignent (et il suffit de faire
un tour dans quelques directions de lycées casablancais pour toucher du doigt
l’ampleur d’un tel phénomène) «Nous sommes conscients du danger. Nous le
constatons, et les services de police nous aident en quadrillant le terrain,
mais il y a toujours un moyen pour toucher nos enfants », confesse un
responsable dans un lycée de Casablanca. Le topo est simple : ce sont ou
des lycéens qui se sont convertis en dealers ou des malfrats patentés qui ont
écumés le secteur en proposant des commissions à des adolescents.
Le
résultat ? « Des quantités de pilules qui circulent d’une poche à une
autre », avoue un lycéen de 15 ans qui dit avoir arrêté après un mauvais
« trip ». Et là, toutes les couches sociales sont touchées. Riches,
pauvres, fils de « bonne famille » ou laissés pour compte, tout le
monde avale. Les effets : « on se sent bien, on plane un peu et des
fois on mélange la pilule à des joints et, c’est cool ». Sauf que la
pilule devient trois ou dix et cela conduit à des viols, des passages à tabac,
des agressions, des vols voire des tentatives de meurtre ou de suicide. Les
exemples sur des gosses qui ont « pété un câble » sont légion. Le
bureau des Stups à Casablanca en connaît un large rayon sur ces « gosses
de riches » qui ont failli passer au pire. Le pire ? Viol voire
meurtre.
Dans d’autres cas, moins extrêmes, des jeunes filles entre 12 et 17
ans se prostituent sous l’effet des psychotropes, des passes dans les voitures,
des virées avec des hommes trois fois plus âgés qu’elles, pour quelques
centaines de dirhams, une fragrance, des habits et de quoi se payer son kiffe
du lendemain. «Une ex-copine tapinait pour se payer ce qu’elle voulait,
explique une lycéenne du centre ville. Quand elle a quitté le Lycée, elle en
était à l’ecstasy et à la blanche ». D’abord du « karkoubi »,
quelques pilules de Nordaz ou de Rhupnol avant de tester de l’ecstasy et se
faire un sniffe. Le reste du chemin est semblable à une plongée dans les affres
des toxicos. Quand les parents se rendent compte, c’est souvent trop tard. Les
nantis tentent de sauver les meubles en expédiant les jeunes toxicos dans des
centres en Europe loin des regards. Les pauvres constatent et attendent de voir
leur progéniture passer à la vitesse supérieure, tuer, massacrer, violer et
finir à Oukacha.
Les
mutilés de la vie
Pour vérifier si une personne a un jour avalé
du Rivotril, faites un diagnostic cutané pour voir si les bras et le ventre
portent ou non des scarifications.
Ces balafres assénées toujours dans un état second sont la preuve qu’au
moins, une fois, le drogué, à touché aux portes de l’enfer. Une forte prise de
psychotropes fait enter dans des états insoupçonnés pour le commun des mortels.
Ce que les drogués racontent de leurs « voyages » dépasse
l’entendement, mais les médecins ont une explication à ce type de folie :
«quand on prend une certaine dose, on perd toute notion de la réalité et de la
conscience. Le sujet ne ressent plus la douleur, d’où ces mutilations, ces
coups de rasoir ou de couteau que l’on voit sur de nombreux jeunes. » les
propos de ce psychiatre rejoignent ceux d’un urgentiste qui relate le cas d’un
gamin de 18 ans qui s’est porté pas moins de 80 coups de rasoir sur les bras.
Un véritable parchemin sculpté dans l’inconscience. Sauf que le réveil est
dur : « le sujet constate les dégâts, mais peut récidiver plusieurs
fois, pour oublier ces mêmes mutilations qu’il s’inflige ».
D’autres, au
lieu de se porter des coups, attaquent les gens dans la rue à coups de sabre,
de couteaux, de rasoir, de tournevis et d’autres armes imparables. Et même
après « une guérison » le toxico mutilé subit une autre forme de terreur
liée aux scarifications : il y a la honte de montrer son corps en public,
la honte vis-à-vis de soi et surtout, comme c’est souvent le cas, certains
tentent de s’éliminer pour couper le mal à la racine ». Et c’est là que
les cas de tentatives de suicide deviennent des plus alarmants. D’ailleurs, des
études réalisées par des chercheurs sur le suicide démontrent quel rôle joue
l’addiction et les psychotropes dans les cas de suicide.
Reste que malgré cet état des lieux,
diagnostiqué et connu des autorités, les dealers ont de beaux jours devant eux,
les pilules se vendent comme des petits pains, des adolescents se font piéger,
des jeunes finissent en prison, d’autres portent des traces pour la vie quand
certains tentent difficilement de tourner la page. La réalité est que les
psychotropes rongent le tissu social à la base, le bouffe dans sa jeunesse, ce
qui fait dire à plusieurs médecins et à des membres de la police nationale que
l’urgence est de créer des centres pour traiter les addictions, assainir par
« tous les moyens les quartiers, organiser des rafles, faire une véritable
compagne nationale de lutte contre le karkoubi dont les dégâts sont de
loin plus dangereux que toutes les autres formes de criminalités au Maroc.»
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