mercredi 23 septembre 2015

« Les territoires de Dieu », roman de Abdelhak Najib, Al Bayane De l’universalité des valeurs humaines Par Hajar El Alaoui, professeur de l’Histoire de l’art et des styles

« Les territoires de Dieu », roman de Abdelhak Najib, Al Bayane

De l’universalité des valeurs humaines

Par Hajar El Alaoui, professeur de l’Histoire de l’art et des styles






Le roman de Abdelhak Najib s’intitule LES TERRITOIRES DE DIEU, un titre dans sa forme  métaphorique, a résumé en deux mots la multitude de péripéties qui se passent dans le récit tout en conservant leur portée allusive et symbolique d’une part, de l’autre, a suggéré cette tension qui anime le texte par la juxtaposition de deux éléments porteurs d’une bipolarité dichotomique : les territoires et dieu, le créé et le créateur. Bien entendu on se rend compte de cela après la lecture du roman, aidé par une décortication minutieuse de tous les détails physiques et de toutes les nuances émotionnelles des personnages qui portent ce roman, une tâche que l’auteur a su mener à bien jusqu’au point final.
Les péripéties qui se passent à Hay Mohammadi à Casablanca, constituent une petite échelle temporelle, relatant une quarantaine de vie de l’auteur-narrateur dans les années 70 du siècle passé. ABDELHAK Najib porte en lui « le temps et l’espace » si bien que dans ce roman où l’autobiographie et la fiction se mêlent, il va glaner dans sa vie, dans ses rêves et ses fantasmes, dans ses méditations et ses blasphèmes, dans ses temples et ses prières amoureuses, de quoi aborder les grands questionnements d’un homme en devenir, à savoir, Qu’est-ce être un homme ?  Qu’est-ce qu’un saint ? Qu’est-ce que la mort ? Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que la divinité ?
Bien évidemment chaque questionnement porte un ensemble de petits fragments d’histoires, dont les péripéties sont, à première vue indépendantes, les unes des autres. Leurs faits ne s’inscrivent certes pas dans une linéarité, ni dans une démarche littéraire qui obéit à un schéma narratif  classique, ils constituent, toutefois, un ensemble de micro récits imbriqués. Et la beauté du texte, réside dans la réussite de deux défis majeurs par l’auteur. D’un point de vue esthétique, il a su allier la démarche littéraire du fragmentaire à l’unité du récit. D’un point de vue du contenu, il a réussi à inscrire les comportements, les réactions, les émotions d’un certain nombre de personnages qui peuplent cette « colline » à Hay Mohammadi, dans l’universalité des valeurs humaines à travers les questionnements ontologiques posées par l’auteur dans le texte.
Notons que la sensibilité de l’auteur, sa démarche esthétique et le contenu du récit, correspondent à la même dynamique esthétique et philosophique des auteurs qui habitent en épigraphe ou entre les lignes, le récit. En effet, Rimbaud, Sade, Goethe, Lautréamont, Blake, ou les autres ont ceci de commun : une assomption d’une étrangeté et une sensibilité qui s’inscrit dans une démarche disloquante, une démarche qui s’élève contre un conformisme, une esthétique, une philosophie, une spiritualité linéaire et totalisante. L’auteur, dans sa démarche inspirée de celle de ces auteurs, a voulu pour son roman, une « somme des soustractions », une multitude de fragments, « des petites images disloquées», des territoires où religion, hérésie, manipulation, profanation, us et coutumes imposants, conservatisme et transgressions, où tous ces éléments vont créer des situations à première vue hétérogènes, parfois même surréalistes mais qui savent cohabiter, créant malgré tout une homogénéité, car les liens sont sous terrains et dissimulés  certes, mais ils sont bien là.
Les TERRITOIRES DE DIEU raconte de bien rudes tribulations. Toutes ces disputes entre adultes et adultes, adultes et enfants, enfants et enfants, hommes et animaux, animaux et animaux, constituent une violence, bien qu’intériorisée par l’auteur, trouve toujours une issue pour se révéler à travers des visions semblable à celle-ci: « je me suis vu dans un long couloir noir, au sol glissant (…) en train de ramper (…) craignant de tomber sur un reptile ou une bête féroce qui m’engloutirait vivant. (…) j’ai vu le quartier en feu, les femmes à poil et des hommes, toutes verges dehors, en train de leur courir derrière dans une orgie ensanglantée (…). Ce sont là, des visions qui expriment l’âpre constat d’une évanescence du bien dans les territoires de Hay Mohammadi, mais aussi dans les territoires intérieurs du narrateur. C’est ainsi qu’il invoque une autre vision en disant : « (…) J’ai vu le fqih de la mosquée Al Khair (le Bien), ivre mort, arrêté par les flics (…)» 
Dans LES TERRITOIRES DE DIEU, le bien et le mal sont dans une lutte permanente, à l’instar de l’amour et de la haine, des croyances et des hérésies, de la vie et de la mort. Toutes ces dichotomies, ajoutées à tous les propos oxymoriques, dans le texte : le Styx et le paradis, les litanies et le lyrisme coranique, l’amour et la mort, etc. énoncent une grande tension dans le récit de l’auteur et dans la vie du narrateur. Ce dernier est allé jusqu’à donner à cette tension une allusion chromatique en intégrant une symbolique du rouge et du bleu. Le rouge du désir, de tension sexuelle, le rouge de la vive colère des yeux de l’auteur, ou celui de la terre qui cache le secret de la terre, par opposition au bleu, la « marque de distinction », celui du ciel, du septième ciel dans son sens érotique, de l’affranchissement, « le bleu de l’eau quand le visage de l’amour s’y reflète » ou le bleu de dieu.
Dieu ? Qu’en est-il de cette présence phénoménale, incommensurable, qui fait les deux parenthèses de tout le récit et des quarante ans de vie du narrateur? Si le roman comporte un ensemble de grands questionnements sur l’amour, la mort, les rapports humains, la révolte et bien d’autres thèmes de ce genre, celui sur dieu, n’en est pas un. Le narrateur, ce « frère en dieu », a arrêté de se questionner à son propos dès qu’il a compris, très tôt d’ailleurs, que c’est un dieu « oisif, attentiste, démissionnaire, contemplant le désastre subliminal de la création ».
Aussi, dieu est-il placé, presque malgré lui, par le narrateur dès la première page. Il est placé dans la vie de chacun des personnages du roman, de celle de Brahim, de Ayoub, de Raouf et de tous les autres. Il est placé dans leur moindre fait, dans la plus infime nuance de leurs émotions. Le narrateur ne le lâche pas, il  s’accroche à lui, à sa présence presque forcée, comme une moule s’accroche à son rocher. Il s’accroche à lui  pour mieux le transgresser, pour être son égal par la force de l’amour et puis le surpasser. Il s’accroche à lui pour mieux effacer son visage. Il s’accroche à lui pour pouvoir substituer son visage à celui de toutes les divinités qui ont été plus clémentes comme celle de son père, de Malika, de Bach et de tous les autres. Il s’accroche parce que le narrateur et dieu, représentent l’archétype même de toutes les oppositions, de toutes les dichotomies et de tous les oxymores du roman.
Cependant dès lors que la tension est à son paroxysme, un indéniable relâchement s’ensuit, une délivrance par l’amour ou par la mort se réalise. Deux issues qui s’entremêlent et s’imbriquent, car la mort dans LES TERRITOIRES DE DIEU est tant de fois liée à l’érotisme. Les corps, dans les deux conditions (de mort ou de petite mort), en agonie ou en extase, aspirent à un état d’apathie, à un état d’élimination de tension. Un état indispensable qui permet au narrateur de poursuivre son pèlerinage dans ses sentiers intérieurs, un besoin de relâchement et de décontraction qu’il résume ainsi: «mourir à moi-même à mainte reprise pour essayer toutes les renaissances ».

Si dieu ne lui a été d’aucun secours en dépit de ses présences imposantes, c’est bien l’amour et le désir qui ont « joué en sa faveur ». L’amour dans la vie du narrateur est une sorte de mécanisme de défense intuitif, qu’il a compris de lui-même et très tôt. Quand il nous rapporte ceci « je n’ai jamais cessé d’aimer, pas un instant, pas l’ombre d’une seconde dans ma vie sans amour », on comprend aussi que l’amour et la souffrance dans la vie du narrateur, sont les deux faces de la même pièce. Si «L’amour va au-delà du temps et de la vie », c’est qu’il défie la douleur qui se complait à maintenir les êtres malmenés en vie, en pleine conscience de leur souffrance. Et s’il est bien des fois, vécu par le narrateur dans son aspect le plus mystique, où les étreintes sont comparées à une prière et où l’odeur est comparée à celle du temple religieux, c’est que le narrateur et dieu se croisent bel et bien, ils se croisent mais ne cohabitent jamais.

mercredi 2 septembre 2015

Interview de Abdelhak Najib, auteur de “Les territoires de Dieu” Par Sarah Naamane, Illi Magazine

Interview de Abdelhak Najib, auteur de “Les territoires de Dieu”

Par Sarah Naamane, Illi Magazine 





“Si tu t’en sors à Hay Mohammadi, tu peux t’en sortir partout ailleurs!”

Le journaliste et écrivain, Abdelhak Najib, vient de signer son roman à succès: “Les territoires de Dieu” à la librairie Carefour des livres, en présence d’une belle palette d’artistes, de peintres, d’écrivains, de cinéastes et autres chanteurs. Il revient dans cet entretien sur son roman, son parcours, des femmes et de la religion.


Votre roman peut-il être considéré comme une autobiographie ou juste une fiction ? Où s’arrête la réalité et où commence l’imaginaire?  

Soyons clair d’emblée: ce n’est pas du tout une autobiographie dans le sens où  on l’entend. C’est-à-dire un roman qui raconte ma vie, sur 45 ans, avec un début, une fin, dans les détails, avec tous les événements d’une vie et tous les visages qui ont pu la peupler. “Les Territoires de Dieu” part de mon expérience personnelle, revient sur quelques épisodes de mon existence, mais il y a une grosse part de fiction et d’imaginaire. Le réel sert de point d’ancrage, tout comme le quartier où j’ai vu le jour, Hay Mohammadi. Il y a des visages qui m’ont marqués, qui ont inpiré de nombreux passages dans le roman, mais l’histoire creuse d’autres sillons, crée d’autres réalités parallèles. Et c’est là que l’écrivain intervient pour transmuer la réalité, lui donner d’autres tonalités, la transfigurer, la remodeler à sa guise pour en faire sortir d’autres vérités, d’autres réalités qui viennent s’ajouter au socle initial qui est ma vie, telle que j’ai pu la vivre entre Hay Mohammadi et le reste du monde où j’ai pu vivre, rencontrer d’autres cultures, d’autres visages, pour m’en nourir et avoir assez de recul pour raconter ces territoires.

Connaissant votre parcours, comment êtes vous passé de l’enfant de Hay Mohammadi à l’écrivain, l’essayiste et journaliste et le présentateur-télé?


Votre question suppose que lorsque l’on sort d’un quartier aussi déshérité que Hay Mohammadi, il est très difficile de s’en sortir. Je suis d’accord avec vous. Les chances ne sont pas égales. Les dès sont pipés d’avance. Dans ce type de derbs, l’horizon est souvent- pour ne pas dire toujours- bouché. On ne te donne pas le choix. On t’impose une forme d’existence presque préétablie, à laquelle il faut que tu te plies sans broncher. Ou alors, tu dis niet au destin et à la fatalité et tu te révoltes. Tu fous alors un coup de pied dans la gueule du destin et tu lui dis d’aller voir ailleurs. Le refus m’a sauvé la vie. J’ai dit non, très jeune, et je me suis accroché au rêve, aux belles choses, j’ai aimé les arts et la culture très tôt, et je rêvais de devenir écrivain pour raconter ce monde et en créer d’autres. C’est le rêve qui m’a guidé pour faire des études, décrocher des diplômes, voyager, découvrir d’autres choses.

C’est une histoire de passion alors?

C’est le fin mot de toute cette histoire. D’ailleurs tout le roman est animé par la force de la passion. J’ai toujours été très passionné. Les livres, le cinéma, la musique, la peinture ont bercé mon enfance, sans oublier que Hay Mohammadi est une parcelle de terre qui a donné naissance à de grands artistes.  Il faut dire que j’ai été bien inspiré. Il y avait certes la perdition sociale, le désepsoir de certains, mais je voyais autour de moi d’autres y arriver par l’esprit, la force du mental et l’amour des belles choses. On le voit bien dans le roman, avec les scènes de cinéma que je créais enfant, les livres que je lisais dans le noir à la lumière d’une bougie ou sous un lampadaire dans la rue … La vie défilait pour moi comme dans un film et je savais qu’un jour j’allais y arriver. Je n’ai jamais douté un seul instant, même quand je raclais le fond, je savais intimemement qu’une lumière en moi ne demandait qu’à illuminer ma route. Mais surtout ma famille, mes parents, mes frères qui ont nourri mon imagination, qui m’emmenaient au cinéma, me donnaient des livres à lire et me laissaient ma liberté pour découvrir la vraie vie, celles des ruelles, au contact du bitumen, sur le macadam des jours. 


"Les territoires de Dieu" présente beaucoup de personnages de votre enfance, que sont-ils devenus ? Avez vous des nouvelles de Malika, votre premier amour ? De Raouf  et des autres?

Vous avez raison de souligner ce foisonnement de personnages dans “Les territoires de Dieu”. Ils sont tous toujours là, plus ou moins. Certains ont quitté le Maroc pour ne jamais revenir, dégoûtés par leur vie d’avant. D’autres ont quitté Hay Mohammadi pour aller vivre dans le Sud ou dans des régions montagneuses.  Chacun a fait son bout de chemin. D’autres sont morts quand certains font des aller-retours entre les rues et la prison.  Mais Malika (vous devinez bien que ce n’est pas son vrai prénom!) vit toujours, toujours aussi belle, aussi généreuse. Alia aussi sillonne le monde, voyage beaucoup mais je prends souvent de ses nouvelles. Raouf qui vit sa double vie, avec toujours autant d’aisance, le vieux soldat est toujours là, les voisins des vieux jours, les amis d’enfance que je salue ici et qui ont accompgané quelques unes des plus belles années de ma vie. On se rencontre avec autant de plaisir et on partage des souvenirs, une vieille aventure amoureuse et c’est comme ça que j’ai toujours des nouvelles de tout le monde. Sans oublier que ma mère et mes frères vivent toujours dans le coin. Alors j’y vais autant que je peux, avec toujours autant de bonheur.

Le roman parle beaucoup des femmes et de la religion, pourquoi tant de références à Dieu?

J’ai toujours pensé que Hay Mohammadi comme d’autres quartiers du même genre dans ce pays ont été oubliés de Dieu. Oubliés de tout le monde du reste. Pourtant, malgré cette absence notoire, la fatalité réglait la vie des uns et des autres. Le roman fait le solde de tous comptes avec le sacré. On l’a tellement attendu cette déliverance par la religion qu’elle n’est jamais venue. C’est cela en somme, la leçon qu’ont bien assimilée tous les personnages de ce livre. Compter sur soi, que sur soi et se débrouiller pour ne pas se faire très vite laminer par le rouleau compressuer des jours. Dans ce vide de Dieu, il y a les femmes, cette belle bouffée de joie et de bonheur. La beauté, la sensualité, l’érotisme, le désir et la volupté pour tenir le coup, faire contre-poids contre la misère ambiante, la misère sociale et surtout métaphysique. Encore la passion qui vient sauver tout le monde. Et aujourd’hui, l’actualité nous montre à quel point les démagogies religieuses peuvent être dangereuses, avec tout ce que cela crée comme scissions sociales à un moment où les Marocains ont besoin d’être soudés pour faire face aux dangers qui menacent un Monde arabe friable, fragile et aux abois.


Interview de Abdelhak Najib, auteur de «Les territoires de Dieu»: par Fahd Yata, La Nouvelle Tribune

Interview de Abdelhak Najib, auteur de «Les territoires de Dieu»






« Dans ce roman, les femmes font ce que Dieu n’a pas fait »



Propos recueillis par Fahd Yata, La Nouvelle Tribune

Abdelhak Najib, le journaliste et animateur-télé, vient de publier un premier roman, « Les territoires de Dieu »,  qui connaît un franc succès critique.  Il jette la lumière dans cet entretien sur son passé, la place qu’occupe Dieu dans son roman, le sexe, les femmes, l’espoir et la survie par la passion.



Fahd Yata : A la lecture de votre roman : Les Territoires de Dieu, on sent une grande nostalgie pour un certain Hay Mohammadi, qui peut-être n’existe plus ?


Abdelhak Najib : Ce roman est né de ma fascination pour mon enfance avec tout ce qu’elle a charrié dans son sillage comme vie et viatique. Gamin, j’étais pris dans cette histoire de quartier  que je voyais déjà comme un destin universel. Le soir, tard, quand je rentrais chez moi, seul, alors que toute le monde avait fermé les yeux, je me racontais ma vie autrement comme pour jouer avec le destin et ses nombreuses fatalités, toutes changeables à souhait, d’ailleurs. C’est là que je trouvais ma nourriture, une certaine profondeur couplée à une réelle prise sur ma vie. Plus tard, j’ai peaufiné cette vision du monde et cela a donné corps à une certaine mémoire collective enfouie au cœur de la vie de Hay Mohammadi, qui est ici un simple ancrage spatial. Sans oublier qu’au début, ce désir de remodeler le mythe Hay Mohammadi, était très fantasmatique.
L’idée semblait au début simple. Mais elle était périlleuse aussi. Il fallait revenir sur mon passé, revivre des choses que je n’avais pas forcément envie de me rappeler. Mais il fallait se remettre encore une fois en jeu, ressusciter ce désir originel du passé. Il fallait renouer avec cette révolte inquiète pour me propulser corps et âme dans le présent avec une lecture conditionnée par le passé. Ecrire « Les territoires de Dieu » c’est aussi prendre le risque en revivant mon fantasme, de faire tomber l’illusion et de me retrouver nu face au réel.

Pourquoi Dieu et pourquoi ses Territoires ?

De bout en bout, ce roman est une affaire de territoire, ou pour être plus précis, de déterritorialisation sans relâche pour que la mémoire se fasse et surtout passe à autre chose.  Mais pour y arriver, il a fallu comme pour toute épreuve initiatique, opérer une profonde perte de repère, sans quoi aucune métamorphose n’est possible. Autrement dit, c’est en renonçant à mon passé que j’arrive à lui donner un territoire. Dieu est ici un prétexte pour donner corps à mon histoire, lui conférer une teinte, certes métaphysique, mais sans la moindre religiosité. A moins de prendre l’espoir et la vie comme religions suprêmes face  à l’absurdité de l’existence.  C’est dans ce sens que j’ai évité d’écrire un roman sagement linéaire et inlassablement introspectif. Je voulais à tout pris éclater la vision du monde, par le prisme de Dieu, en jetant des viaducs vertigineux sur des  frasques formelles qui épousent les contours les plus infimes de tous les récits éclatés de ce roman. Et les territoires de Dieu sont cet éclatement, cet effritement de qui nous sommes, face à l’inanité de toute réponse logique devant le vide du monde. D’où les liens entre religion et érotisme dans ce roman. Il y a cette pétulance dans le langage, ce coloris phrastique qui drape le tout d’une ironie acide.

Le sexe et l’érotisme sont très présents, les femmes occupent une place de choix dans ce roman…

Quelqu’un m’a dit que mon roman était celui du désespoir le plus rassurant. Au-delà de la beauté de la formule, il y a là une grande part de vérité. Les femmes, venons-en, elles se jouent de la désespérance ambiante. Elles ouvrent grandes les portes de la perception comme cet épisode que je narre sur une terrasse où le jeune gamin découvre les portes du paradis à travers le corps d’une femme. Un autre critique m’a dit que les femmes font ce que Dieu n’a pas fait. Absolument. Et c’est là que se croisent le flot de la conscience et l’énergie de la colère. L’amour avec l’érotisme qui y est ici soudé, forment ce rempart contre la perdition. Il se nourrit des deux flux, celui de la conscience du monde et celui du refus d’abdiquer. On le voit bien dans tous  ces passages où le narrateur prend à son compte l’histoire et dissèque ses états d’âme sans la moindre compassion ni concession. Avec une ironie écorchée, il s’auto-caricature et écorche tout le monde au passage. Seul l’amour échappe à cette razzia.

La politique occupe aussi une grande place dans ce roman, vous ^tes très critique à l’égard des politiciens de tous bords.

Dans « Les territoires de Dieu » la politique et l’existence sont des espèces de frères siamois qui sont lancés dans une folle quête existentielle pour sauver ce qui encore peut l’être. Les personnages de ce roman créent entre eux des passerelles narratives  sans idéologies bruyantes. Ils tentent de vivre. Leur voix devient du coup, celle de la révolte sans nombrilisme aucun. Et c’est très important  de souligner que les protagonistes de ces Territoires ne se font aucune illusion sur qui ils sont et qui sont ceux qui les manipulent et gâchent leurs vies. L’épisode politique à haute teneur symbolique de juin 1981 sert ici d’ancrage temporel pour marquer une rupture entre le rêve et l’illusion. Le gamin qui vit cela à 12 ans, porte en lui les stigmates de la dépression économique et sociale d’une époque. Et curieusement, elle est  plus amplifiée aujourd’hui, d’où la projection des Territoires dans ce que sera demain.

C’est un roman noir, en somme, peu de gens s’en sortent et ça finit très mal sur une note tragique.

La fin est sans concession. Il ne s’agit pas pour moi de donner dans le Happy ending. La mort qui frappe à la fin du roman et l’amnésie collective qui en résulte, sont deux révélations crues de la perte absolue du lien, de ce qui fait que nous vivons. Il y a là une douleur sourde qu’aucune autre n’égale,  celle de la perte de l’innocence. C’est pour moi le moment exact où la mort est matériellement la mort. Le souvenir qui en résulte est tailladé par le ressassement et les regrets, mais il est béant face à l’horreur de ce qui vient toujours. Il y a des blessures difficiles à soigner, le passé est une blessure difficile à soigner, c’est ce que je dis, c’est ainsi que je ferme le roman. Tout ce qui viendra après découle d’un long processus de guérison. Guérison du passé, de tout un pays, malade, portant en lui le vacille de sa propre ruine. Comment on s’en sort alors : la passion de vivre, de se créer des portes de sorties, la force de sauter par les fenêtres, faire éclater des brèches et appeler les autres à s’y engouffrer. C’est un roman actuel, qui sort à un moment où le Maroc et le Monde arabe sont dans l’oeil du cyclone. Pour échapper à la catastrophe, il ne reste qu’à faire corps avec l’onde de choc.

Les territoires de Dieu. Abdelhak Najib. 182 pages. 80 dhs.

Actuellement dans les librairies

Interview de Abdelhak Najib, auteur du roman : « Les territoires de Dieu »: L'observateur du Maroc et d'Afrique

Interview de Abdelhak Najib, auteur du roman : « Les territoires de Dieu »


Propos recueillis par Mohamed Zainabi
 L'observateur du Maroc et d'Afrique 




« Je refuse  toute forme de manipulation au nom de la religion »


Le journaliste, écrivain et présentateur-télé, Abdelhak Najib, vient de signer son roman, « Les territoires de Dieu », le 3 juillet 2015, à la librairie Carrefour des livres de Casablanca. Un roman qui connaît un franc succès sur fond de réquisitoire politique acerbe et de thérapie sociale par le sexe.


Comment expliquez-vous le succès que connaît votre roman ?

Je pense que le public réagit d’abord au sujet, qui est puisé dans le cœur vibrant de la société marocaine, avec toutes ses privations, ses aberrations, ses absurdités et ses espoirs déçus. «Les Territoires de Dieu» raconte la vie de quatre enfants à Hay Mohammadi. Quatre gamins qui en veulent, qui ne se laissent pas faire, qui résistent à tout et veulent à tous prix s’en sortir. Ils y parviennent par le rêve, la créativité, le sexe et surtout grâce à leur soif immense de liberté. Ensuite, il y a le timing de ce roman. Il sort à un moment où le Maroc traverse une zone de turbulences sociales et politiques sur fond d’idéologies antagonistes entre archaïsmes récalcitrants et volonté moderniste hésitante et bancales. Entre les deux, il y a le marasme dont je parle dans ces territoires. Des espaces de vies où l’espoir est une denrée rare, où il y a une telle crise de valeurs et de vision qui touchent les gens. Ils y trouvent un récit  qui s’adresse aux Marocains en leur parlant de la vie, sans fards, sans lifting, sans compromis. Sans oublier que c’est un roman où l’on rit aux larmes de bout en bout, dans une fresque sociale tragi-comique.

Ce roman est aussi une critique acerbe des fanatismes et surtout de la religion telle qu’on veut la véhiculer aujourd’hui ?

Absolument. Ce roman, à travers plusieurs personnages et situations, fait une lecture sans concessions des dogmatismes de tous poils. Je ne suis pas du tout tendre avec le mensonge au nom du sacré. Je refuse  toute forme de manipulation au nom de la religion. Elle en prend pour son grade dans ce récit où le langage devient virulent quand il s’agit des croyances des uns et des autres. La politique qui se sert du référentiel religieux pour le pouvoir est ici malmenée comme tous ces prédicateurs beaucoup-trop-nombreux qui veulent régir la vie des autres. D’ailleurs, combien de crimes ont été commis au nom de Dieu et d’une certaine vérité que certains pensent détenir. Les territoires de Dieu posent la question du sacré comme une affaire personnelle qui une fois utilisée pour servir de base au pouvoir devient nocive, dangereuse, un terrain glissant vers tous les extrémismes. Et le Maroc d’aujourd’hui traverse un moment où les choses sont floues. Dans cette confusion des genres se nichent tous les dangers. Et il faut être très vigilants. Le fin mot de l’histoire dans ces territoires est la liberté de chacun, qui est la seule à nous garantir le salut. Sans cela, nous sommes tous condamnés à vivre des jours troubles.

Hay Mohammadi devient du coup, le centre du monde, l’espace où le destin de tout le monde se joue ?

J’espère avoir atteint à cette vision universelle du monde. Hay Mohamamdi est un quartier où j’ai grandi, où j’ai vécu une partie de ma vie, où j’ai rencontré des destins divers,  mais dans le roman, il peut être n’importe quel autre derb, Harlem, Barbes, Galata, Lavapiès, une favela brésilienne, un quartier paumé au fin fond du Pakistan… il suffit de changer les noms et les géographies et on est servi par les mêmes démons qui veulent nous asservir. Ce qui se passe dans ce périmètre oublié de Dieu se passe partout dans le monde. J’ai rendu compte d’une épqoue, d’un quartier, d’une catégorie humaine, d’un état d’esprit, d’une vie qui va au-delà des frontières de ce pays. Le Maroc devient du coup un prétexte pour parler de ce destin humain qui est aujourd’hui bafoué, où les repères manquent, sans valeurs, mais avec une injustice qui écrase tout le monde comme dans un engrenage implacable, un rouleau compresseur qui ne rate personne.  Sans oublier que Hay Mohammadi est un haut lieu ce la mémoire collective marocaine, une parcelle de terre qui a donné de grands noms auxquels je rends hommage aussi dans cette histoire d’amour et de fureur.