Ils sont plus de
3 millions de personnes âgées au Maroc. 60 ans et plus, un âge ingrat où l’on
est une charge sociale pour la famille. Au Maroc, les vieux survivent, dans
l’oubli, la marginalisation et le rejet en attendant la tombe.
Le pire qui puisse vous arriver est de vieillir dans un pays comme le
Maroc. A moins d’avoir bien assuré vos vieux jours, devenir vieux est synonyme
de rejet, de marginalisation et d’errance. Et si la maladie s’en mêle, mieux
vaut passer l’alarme à gauche sans trop attendre. Vieillir, c’est une mise au
placard. Une attente dans le corridor de la gueuse. Un aller simple pour
l’antichambre de l’enfer des jours tristes. C’est cela est rien d’autre la vie
d’un homme ou d’une femme qui a dépassé 60 ans au Maroc. Sur plus de 3 millions
de vieux que compte le royaume, combien ont une retraite décente ? Combien
sont pris en charge par leurs familles sans pour autant être un fardeau au
quotidien ? Combien sont SDF ? Et enfin quel pourcentage de vieux
finit dans les centres d’accueil ?
Fin de vie
Le fatalisme des Marocains est un garde-fou. Autrement, les nombreux
vieux que nous avons rencontrés auraient eu un autre discours. Tous acceptent leur sort. Mais ils
n’arrivent pas à cacher leur désarroi et leur malheur. Ahmed a 77 ans. Cela fait 17 ans qu’il n’a
rien fait avec ses mains en dehors de jouer aux cartes. Depuis un an, il ne
sort plus de chez lui. Rhumatismes, arthrites et d’autres difficultés respiratoires
l’ont confiné à domicile. Même entouré de ses trois enfants, Ahmed se sent
seul. Diminué, fragilisé, il attend d’être rappelé à Dieu. Triste fin de vie
pour un homme qui ne se doutait
pas que le crépuscule de sa vie
allait être aussi horrible. C’est simple. Cet homme, comme des millions
d’autres hommes et femmes, est livré à lui-même. Le constat est dur à faire. La
réalité est que les vieux au Maroc sont le dernier des soucis des autorités.
Autant dire, comme l’a affirmé un jeune sociologue, qui a requis l’anonymat,
que « le Maroc tue ses vieux à petits feu»
Chiffres
alarmants
Ils sont
aujourd’hui plus de 3 millions de personnes qui ont plus de 60 ans au Maroc. Presque 10% de la population. Selon le
recensement général de la population de 2004, ils étaient 8%. Ce chiffre est en évolution constante.
Le Maroc est depuis quelques décennies en pleine période de transition
démographique. Ce qui explique le vieillissement de la population et une augmentation
de l’espérance de vie de plus en plus grande. Dans ce sens, selon les
projections du Haut commissariat au plan, l’effectif des personnes âgées
augmenterait de 3,5% par an entre 2010 et 2030, pour passer à 5,8 millions en
2030, ce qui représente 15,4% de la population.
Comment vivent
les vieux au Maroc ? Qui s’en occupent ? Qu’a fait l’Etat pour leur
apporter le réconfort et les accompagner jusqu’à la mort ? Sur ce sujet,
personne ne peut se voiler la face. Les réalités sont criardes. Les vieux trainent
des jours tristes. Ils écument des existences morbides. Avant d’être mis sous
terre. Pour certains, la mort est un soulagement. A la fois pour l’intéressé et
pour sa famille. C’est que les temps ont changé. S’il y a encore des familles qui s’occupent de leurs vieux,
d’autres s’en lavent les mains.
Femmes et hommes se retrouvent alors seuls, pauvres, sans aides ni
soutiens. Pour Jamal Khalil, sociologue
et professeur à la faculté des lettres d’Aïn Chock à Casablanca, «le
soutien familial aux personnes âgées, en réduction progressive, devrait être
relayé, en principe, par un soutien social. La situation au Maroc est
particulière. Alors que, dans les pays européens, les changements de la
configuration familiale se sont effectués sur plusieurs siècles, au Maroc, il a
suffi de quelques décennies pour se retrouver avec une progression
exponentielle de la famille nucléaire et avec des attitudes de plus en plus
individualistes. La société n’est pas préparée à accueillir dans de bonnes
conditions les personnes âgées. Des solutions médianes devraient être envisagées
en cherchant les moyens d’impliquer encore les familles.»
Noyau dur
Autrement dit,
le Marocain a fait un bond dans la modernité, sans gravir les échelons de
l’évolution socio-culturelle, avec ses fléaux, ses mauvaises surprises et ses
situations difficiles à prévoir. On se retrouve donc avec un noyau familial
éclaté et une inclinaison pour le chacun pour soi, qui ne relève pas de
l’égoïsme, mais d’un impératif vital de s’occuper de soi. Dans cette équation à
zéro inconnu, les vieux parents passent à l trappe. «je suis marié. J’ai trois
enfants. J’ai un salaire qui me suffit à peine. Mon épouse travaille aussi.
J’ai essayé de prendre mon père avec nous, mais au bout de quelque temps, cela devenait
intenable pour tous. J’ai dû le confier aux soins d’une vieille tante qui vit
toute seule », raconte Driss. M. 54 ans, professeur universitaire. On
imagine alors le mariage des solitudes de ce vieux bonhomme qui partage
aujourd’hui sa vie avec la sœur de sa défunte épouse dans une maison grande et
vide, avec, de façon sporadiques, une visite du fils ou de quelques vieilles
connaissances.
Centres mouroirs
La situation des
enfants n’est pas enviable non plus. Quand on fonde une famille, on doit s’en
occuper. Des fois, ce sont les grands-parents qui paient le lourd tribut de la
vie moderne. Pour certains, il y a la solution des hospices. Mais au Maroc, la
plupart des centres pour vieux sont des mouroirs à ciel ouvert. Aujourd’hui, on
compte plus d’une trentaine de maisons de vieux. La particularité de ces endroits est
qu’ils n’abritent pas que des
personnes âgées que les familles ont fait admettre pour bénéficier de soins
appropriées et de quelques jours paisibles en attendant la fin. Non. Pour la plupart,
les pensionnaires sont des SDF, des personnes sans familles qui se retrouvent à
trainer et à dormir dans les rues.
Dans ces hospices, il n’y a aucune prise en charge médicale. Quant aux conditions d’hébergement, c’est très
spartiate, pour ne pas dire en deçà de ce que nécessite une vieille personne.
Dans le centre de Tit Mellil de Casablanca, les personnes hébergées sont dans
un état lamentable. Pour la majorité, personne ne vient leur rendre visite. Certains
meurent dans le centre sans que
personne ne vienne réclamer leur corps. Même si la direction du centre tente d’apporter un tant soit
peu de réconfort à ces vieilles personnes, le manque de moyens, le vétusté des
lieux, la pénurie de personnel qualifié pour aider les vieux, handicapent la
bonne marche d’un tel centre.
Prise en charge
L’autre
corollaire de la vieillesse, c’est la fragilité de la santé. Qui dit vieillesse
dit maladies. Les vieux accumulent les pathologies. Parfois ils se retrouvent
sans le moindre soin. Faute de moyens. Faute de prise en charge. Cela va des
maladies aiguës et chroniques, notamment les maladies cardiovasculaires,
l’hypertension artérielle, le diabète, le cancer, les maladies respiratoires,
les atteintes articulaires aux maladies neurologiques et psychiatriques. Alzheimer,
Parkinson, troubles psychiatriques, comme la dépression, ce sont là des
maladies qui nécessitent, selon Dr. Hachem Tyal, Psychiatre à Casablanca,
«une surveillance et des soins appropriés ». Souvent, face à ce type de
maladies, les familles qui n’ont pas les moyens abandonnent la partie et
laissent mourir, dans un coin, un grand-père amnésique ou une grand-mère,
touchée par la démence.
Sans oublier, que dans bien des cas, le vieillissement
induit la coexistence de plusieurs maladies. Ce qui nécessite une prise en
charge médicale spécifique. Celle-ci fait appel, entre autres, à des gériatres,
des infirmiers, des diététiciens, des
kinésithérapeutes, psychologues et des assistantes sociales. Pour accéder à ce
type de traitement, il faut avoir de bons revenus. Ce qui est, dans la plupart des
cas, loin d’être acquis. Quand on sait que la grande majorité des
retraités au Maroc touche une pension de misère souvent entre 400 et 1 000 DH par mois, il ne faut pas se faire d’illusions sur
les accès aux soins. Car, pour se faire soigner au Maroc, il faut avoir des
moyens solides. Sinon, il faut s’arranger avec la maladie pour qu’elle vous
laisse tranquille.
Ce qui pousse
une grande partie des vieux à trainer dans les rues pour demander la charité.
On parle pour une ville comme Casablanca de plus de 7000 mendiants
professionnelle. Ils sont tous presque des vieillards, séniles, habillés de
haillons, qui sillonnent le macadam des jours, la main tendue, un chapelet de
remerciements rivé aux lèvres. Le constat est plus grave selon des chiffres
officiels qui font état de plus de 77 000 mendiants uniquement dans l’axe
Casablanca-Rabat-Salé. Où en est donc le gouvernement dans sa Stratégie
nationale de lutte contre la mendicité (SNLCM), qui a démarré en mars 2007 ?
La
première enquête sur la mendicité, rendue publique en septembre 2007, démontre que
le Maroc compte environ 195 950 mendiants. 51% parmi eux sont de sexe féminin,
les deux tiers sont âgés de 40 ans et plus, et 80% pratiquent la mendicité dans
les milieux urbains, notamment les grandes villes. C’est dire que quand vieillesse rime avec précarité sociale,
tous les cercles de l’enfer finissent par être franchis. Comme le conclut un sociologue
marocain, «entre solitude, fragilité, pauvreté et précarité, il ne fait pas bon
être vieux au Maroc.»
Quelques chiffres
Plus de 3
millions de personnes ont plus de 60 ans.
Presque 10% de
la population.
La
grande majorité des retraités au Maroc touche une pension de misère souvent entre 400 et 1 000 DH par mois.
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