mercredi 29 juillet 2015

Interview de Abdelhak Najib, auteur du roman “Les territoires de Dieu” Par Réda Dalil, Magazine Le Temps

Interview de Abdelhak Najib, auteur du roman “Les territoires de Dieu”
Par Réda Dalil, Magazine Le Temps 





Depuis sa parution en avril dernier, "Les Territoires de Dieu" connaît un succès fulgurant. Pour quelle(s) raison(s), selon vous, votre roman a-t-il touché une corde sensible chez les lecteurs marocains?

Tout ce que je pourrais répondre serait pris pour de la prétention de ma part. Mais il se trouve que “Les territoires de Dieu” est un roman qui marche très fort. Un grand succès en librairie, une presse unanime sur la qualité du texte, sur sa portée humaine, sur son propos, sa langue, son style… Bref, je suis très surpris par cet accueil. Je peux par contre parler de ce que les lecteurs disent du roman. On le trouve à propos, très actuel, un roman d’une vie, sans folklore. On parle d’un texte fort, écrit avec les tripes, très drôle, très cynique parfois, audacieux aussi dans ce rapport à Dieu ou quand il traite de l’érotisme et du sexe. Je pense que les lecteurs se sont trouvés dans ce texte parce qu’il raconte un peu leur vie, d’une manière ou d’une autre. 

Vous explorez les méandres d'une jeunesse passée dans le Hay Mohammadi avec ses tribulations et ses écueils. Pourquoi le Hay ?
Lhay est un ancrage spatial extraordinaire. D’un point de vue strictment romanesque, c’est le type de lieu idéal pour y incarner des vies et des histoires. Il se trouve que c’est le quartier où je suis né. C’est là que j’ai grandi. C’est là que j’ai connu mes premières amours. C’est là que j’ai découvert le pouvoir immense du corps. C’est là que j’ai cotôyé des amis uniques dans leur genre. Comme de nombreux derbs qui sont entrés dans la légende dans le monde, Lhay a ses codes secrets, ses rites, ses lois et ses règles à suivre, qui sont partagés par tout le monde de manière tacite. Tout ceci me subjuguait quand j’étais gamin courant dans tous les sens à la recherche du bonheur. J’ai toujours su que Hay Mohammadi jouerait un rôle clef dans ma vie. On ne sort jamais indemne de ce type de quartier. Ils vous marquent à vie, de fer rouge. Il y a une telle richesse humaine, tant de visages, tant de mythologies urbaines à explorer. C’est tout bonnement une chance pour moi d’être sorti de là. 

Votre langue est bigarrée, tantôt proustienne, tantôt Bukowskienne, cela vous vient-il naturellement ou est-ce le résultat d'un travail conscient sur le style ?
Il n’y a chez moi aucun travail, du moins conscient, sur le style. Mais je vous l’accorde, la langue est, comme vous le dites si bien, bigarrée. Il est vrai que mon écriture oscille entre plusieurs influences littéraires. D’un côté Proust et tout ce classicisme que l’on peut retrouver chez d’autres grandes figures du XIX ème siècle pas seulement en France, mais dans d’autres pays, comme l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie… et une autre approche littéraire plus moderne, aux consonnances américaines très prononcées. Je pense pour ma part que la manière dont on écrit nous vient de nos lectures. Et comme vous le savez je suis un lecteur incorrigible. Les livres sont toute ma vie. J’ai toujours été un rat de bibliothèques quand j’étais plus jeune et après, avec le temps et les découvertes d’autres littératures universelles, il faut dire que je dévore les livres comme d’autres s’acquittent de leurs addictions les plus enracinées. Mes textes sont à la fois lyriques, insolents, drôles, urbains, irréverncieux, très légers, et, par moments, ils suivent des sinuosités qu’ils dictent eux-mêmes. Vous savez de quoi je parle, vous êtes auteur, vous êtes conscient de ce rapport à la fois simple et complexe avec l’écriture. C’est ce qui fait la particulrité de chacun de nous et de ces littératures magnifiques dont on a parlé plus haut. 

Le narrateur du roman est en conversation quasi-permanente avec Dieu. Quel est le sens de ce dialogue homme-créateur ?
Tous les personnages des Territoires sont en conversation continue avec Dieu. A vrai dire, ils règlent leurs comptes avec le Seigneur. Dieu est malmené par ses sujets qui lui demandent des comptes, lui posent des questions qui demeurent à jamais sans réponses. Les gamins du roman, leurs amis, le voisinage, les parents… tout le monde veut en découdre avec la fatalité, incarnée par le divin, dans un monde où il n’intervient plus. Autrement dit comme Dieu a abandonné les siens, ceux-ci le lui rendent bien. Le môme de six ans, la divine prostituée, le soldat, le criminel, le narrateur et ses acolytes sont la preuve vivante que Dieu a démissionné. “Démerdez-vous entre vous, je m’en lave les mains.” C’est ainsi que l’absence de Dieu est vécue, comme une trahison par des âmes damnées et livrées à l’injustice dans les vallées strériles du Tout-puisant. Quand on sait à quoi s’en tenir sur ce type de rapports, la vie prend de nouvelles tangentes. On trouve d’autres issues, on se crée d’autres divinités, on s’invente des raisons de vivre et de dépassement qui demandent du coup plus de courage, d’abnégation, de refus et de risques. C’est le lot de presque tout le monde dans “Les territoires de Dieu”, où l’on cherche Dieu sans jamais lui mettre la main dessus. C’est un peu beckettien tout ce cheminement qui finit dans l’absurdité la plus kafkaïenne qui soit. 

Vous jonglez entre plusieurs carrières, journaliste, présentateur TV ( Sada Al Ibda3), chroniqueur, essayiste, sportif de haut niveau. Comment conciliez vous entre toutes ces activités ?
Je crois que c’est ma soif de vivre qui est à la source de tout ceci. Encore aujourd’hui les journées me semblent courtes et la vie fuit à une vitesse terrible. En une journée je suis capable d’écrire mes articles et mes chroniques, tourner un épisode ou deux de “Sada Al Ibdae” et finir avec deux heures de muscu à Hay Mohamamdi avant de rentrer regarder un film, lire plusieurs dizaines de pages et refuser le sommeil, qui a toujours été assimilé pour moi à une grosse perte de temps. Et comme je suis passionné, je vais au bout de tout ce que je fais. Mon travail de journaliste me passionne. La télé est un enchantement de tous les instants. Le Body Building a été pour moi, jusqu’à il y a deux ans, une manière d’aller au-delà de mes limites physiques. Masochisme, comptes à régler avec moi-même, il y a un peu de cela et plus encore. Mais sans passion, en tout ce que j’entreprends, je suis incapable de vivre. Et là, j’ouvre un nouveau chapitre dans ma vie avec un roman, qui n’est que le début. 

Parlez-nous de vos influences littéraires…
Elles sont multiples. J’ai lu et je lis toujours les incontournables. La mythologie grecque a joué un grand rôle dans ma formation littéraire. Homère, Hésiode, mais aussi les présocratiques, Héraclite d’Éphèse, Parménide et enfin Socrate, avec Sophocle et Eschylle. Il y a aussi Shakespeare et Goethe. Les classiques français autour de Montaigne, Sénancour et au-delà Balzac, Stendhal (je n’aime pas Hugo) pour arriver au divin Proust, à Céline, Camus, Gide, Sartre et des poètes qui ont façonné ma vision du monde: Baudelaire, Mallarmé, l’unique Rimbaud, René Char sur lequel j’ai écrit ma thèse, Saint-John Perse, Reverdy, Jaccottet… Ceci pour l’apport français, mais il y a les divins Allemands: Hesse, Mann, Böll, Hölderlin et la philosophie germanique portée par Schopenhauer, Nietzsche et Heidegger. Les Russes sont indispensables pour moi: Dostoïevski, Pouchkine, Soljenitsyne, Maîakovski, Mandelstham, Akhnatova et les Américains que je sens très fort comme Henri Miller, l’auteur des Tropiques et de la Crucifixion en rose sans oublier l’immense Durell et son Quatuor d’Alexandrie. Il y a également les Japonais comme Mishima et Kawabata et tant d’autres plus modernes comme Marquez, Paz ou Borges… Il est difficile de parler de tous ces noms qui ont modelé notre esprit. Un bonhomme comme Al Moutanabbi, un géant comme Abdelrahman Mounif, un poète comme Adonis, sont des maîtres à penser au même titre que Cioran, Kafka, Beckett, Pessoa…

Votre séance de présentation/dédicace au carrefour des livres a connu un engouement sans précédent dans le monde de l'édition. Que vous disent vos lecteurs, qu'est ce qui revient le plus souvent dans leur propos, appréciation, avis, critiques ?
On a vécu un grand moment de partage à Carrefour des livres pour cette signature-débat. Il y a eu un monde incroyable. Des artistes, des auteurs, des journalistes, des visages de la télé, des musiciens, des amis, des lecteurs avertis… Tout le monde a été frappé par le nombre de personnes présentes et par la qualité du débat. Je suis très touché par toutes ces interventions qui parlent de la dimension universelle de mon roman. Les lecteurs, dans leur majorité, affirment que l’on peut changer les noms des personnages et donner corps à ce texte ailleurs dans le monde. Les gens aiment cette fraîcheur dans le langage, ce jeu entre plusieurs styles, l’humour et l’ironie qui traversent Les territoires de bout en bout. On parle volontiers d’un roman atypique, un roman sérieux, sincère, sans fards, qui va droit à l’essentiel, qui parle de la vie, pose des questions profondes sur l’existence, la religion, l’amour, le sexe, la politique… dans un Maroc en profonde mutation. 

D'après votre entourage, il semblerait que vous ayez sept livres prêts qui n'attendent qu'à être publiés. Info ou intox ? Si oui, parlez-nous de votre prochain livre.
Bonne pioche. Le deuxième roman: “Le printemps des feuilles qui tombent” est déjà sorti de l’imprimerie. Il traite de la désillusion de ce que l’on a appelé le printemps arabe alors que c’est un hiver glacial qui a gelé les derniers espoirs de tant de monde assoiffé de liberté. Le troisième roman part à l’imprimerie sous peu. Il est intitulé: “La mort n’est pas un nouveau soleil”. Suivent d’autres textes achevés et qui vont être publiés au fur et à mesure: “Le sage s’est trompé de siècle”, “Orgasmes”, L’asile de fous”. Sans parler de mes enquêtes et reportages dans le couloir de la mort durant cinq ans, qui sortent en deux tomes cette année sous le titre: “Vivre dans le couloir de la mort” et un essai sur le terrorisme, Daech et les origines du radicalism au Maroc. 
Vous savez, j’ai toujours écrit. Là à 45 ans, je sens que c’est le moment pour moi de publier. J’ai plus de recul, plus de matûrité, c’est important pour un écrivain de prendre son temps avant de se donner à lire.

samedi 11 juillet 2015

Abdelhak Najib: « Je refuse toute forme de manipulation au nom de la religion »

 Propos recueillis par Mohamed Zainabi

« Je refuse  toute forme de manipulation au nom de la religion »




Le journaliste, écrivain et présentateur-télé, Abdelhak Najib, vient de signer son roman, « Les territoires de Dieu », le 3 juillet 2015, à la librairie Carrefour des livres de Casablanca. Un roman qui connaît un franc succès sur fond de réquisitoire politique acerbe et de thérapie sociale par le sexe.


Comment expliquez-vous le succès que connaît votre roman ?

Je pense que le public réagit d’abord au sujet, qui est puisé dans le cœur vibrant de la société marocaine, avec toutes ses privations, ses aberrations, ses absurdités et ses espoirs déçus. «Les Territoires de Dieu» raconte la vie de quatre enfants à Hay Mohammadi. Quatre gamins qui en veulent, qui ne se laissent pas faire, qui résistent à tout et veulent à tous prix s’en sortir. Ils y parviennent par le rêve, la créativité, le sexe et surtout grâce à leur soif immense de liberté. Ensuite, il y a le timing de ce roman. Il sort à un moment où le Maroc traverse une zone de turbulences sociales et politiques sur fond d’idéologies antagonistes entre archaïsmes récalcitrants et volonté moderniste hésitante et bancales. Entre les deux, il y a le marasme dont je parle dans ces territoires. Des espaces de vies où l’espoir est une denrée rare, où il y a une telle crise de valeurs et de vision qui touchent les gens. Ils y trouvent un récit  qui s’adresse aux Marocains en leur parlant de la vie, sans fards, sans lifting, sans compromis. Sans oublier que c’est un roman où l’on rit aux larmes de bout en bout, dans une fresque sociale tragi-comique.

Ce roman est aussi une critique acerbe des fanatismes et surtout de la religion telle qu’on veut la véhiculer aujourd’hui ?

Absolument. Ce roman, à travers plusieurs personnages et situations, fait une lecture sans concessions des dogmatismes de tous poils. Je ne suis pas du tout tendre avec le mensonge au nom du sacré. Je refuse  toute forme de manipulation au nom de la religion. Elle en prend pour son grade dans ce récit où le langage devient virulent quand il s’agit des croyances des uns et des autres. La politique qui se sert du référentiel religieux pour le pouvoir est ici malmenée comme tous ces prédicateurs beaucoup-trop-nombreux qui veulent régir la vie des autres. D’ailleurs, combien de crimes ont été commis au nom de Dieu et d’une certaine vérité que certains pensent détenir. Les territoires de Dieu posent la question du sacré comme une affaire personnelle qui une fois utilisée pour servir de base au pouvoir devient nocive, dangereuse, un terrain glissant vers tous les extrémismes. Et le Maroc d’aujourd’hui traverse un moment où les choses sont floues. Dans cette confusion des genres se nichent tous les dangers. Et il faut être très vigilants. Le fin mot de l’histoire dans ces territoires est la liberté de chacun, qui est la seule à nous garantir le salut. Sans cela, nous sommes tous condamnés à vivre des jours troubles.

Hay Mohammadi devient du coup, le centre du monde, l’espace où le destin de tout le monde se joue ?

J’espère avoir atteint à cette vision universelle du monde. Hay Mohamamdi est un quartier où j’ai grandi, où j’ai vécu une partie de ma vie, où j’ai rencontré des destins divers,  mais dans le roman, il peut être n’importe quel autre derb, Harlem, Barbes, Galata, Lavapiès, une favela brésilienne, un quartier paumé au fin fond du Pakistan… il suffit de changer les noms et les géographies et on est servi par les mêmes démons qui veulent nous asservir. Ce qui se passe dans ce périmètre oublié de Dieu se passe partout dans le monde. J’ai rendu compte d’une épqoue, d’un quartier, d’une catégorie humaine, d’un état d’esprit, d’une vie qui va au-delà des frontières de ce pays. Le Maroc devient du coup un prétexte pour parler de ce destin humain qui est aujourd’hui bafoué, où les repères manquent, sans valeurs, mais avec une injustice qui écrase tout le monde comme dans un engrenage implacable, un rouleau compresseur qui ne rate personne.  Sans oublier que Hay Mohammadi est un haut lieu ce la mémoire collective marocaine, une parcelle de terre qui a donné de grands noms auxquels je rends hommage aussi dans cette histoire d’amour et de fureur.




Abdelhak Najib et l’écriture romanesque

Par Noureddine Mhakkak, écrivain et journaliste 





Abdelhak Najib est un écrivain marocain de langue française, journaliste, critique d’art et présentateur d’une émission culturelle en langue arabe, L’écho de la création,  à la télévision marocaine (Al Oula), il vient de signer son roman « Les territoires de Dieu », à Carrefour des livres, le 3 juillet. Interview  


Vous venez de publier  un roman plein de la nostalgie, parlez nous de ce roman ?
Les Territoires de Dieu est un roman qui retrace une époque qui s’étale sur plus de quatre décennies. C’est un roman certes de souvenirs, de nostalgie, mais c’est aussi la chronique d’un quartier, en l’occurrence Hay Mohammadi, avec tout son poids historique, son référentiel culturel, son héritage politique… Ce roman, c’est surtout l’histoire de quatre enfants qui vont découvrir le monde, à travers les femmes, le sexe, les jouissances de la vie, dans ce qu’elles ont de plus pur, de plus naturel. Chacun fera son bout de chemin. Chacun trouvera une voie de salut, une manière propre à lui de s’en sortir dans un périmètre des territoires de Dieu, où la vie n’est pas un cadeau, mais un clavaire à ciel ouvert, un chemin de croix de tous les instants.  Mais c’est également une histoire de lutte, de combat, de refus, devant la fatalité, le destin préétabli et les manipulations quels que soient leurs origines, religieuse, politiques, idéologiques…

Quelle est la place du nouveau roman marocain écrit en langue française dans la littérature marocaine et francophone ?
Il y a aujourd’hui de nouveaux visages de la littérature marocaine d’expression française. Des auteurs qui ont chacun son approche de l’écriture, son univers et ses préoccupations littéraires et humaines. En ce qui me concerne, et je ne peux parler que de mon expérience, et il est claire. J’écris ma vie en arrière-fond et elle est un prétexte pour raconter d’autres existences humaines. Je pense que pour un écrivain aujourd’hui au Maroc, il faut une réelle coupure avec le folklore et la pseudo littérature pour touristes. On écrit parce qu’on a des choses à dire  sur son monde, ce que l’on vit, ce que l’on voit, sur son pays, ses semblables. On écrit parce qu’on a une certaine conscience de ce qui nous entoure et on y intervient pour le changer, le remodeler en créant d’autres univers parallèles.

Votre roman parle de la ville de Casablanca. Parlez-nous de votre relation personnelle avec cette ville …
Casablanca est une ville que j’aime et que je hais aussi. Ville à la fois riche de vie, mais hideuse, tentaculaire, sans histoire réelle, une ville bâtarde, une ville froide, sans âme, souvent toc et fausse. Chacun a évidemment son Casablanca. Celui que j’aime n’existe presque plus. J’aime un Casablanca Art Déco, aux beaux  bâtiments d’époque, aux hôtels particuliers  magnifiques, j’aime le Casablanca urbain, avec ses espaces verts qui ont disparu, ces belles salles de cinéma qui ont été rasées. J’aime le Casablanca populaire, avec de nombreux noyaux durs dans des quartiers mythique, mais tout cela a été dénaturé avec une démographie galopante et une vision urbaine sans queue ni tête.  Et j’aime la plage de cette ville, pourtant c’est l’une des rares villes côtière au monde avec de belles baies, qui a tourné le dos à la mer. C’est triste, mais c’est cela Casablanca, une matrone avachie, une garce, mais on n’est pas insensible à toutes ses aberrations et absurdités.

Vous êtes  romancier, critique d’art et présentateur d’une émission culturelle à la télévision marocaine, où vous vous trouvez mieux ?
Je suis d’abord journaliste avant d’être chroniquer et critique de cinéma et d’art. Mais je suis aussi un homme des médias. J’aime la télévision, j’aime le contact avec la caméra, les ambiances des plateaux lors des tournages pour  l’émission Sada Al Ibdae, qui bat des records d’audience. Mais j’aime aussi mon métier d’écrivain. Honnêtement, je suis à l’aise  partout et chaque discipline m’apporte une satisfaction particulière. J’ai dirigé des rédactions et même très jeune, j’ai travaillé avec de très bons patrons de presse, j’ai appris mon métier de journaliste sur le terrain, j’ai fait des reportages, des enquêtes sur le terrorisme, dans le couloir de la mort où j’ai fait le portrait de plusieurs dizaines de condamnés à mort, et cela restera pour moi de grands acquis pour ma carrière. Aujourd’hui, il y a la télévision et les romans, ce sont d’autres belles expériences qui approfondissent davantage ma vision du monde et mon contact avec les autres. Franchement, j’aime ce que je fais et  je le fais avec passion.

Quels sont vos projets culturels à venir ?
D’abord, il y a l’émission Sada Al Ibdae qui repart à la rentrée pour une autre saison. Toute l’équipe autour de Driss Idrissi, Raouf Sebbahi, Mohamed Chouika, Meriem Khalil et moi–même, a fait un très grand travail pour faire de cette émission un programme culturel phare, un Talk Show inédit, avec un réel concept, une vision et des tonalités différentes. Ensuite, j’ai un autre roman qui sort cette année, intitulé : « Le printemps des feuilles qui tombent », qui raconte la grande désillusion de ce que l’on a baptisé le Printemps arabe, et qui est pour moi, un hiver gelé, glacial, sibérien.  J’ai aussi mes  portraits dans le couloir de la mort qui sortent en deux tomes, intitulés : « Vivre dans le couloir de la mort ». Mais surtout un essai fourni et documenté sur le terrorisme sur lequel j’ai travaillé depuis 2001.  Sinon, j’ai des projets de films en tant qu’acteur, expérience que j’ai déjà vécue et que je suis tenté de reproduire.


mercredi 8 juillet 2015

Les Territoires de Dieu: ABDELHAK NAJIB, L’HOMME DES MOTS

ABDELHAK NAJIB, L’HOMME DES MOTS

 Par Sarah Naamane. Illy Magazine







Le journaliste et écrivain, Abdelhak Najib, vient de signer son roman à succès: “Les territoires de Dieu” à la librairie Carrefour des livres. Rencontre Illi est parti à la rencontre de l'auteur Abdelhak Najib, écrivain mais avant tout journaliste, essayiste et présentateur TV qui nous présente son roman "Les Territoires de Dieu" en quelques questions.   

ILLI : Votre roman peut-il être considéré comme une autobiographie ou juste une fiction ? Où s’arrête la réalité et où commence l’imaginaire?   

Abdelhak Najib : Soyons clair d’emblée: ce n’est pas du tout une autobiographie dans le sens où on l’entend. C’est-à-dire un roman qui raconte ma vie, sur 45 ans, avec un début, une fin, dans les détails, avec tous les événements d’une vie et tous les visages qui ont pu la peupler. “Les Territoires de Dieu” partent de mon expérience personnelle, reviennent sur quelques épisodes de mon existence, mais il y a une grosse part de fiction et d’imaginaire. Le réel sert de point d’ancrage, tout comme le quartier où j’ai vu le jour, Hay Mohammadi. Il y a des visages qui m’ont marqué, qui ont inpirés de nombreux passages dans le roman, mais l’histoire creuse d’autres sillons, crée d’autres réalités parallèles. Et c’est là que l’écrivain intervient pour transmuer la réalité, lui donner d’autres tonalités, la transfigurer, la remodeler à sa guise pour en faire sortir d’autres vérités, d’autres réalités qui viennent s’ajouter au socle initial qui est ma vie telle que j’ai pu la vivre entre Hay Mohammadi et le reste du monde où j’ai pu vivre, rencontrer d’autres cultures, d’autres visages, pour m’en nourrir et avoir assez de recul pour raconter ces Territoires. Tu dis "niet" au destin et à la fatalité et tu te révoltes.   

ILLI : Comment êtes vous passé de l’enfant de Hay Mohammadi à l’écrivain, l’essayiste, le journaliste et présentateur -télé? 

A.N : Votre question suppose que lorsque l’on sort d’un quartier aussi déshérité que Hay Mohammadi, il est très difficile de s’en sortir. Je suis d’accord avec vous. Les chances ne sont pas égales. Les dès sont pipés d’avance. Dans ce type de derbs, l’horizon est souvent- pour ne pas dire toujours- bouché. On ne te donne pas le choix. On t’impose une forme d’existence presque préétablie, à laquelle il faut que tu te plies sans broncher. Ou alors, tu dis niet au destin et à la fatalité et tu te révoltes . Tu fous alors un coup de pied dans la gueule du destin et tu lui dis d’aller voir ailleurs. Le refus m’a sauvé la vie. J’ai dit non, très jeune, et je me suis accroché au rêve, aux belles choses, j’ai aimé les arts et la culture très tôt, et je rêvais de devenir écrivain pour raconter ce monde et en créer d’autres. C’est le rêve qui m’a guidé pour faire des études, décrocher des diplômes, voyager, découvrir d’autres choses. Hay Mohammadi est une parcelle de terre qui a donné naissance à de grands artistes.    

ILLI : C’est une histoire de passion alors?  

A. N : C’est le fin mot de toute cette histoire. D’ailleurs tout le roman est animé par la force de la passion. J’ai toujours été très passionné. Les livres, le cinéma, la musique, la peinture ont bercé mon enfance, sans oublier que Hay Mohammadi est une parcelle de terre qui a donné naissance à de grands artistes.  Il faut dire que j’ai été bien inspiré. Il y avait certes la perdition sociale, le désespoir de certains, mais je voyais autour de moi d’autres y arriver par l’esprit, la force du mental et l’amour des belles choses. On le voit dans le roman, avec les scènes de cinéma que je créais enfant, les livres que je lisais dans le noir à la lumière d’une bougie ou sous un lampadaire dans la rue … La vie défilait pour moi comme dans un film et je savais qu’un jour j’allais y arriver. Je n’ai jamais douté un seul instant, même quand je raclais le fond, je savais intimement qu’une lumière en moi ne demandait qu’à illuminer ma route. Mais surtout ma famille, mes parents , mes frères qui ont nourri mon imagination, qui m’emmenaient au cinéma, me donnaient des livres à lire et me laissaient ma liberté pour découvrir la vraie vie, celles des ruelles, au contact du bitume sur le macadam des jours.  Chacun a fait son bout de chemin. D’autres sont morts quand certains font des allers-retours entre les rues et la prison.   

ILLI : "Les territoires de Dieu" présente beaucoup de personnages de votre enfance, que sont-ils devenus ? Avez vous des nouvelles de Malika, votre premier amour ? De Raouf  et des autres? 

A.N : Vous avez raison de souligner ce foisonnement de personnages dans "Les territoires de Dieu". Ils sont tous toujours là, plus ou moins. Certains ont quitté le Maroc pour ne jamais revenir, dégoûtés par leur vie d’avant. D’autres ont quitté Hay Mohammadi pour aller vivre dans le Sud, dans des régions montagneuses.  Chacun a fait son bout de chemin. D’autres sont morts quand certains font des allers-retours entre les rues et la prison.  Mais Malika (vous devinez bien que ce n’est pas son vrai prénom!) vit toujours, toujours aussi belle, aussi généreuse. Alia aussi sillonne le monde, voyage beaucoup mais je prends souvent de ses nouvelles. Raouf qui vit sa double vie, avec toujours autant d’aisance, le vieux soldat est toujours là, les voisins des vieux jours, les amis d’enfance que je salue ici et qui ont accompagné quelques unes des plus belles années de ma vie. On se rencontre avec autant de plaisir et on partage des souvenirs, une vieille aventure amoureuse et c’est comme ça que j’ai toujours des nouvelles de tout le monde. Sans oublier que ma mère et mes frères vivent toujours dans le coin. Alors j’y vais autant que je peux, avec toujours autant de bonheur. Le roman fait le solde de tous comptes avec le sacré.    

ILLI : Le roman parle beaucoup des femmes et de la religion, pourquoi tant de références à Dieu? 

A.N : J’ai toujours pensé que Hay Mohammadi comme d’autres quartiers du même genre dans ce pays ont été oubliés de Dieu. Oubliés de tout le monde du reste. Pourtant, malgré cette absence notoire, la fatalité réglait la vie des uns et des autres. Le roman fait le solde de tous comptes avec le sacré. On l’a tellement attendu cette délivrance par la religion qu’elle n’est jamais venue. C’est cela en somme, la leçon qu’ont bien assimilé tous les personnages de ce livre. Compter sur soi, que sur soi et se débrouiller pour ne pas se faire très vite laminer par le rouleau compresseur des jours. Dans ce vide de Dieu, il y a les femmes, cette belle bouffée de joie et de bonheur. La beauté, la sensualité, l’érotisme, le désir et la volupté pour tenir le coup, faire contre-poids contre la misère ambiante, misère sociale et surtout métaphysique. Encore la passion qui vient sauver tout le monde. Et aujourd’hui, l’actualité nous montre à quel point les démagogies religieuses peuvent être dangereuses, avec tout ce que cela crée comme scissions sociales à un moment où les Marocains ont besoin d’être soudés pour faire face aux dangers qui menacent un Monde arabe friable, fragile et aux abois.