mardi 26 février 2013

Pleinement de René Char




Pleinement de René Char


Quand nos os eurent touché terre,
Croulant à travers nos visages,
Mon amour, rien ne fut fini.
Un amour frais vint dans un cri
Nous ranimer et nous reprendre.
Et si la chaleur s'était tue,
La chose qui continuait,
Opposée à la vie mourante,
A l'infini s'élaborait.
Ce que nous avions vu flotter
Bord à bord avec la douleur
Etait là comme dans un nid,
Et ses deux yeux nous unissaient
Dans un naissant consentement.
La mort n'avait pas grandi
Malgré des laines ruisselantes,
Et le bonheur pas commencé.
A l'écoute de nos présences;
L'herbe était nue et piétinée.

Neiges de Saint-John Perse



Saint John Perse est l'une des voix les plus oraclesques de la poésie modernes. Son recueil Anabase 

Et puis vinrent les neiges, les premières neiges de l’abscence, sur les grands lés tissés du songe et du réel ; et toute peine remise aux hommes de mémoire, il y eut une fraicheur de linges à nos tempes. Et ce fut au matin, sous le gel gris de l’aube, un peu avant la sixième heure, comme en un havre de fortune, un lieu de grâce et de merci où licencier l’essaim des grandes odes du silence.

Et toute la nuit, à notre insu, sous ce haut fait de plume, portant très haut vestige et charge d’âmes, les hautes villes de pierre ponce forées d’insectes lumineux n’avaient cessé de croître et d’exceller, dans l’oubli de leur poids. Et ceux-là seuls en surent quelque chose, dont la mémoire est incertaine et le récit est aberrant. La part que prit l’esprit à ces choses insignes, nous l’ignorons.

Nul n’est surpris, nul n’a connu, au plus haut front de pierre, le premièr affleurement de cette heure soyeuse, le premier attouchement de cette chose fragile et très futile, comme un frôlement de cils. Sur les revêtements de bronze et sur les élancements d’acier chromé, sur les moellons de sourde porcelaine et sur les tuiles de gros verre, sur la fusée de marbre noir et sur l’éperon de métal blanc, nul n’a surpris, nul n’a terni.

Cette buée d’un souffle à la naissance, comme la première transe d’une lame mise à nu… Il neigeait, et voici, nous en dirons merveilles : l’aube muette dans sa plume, comme une grande chouette fabuleuse en proie aux souffles de l’esprit, enflait son corps de dahlia blanc. Et de tous les côtés il nous était prodige et fête. Et le salut soit sur la face des terrasses, où l’Architecte, l’autre été, nous a montré des oeufs d’engoulevent !

samedi 23 février 2013

Commune présence
 de René Char


Un poème de René Char sur la poésie, le don, cet inconnu qui nous sert de lanterne et nous exhorte de ne jamais rester sur place. 




Tu es pressé d’écrire

Comme si tu étais en retard sur la vie.

S’il en est ainsi fais cortège à tes sources.

Hâte-toi

Hâte-toi de transmettre

Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance.

Effectivement tu es en retard sur la vie

La vie inexprimable

La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t’unir.

Celle qui t’est refusée chaque jour par les êtres et par les choses
Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés

Au bout de combats sans merci.

Hors d’elle tout n’est qu’agonie soumise fin grossière.

Si tu rencontres la mort durant ton labeur

Reçois-la comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride

En t’inclinant.

Si tu veux rire

Offre ta soumission

Jamais tes armes.

Tu as été créé pour des moments peu communs.

Modifie-toi, disparais sans regret

Au gré de la rigueur suave.

Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit

Sans interruption

Sans égarement.


Essaime la poussière

Nul ne décèlera votre union.


Neiges de Saint-John Perse



Saint John Perse est l'une des voix les plus oraclesques de la poésie modernes. Son recueil Anabase a atteint des sphères de profondeur que peu de chantres ont pu touché. 


Et puis vinrent les neiges, les premières neiges de l’abscence, sur les grands lés tissés du songe et du réel ; et toute peine remise aux hommes de mémoire, il y eut une fraicheur de linges à nos tempes. Et ce fut au matin, sous le gel gris de l’aube, un peu avant la sixième heure, comme en un havre de fortune, un lieu de grâce et de merci où licencier l’essaim des grandes odes du silence.
Et toute la nuit, à notre insu, sous ce haut fait de plume, portant très haut vestige et charge d’âmes, les hautes villes de pierre ponce forées d’insectes lumineux n’avaient cessé de croître et d’exceller, dans l’oubli de leur poids. Et ceux-là seuls en surent quelque chose, dont la mémoire est incertaine et le récit est aberrant. La part que prit l’esprit à ces choses insignes, nous l’ignorons.
Nul n’est surpris, nul n’a connu, au plus haut front de pierre, le premièr affleurement de cette heure soyeuse, le premier attouchement de cette chose fragile et très futile, comme un frôlement de cils. Sur les revêtements de bronze et sur les élancements d’acier chromé, sur les moellons de sourde porcelaine et sur les tuiles de gros verre, sur la fusée de marbre noir et sur l’éperon de métal blanc, nul n’a surpris, nul n’a terni.
Cette buée d’un souffle à la naissance, comme la première transe d’une lame mise à nu… Il neigeait, et voici, nous en dirons merveilles : l’aube muette dans sa plume, comme une grande chouette fabuleuse en proie aux souffles de l’esprit, enflait son corps de dahlia blanc. Et de tous les côtés il nous était prodige et fête. Et le salut soit sur la face des terrasses, où l’Architecte, l’autre été, nous a montré des oeufs d’engoulevent !

vendredi 22 février 2013

Portraits de femmes de Philippe Sollers Et Dieu créa toutes les femmes


L’écrivain français Philippe Sollers signe un livre foisonnant sur les femmes. Dans la lignée de «Femmes», publié il y a plus de trente ans, l’auteur de «Passion fixe» nous offre un bel ouvrage sur le regret.




Teresa Cremisi, la directrice de Flammarion a dû sentir tout le rappel qui pourrait être fait sur Femmes, ce beau livre de Philippe Sollers, publié, il ya plus de trente ans. Sauf qu’écrire aujourd’hui sur les femmes, sous forme de portraits libres, qui ne sont ni roman, ni nouvelles, ni essai sur la féminité, à 76 ans, nous rend Philippe Sollers beaucoup plus proche, plus humain, un brin moins détaché. Et c’est cette absence de détachement qui rend ces Portraits de femmes très beaux. L’autre élément touchant dans cette entreprise du regret, c’est la disparition, au printemps dernier, de Dominique Rolin, celle qui a été «la muse», l’accompagnatrice.  

Ce qui dérangeait par moment, chez cet auteur intelligent dont le masque mordant et un tantinet désagréable pouvait même froisser et partant rebuter (quitte à refuser la lecture) devint du coup admirable d’humanité. A la fois émouvant, centré sur lui-même, avec à la fois une poésie du cœur et une intelligence qui du sentiment. l'écrivain autrefois triomphant et combatif est devenu émouvant et méditatif. 

On retrouve alors plusieurs pans d’une vie tenue au secret. D’abord l’amour. Le désir, l’appel de l’autre, des autres. Il est permis de pénétrer cette double vie qui l’a à la fois nourri et peut-être meurtri, par moments. Il y a ce va-et-vient entre Dominique Rolin et Julia Kristeva,  deux figures tutélaires d’un univers chargé de  non-dits, de mystères et de beauté. 

Et pour compléter ce tableau, il a fallu un triptyque amoureux, passionnel, charnel. On est face à une autre femme, une autre amoureuse, une jeune espagnole, Eugenia. C’est le temps du retour amont. Le passé qui ressurgit dans une écriture limpide sur le souvenir. C’est Eugenia qui ouvre les portes de la perception au jeune Philippe.  Initiation et entrelacements de la  langue et du sexe, dans une parcimonie des détails qui rend d’autant plus le récit suggestif et passionnant.

Portraits de femmes. Philippe Sollers. Flammarion.  

Push The Sky Away, dernier album de Nick Cave: Les limites du firmament


Le musicien, Song writer, écrivain et scénariste, Nick Cave vient de sortir son dernier album le 18 février 2013. Push The Sky Away est le fruit rare d’une maturation sous des latitudes de génie.

On va parcourir ce qui se fait dans la musique actuelle. On va décortiquer les textes de tous ceux qui ont pour nous valeur de musiciens et de Song writers. De compositeurs aussi. Nick Cave, avec une petite poignée d'irréductibles de la profondeur, tels que Tom Waits, Leonard Cohen et à un degré moindre, PJ Harvey, est l'un des rares musiciens vivants à livrer une poésie pure, christique, nourrie aux profondes passions humaines, entre errance, espérances, désir, rêveries folles et volonté de dépassement. 

Tout ce qui est donné à écouter ici  coule d'une immense plongée en spéléologue dans l'âme humaine pour en scruter quelques recoins, qui demeurent, entre clair et obscur. Le nouvel album qui vient après Dig Lazarus Dig est composé de titres aussi solides qu’aériens.  We No who u are, le premier qui a été lancé sur la toile, comme un avant-goût du cru qui allait déferler. 

La combinaison est parfaite entre sonorités et paroles.  C’est ce qui fait la grande musique. A un moment donné, la note épouse le mot. Et même les silences, qui sont de la musique, semblent participer de ce désir de verser dans la pureté  jubilatoire. Celle-ci on la retrouve dans le morceau Jubilee Street. Orchestration simple avec juste ce qu’il faut pour relever quelques lignes  où l’on sent la quintessence d’un album qui a été voulu comme un morceau de choix. 

Album de maturité, de maturation, de travail sur soi pour passer à une nouvelle étape musicale.  Le violon de Warren Ellis résonne en filigrane comme un fil conducteur qui nous distille d’autres balades telles que  Wide lovely eyes, Water’s Edge,  Finishing, Higgs Boson Blues, We Real Cool, Mermaids ou encore Needle Boy et Lightning Bolts. 

Ici, dans Push The Sky Away, la beauté des notes, ces propos qui vont au-delà de ce que l'industrie du disque nous distille aujourd'hui comme dope indigeste, n’a d’égale que la voix instinctive d’un poète inspiré. 

mercredi 20 février 2013

La nuit américaine de Jim Morrison


Le grand poète américain Jim Morrison (1943-1971) a signé quelques recueils de poésie enchantée. La nuit américaine fait partie de ce que la littérature a donné de pur depuis Rimbaud.


La comparaison est très vite soutenue par  Jim Douglas Morrison, chanteur du mythique groupe The Doors, disparue à l’âge de 27 ans dans son exil parisien.  De la Nuit américaine à Une saison en enfer, il y a tant de rapprochements. D’abord le ton, l’acuité, la révolte, le lyrisme, la violence des propos et une certaine vision du monde. Morrison, le chanteur, le poète et cinéaste, livre dans ce recueil une certaine approche ontologique du passage sur terre. Tout y est : l’humanité en perdition, la sexualité comme feu divin, l’appel d’un univers païen, la femme et ses infinies manifestations, l’amour et son corollaire la mort. Comme dans ce beau texte de Jim Morrison où il est dit que l’homme peut appuyer sur la hanche de la femme pour que la mort sourie. Toute une poésie dédiée à l’érotisme, la sublimation des sens et surtout à cette transcendance au-delà des contingences du vécu. Cette nuit américaine est aussi une prière où les bacchanales se mue en saturnales de l’esprit comme chez Nietzsche dans un éternel retour amont pour célébrer le divin en chacun de nous. Une élévation au rang des divinités pour toucher à cette lumière que Prométhée nous a donné  et qui conduit des figures comme Sisyphe, Thanatos, Eros, Dedalus aux confins d’eux-mêmes pour sauver leur humanité fragile. 


Editions Christian Bourgois.  

Un poème de René char


Un poème de René Char pour commencer la journée. Rien de tel pour tenir tête et se sentir revigoré, armé pour faire face à la platitude d’un monde sans lyrisme.

Redonnez-leur ce qui n’est plus présent en eux,
Ils reverront le grain de la moisson s’enfermer dans l’épi et s’agiter sur l’herbe.
Apprenez-leur, de la chute à l’essor, les douze mois de leur visage,
Ils chériront le vide de leur cœur jusqu’au désir suivant ;
Car rien ne fait naufrage ou ne se plaît aux cendres ;
Et qui sait voir la terre aboutir à des fruits,
Point ne l’émeut l’échec quoiqu’il ait tout perdu.

mardi 19 février 2013

Le pouvoir absolu des mots


Mon ami est écrivain et il connaît le pouvoir absolu des mots. Alors, il en use avec beaucoup de parcimonie. Mais quand il est en goguette, il fait ce qu’il appelle son « orgie verbale ». Mon ami me convie à partager son apéritif sur fond de Chet Baker et de Tom Waits. 

Au moment où l’on écoute “Hard Attack and Wine”, il se lève et regarde par la fenêtre la grisaille du jour finissant. Au bout de quelques minutes que je pensais être la manifestation de ce dur moment que vivent tous les célibataires entre chien et loup, mon ami se retourne, l’œil un peu humide et se lance : « Aimer quelque chose ou quelqu’un et l'embellir, c'est tout un. » 

Il n’attendait pas mon commentaire pour continuer sur sa lancée. Il était déjà entamé ce chemin qui mène l’homme à des profondeurs ou des surfaces connues de lui seul. Il n’avait qu’à faire bouger sa langue au fond de sa bouche pour que ses lèvres laissent échapper tant de choses. “Jersey Girl” est une magnifique ballade de Waits avec sa voix de Chevrolet cabossée. J’aime cette chanson. 

Mon ami ne le sait que trop. Il met sa voix sur celle de Waits et il entonne sa propre chanson : « Parmi mes croyances immuables, il y a une ligne sinueuse qui se refuse à toute droiture ». Le début du grand déballage devant le seigneur prend forme. Et plus rien au monde ne peut l’arrêter. « Je crois à l'amour, je crois à la beauté, je crois à la justice, je crois malgré tout que sur cette terre le bien l'emporte sur le mal et que les hommes créeront Dieu ». 

Comme un idéal de sacralité. Et rien de plus. Je ne dis pas un seul traître mot. J’attends. Et j’écoute… 
Quand on réfléchit longuement, on arrive immanquablement à quelque solution ou résolution. Les nuits blanches étant les plus propices aux grandes révélations. 
Elles valent dans un sens tant de religions. 
On y perd sa foi, comme on y retrouve d’autres voies de salut. Parmi celles qui ont trouvé écho dans mon esprit, celle-ci : la grande prétention au bonheur est l'énorme imposture. 


C'est cette obsession qui complique toute la vie. Celle-là même qui rend les gens si venimeux, crapules, imbuvables. 
Par moments, je suis convaincu qu’il n’y a pas de bonheur dans l'existence. Il n’y a que des malheurs plus ou moins grands, plus ou moins tardifs, éclatants, secrets, différés, sournois... avec lesquels on s’arrange du mieux que l’on peut. 

En définitive, il est vraisemblable que l’on ne soit que des comparses de notre propre existence. La vie nous dépasse de loin et son sens caché nous mène au gré de ses intempéries. Le peu de subtilité que l’on met dans le regard que l’on porte sur sa propre vie est souvent une volonté de dernier souffle pour survivre. 
Quand je traverse la nuit, il arrive que je touche de la main des bribes de certitudes sous forme de questionnements. 
Comme cette parenthèse avec l’incertain. 

Laisse-moi te demander, cher ami, me dit-il, sans attendre l’esquisse d’une velléité de réponse, laisse-moi te demander une chose : « de tout ce que nous faisons ici, dans cette vie, toute la sainte journée, qu'est-ce donc qui mène quelque part ? Qu'est-ce qui nous donne quelque chose, j'entends quelque chose de vrai, tu comprends ? Le soir, on sait que l'on a vécu un jour de plus, que l'on a appris ceci ou cela, que l'on a suivi l'horaire, mais on n'en est pas moins vide, j'entends intérieurement, on éprouve une sorte de faim intérieure... 

N’est-ce pas le cas pour toi ? Suis-je différent au point de vivre cela presque constamment et sans répit. Ou est-ce, comme je le pense du reste, le lot de tous, à différents degrés ? » Ce qui demeure sûr, c’est que quand le soir tombe, il y a toujours quelques instants qui ne ressemblent à rien d'autre… Je voudrais aussi t’inviter à méditer sur cette idée qui est en fait le fruit d’une introspection qui, à la base, était destinée, au « Manuscrit », mais qui, faute d’avoir développé le personnage de Selma, j’ai laissé de côté pour mon roman actuel, intitulé, comme tu le sais, « Amours ». (Mon ami ne fait rien d’autre dans la vie qu’écrire.) 


La pensée est la suivante : le sentiment de n'être pas compris du monde et le fait de ne le point comprendre, loin d'accompagner simplement la première passion, en sont l'unique et nécessaire cause. Et cette passion elle-même n'est qu'une fuite où être deux ne signifie qu'une solitude redoublée. En somme, l’amour entre deux personnes est-ce une plénitude, un vide, une vacance de soi dans l’autre ou une recherche de fuite ? 

Bref, les idées fusent et les propositions que l’on se fait à soi sont légion. Et la vérité dans tout ceci ? Je crois pouvoir dire sans ambages que la vérité est inexistante. 
C'est une chose bien étrange que les pensées. Elles ne sont souvent rien de plus que des accidents qui disparaissent sans laisser de traces, elles ont leurs temps morts et leurs saisons florissantes. 
C’est de la sorte que je les conçois, que je les appréhende et les vis. 

Les pensées sont volatiles. On peut faire une découverte géniale et la voir néanmoins se faner lentement dans vos mains, telle une fleur. La forme en demeure, mais elle n'a plus ni couleur, ni parfum. Mais où est passée ma certitude d’il y a un instant ? C’est à peine si je peux jurer qu’elle avait droit de cité, il y a un clin d’œil de cela ! ! C'est-à-dire que l'on a beau s'en souvenir mot pour mot, que sa valeur logique peut bien être intacte, elle ne rôde plus qu'à la surface de notre être, au hasard, et sans nous enrichir. 

Que s’est-il passé ? C’est quoi ce processus qui délimite les parois de l’esprit et fait que les idées qui naissent de nous disparaissent dans leur conviction ? 
Ce qui arrive parfois, (tu as dû vivre cela) c’est qu’il faut attendre jusqu'à ce que revienne soudain - quelques années plus tard peut-être - un moment où nous prenons conscience que dans l'intervalle, même si notre logique a paru en tenir compte, nous avons complètement négligé sa présence. 

La présence de l’idée qui est née et qui a fait son propre voyage en dehors de nous mais emportant des pans entiers de notre moi le plus secret. 
Ce que je déduis de tout cela ? peut-être qu’il faut apprendre à éprouver la vie comme un long glissement calme. Au moment où l'on y parvient, on est aussi près de la mort que de la vie. 

Entre la vie que l'on vit et celle que l'on sent, que l'on devine, que l'on voit de loin, il y a cette frontière invisible (tracée autour de l'homme), telle une porte étroite où les images des événements doivent se faire aussi petites que possible pour entrer en nous… Evidemment, toutes ces lignes ont à voir avec ce que je vis et ce que le cours des jours m’offrent comme viatique pour l’existence. 


Quand mon ami prononce ces mots, j’en déduis qu’il en est à la fin de sa parenthèse en forme de dialogue monologué. Je n’avais aucun besoin de dire à mon ami que ce qu’il disait était ma vie aussi vue sous un angle autre. Il le savait et parlait pour deux. Il appelle cela dans son jargon la disponibilité de l’écrivain. Parole qui m’a toujours arraché un sourire confus pour des raisons multiples. 

Mais bon, comme dirait toujours mon ami, il faut bien que quelqu’un parle un jour au nom des autres et quand il ne trouve pas d’échos, il fera comme le Zarathoustra de Nietzsche, il s’éclipse en attendant de nouvelles oreilles prêtes à l’écouter. Ce soir-là, j’ai fait office d’une grande oreille pour cet ami qui boit à la source de la vie comme Jean-Baptiste sur les flots de la mer morte.

quelques aphorismes de René Char



Quelques aphorismes, quelques instants de poésie de René Char en partage avec ceux pour qui la poésie et la beauté ne sont pas de vagues idées esthétiques…

Le temps n’est plus secondé par les horloges, dont les aiguilles s’entre-dévorent aujourd’hui sur le cadran de l’homme.  

L’adoration des bergers n’est plus utile à la planète

Si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé

Notre héritage n’est précédé d’aucun testament  

 Nous errons auprès des margelles dont on a soustrait les puits  

À tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide, mais le couvert est mis.

Serons-nous plus tard semblables à ces cratères où les volcans ne viennent plus et où l’herbe jaunit sur sa tige ?

Voici l’époque où le poète sent se dresser en lui cette méridienne force d’ascension.

Le fruit est aveugle. C’est l’arbre qui voit.

Être du bond. N’être pas du festin, son épilogue

Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté. 

Invisible de Paul Auster: L’écriture du labyrinthe

L'un des derniers romans de l’écrivain New yorkais, Paul Auster, est un dédalle où se mêlent tant de personnages, de souvenirs et de narrations. Une grande réflexion moderne sur l’écriture.

Depuis la Trilogie New yorkaise, Paul Auster, n’a fait que scruter les soubassements du travail d’écrivain. Son dernier roman Dans le scriptorium en a été le point culminant. 

Mais ce qui était supposé avoir posé l’énigme de l’écrit n’a fait qu’exacerber l’envie et le désir d e l’un des plus grands auteurs vivants à pousser plus loin son travail de spéléologue de la littérature.

 Dans son récent roman, publié en 2010, c’est une myriade de points de vue qui se chevauchent. Construit tel un puzzle, ce roman, crée des pistes et des fausses pistes. Il entame une route, la laisse en suspens, en ouvre une autre, puis une autre, ad infinitum, puis il ne revient jamais là où il a laissé son récit. 

C’est que dans ce jeu de miroir, il y a de multiples narrations, chacune prise en charge par un auteur différent. Nous sommes face à un patchwork qui lie des passages écrits par Adam, ceux que rédige Jim Freeman à partir des notes de son ami, mais aussi des extraits du journal de Cécile… 

On peut allonger la liste comme on veut. Comme dans un labyrinthe, le fil d’Ariane ici tient à la lecture elle-même, qui devient du coup, une autre forme d’écriture pour compléter un tableau déjà à multiples signatures.    

Les récits s’emboîtent, mènent vers une révélation qui sans cesse se dérobe, vers une vérité qui n’éclatera pas.  Et c’est peut-être là, le sens même de l’écriture, une vérité qui se refuse à être touchée, encore moins dévoilée. 

Non pas une écriture de mystère, encore moins un attrait pour un je ne sais quel mysticisme du caché, mais juste une approche multiple sur le sens même du texte en tant que forme d’art.


Paul Auster, Invisible. Actes Sud.

lundi 18 février 2013

Lasagnes et viande chevaline


Il s'agit là d'un billet d'humeur pour voir quel traitement fait-on chez nous, au Maroc,  à tout ce qui a trait à l'alimentation et la sécurité des consommateurs. 

Quel scandale autour de la viande  de cheval trouvée dans des lasagnes cuisinées d’une marque française dont je refuse de faire la publicité. Le gouvernement français est mobilisé. David Cameron, le Premier ministre britannique monte au créneau. En Roumanie, d’où provient la viande, c’est une crise politique, idem à Chypre et en Slovénie, pays où il y a des transactions sur la même viande mise en cause. 

Pourtant, les autorités sanitaires ont affirmé preuves à l’appui qu’il n’y a aucun danger pour les consommateurs. La viande chevaline, étant moins grasse que celle du bœuf, ils gagnent au change. Moins de cholestérol, moins de gras, moins de nocivité. Mais le fait de berner les clients, cela met en branle toute une machinerie judiciaires. On ouvre des enquêtes, on veut trouver le coupable. Bref, on montre à celui qui fait tourner l’économie, c’est-à-dire celui qui achète, vous et moins qu’il est le centre de toutes les attentions.

Au Maroc, souvent, on achète des viandes dont on ne connaît pas l’origine animale ou autre… va savoir. Pas la moindre traçabilité. Si tu essaies de chercher d’où vient le morceau de dinde que tu ingurgites, je te conseille de laisser tomber tout de suite. 

Non seulement tu vas perdre un temps fou à tourner en rond, mais la tentative est vaine. Personne ne te le dira. Pour la simple raison que personne ne sait. Pire, on s’en fout d’où vient la viande. Mange et tais-toi. Estime-toi heureux qu’on te déniche de la variété  alimentaire alors que d’autres n’ont que le basique pour ne pas tomber dans la sous-nutrition.

Même dans certaines surfaces, tu prends tes provisions et tu es confronté à un dilemme. Mais de quoi est faite cette mortadelle à la couleur bizarre ? Le vendeur te dira, que c’est bon. Pourquoi, c’est bon ? Parce que  tout le monde en mange et personne n’en est mort. Encore. Ou alors, c’est déjà arrivé, mais on n’a pas fait le lien entre un produit douteux et une mort subite.

Au Maroc, le consommateur doit juste débourser. Il remplit le chariot, paie à la caisse et si le besoin le prend de faire une réclamation, on le remet en place. C’est le concept marocain du respect du consommateur. 

Si on te vend du yaghourt périmé, du lait qui sent mauvais, de la viande avarié, du poisson pourri… fais toi une raison. Mange et prie pour que tu ne passes pas à la trappe cette fois. Remarque, avec tout ce que nous, Marocains, nous avons mangé comme saloperies, on a dû, depuis le temps, développer une résistance sans failles, aux toxines et autres microbes mortels. C’est pas là un gage de la bonne et parfaite santé des Marocains ? 

mardi 12 février 2013

L’Eté où il faillit mourir de Jim Harrison


L’écrivain américain, Jim Harrison signe un recueil de nouvelles à la fois enraciné  dans son Michigan natal et ouvert sur les vastes étendues humaines. Grandiose.

Encore ce magnifique Michigan. Toujours ces plaines verdoyantes. Ces montagnes où la liberté tutoie la grandeur des bisons. Chez Jim Harrison, auteur de Dalva, de La route du retour, Légendes d’automne et Wolf offre un autre regard en trois nouvelles sur sa terre natale. Toujours sur fond d’une Amérique désabusée.  

L’Eté où il faillit mourir, cela sonne comme l’apocalypse ajournée, la fin du monde différée pour cause de non-compatibilité avec l’ailleurs. Mais Jim Harrison aime tous les ailleurs, ceux où la nature et l’homme copulent en des orgies dionysiaques. D’ailleurs entre la bête et l’homme, il n’y a pas beaucoup de différence. A peine quelques ajustements à faire pour que les deux espèces puissent trouver un vaste terrain d’entente.  

Chez Harrison, c’est toujours sur les grandes étendues verdoyantes du Michigan, que l’histoire prend corps. Ici il s’agit de Chien Brun qui se met en selle pour courir la plaine, dévaler les pentes et sauver une fille des rouages du système en l’adoptant. En voilà déjà une nouvelle naissance dans cet à priori de la mort. Et la nouvelle se décline comme une marche solitaire entre deux individus qui décident de faire de l’amour le premier venu.

Ce qui suit tranche avec ce début, mais nous sommes toujours dans les mêmes sillages. Un bel homme sur le retour et trois femmes. C’est la deuxième nouvelle. «Traces» écrit l’auteur, empreintes de vies éparses et désirs d’autres existences enfouies entre oubli, rêveries secrètes et beaucoup de non-dits.

Jim Harrison livre là quelques aspects de son écriture la plus jubilatoire entre sublimes passages autobiographiques, allant de l’enfance jusqu’aux perditions de l’homme «plus âgé». Mais c’est le cheminement qui prend ici toute sa valeur. La route, thème récurrent chez Harrison. Ces pas qui se suivent. Ces aventures qui forgent l’homme et lui donne sa véritable teinte.

C’est cela cet été où la mort devait immanquablement frapper de son sceau l’humanité à flanc de montagne. Car quelle que soit la liberté à prendre, tous les chemins sont une quête qui va de soi à soi. Au fil des pages, Jim Harrison montre à quel point l’homme est pétri de grandeur, mais aussi  quelle est grande sa fragilité innée. Le secret d’une vie simple est de savoir devenir qui l’on est, même dans la mort.


L’été où il faillit mourir, Christian Bourgois.

Wrecking Ball de Bruce Springsteen: Un album anti-Wall Street



Le dernier album de Bruce Springsteen en partage pour quelques moments de lucidité musicale.
Le Boss ne fait pas dans la dentelle. Après Working on a Dream et les sublimes The Wrestler et Outlaw Pete, Bruce Springsteen signe un nouvel opus contre le temple de la finance mondiale, Wall Street.
Un album fort, costaud, qui sonne comme un coup de poing donné très vite, avant qu’il ne soit trop tard,  aux dérives de l’argent et des argentiers de ce monde. Wrecking Ball cogne dur contre toute cette politique mondiale qui enrichit davantage les riches et plonge dans l’abîme des millions de familles qui doivent accepter de croupir dans la misère. Tout ceci au nom de la pièce ronde, du billet roi.
Entre une musique a qui a trouvé le juste compromis entre les exigences d’un modernisme, souvent, approximatif, et un rock âpre et solide des premiers instants des E Street Band, le Boss, malgré quelques ratages, a su livrer une belle bataille à ce monde scindé en deux.
Album américain jusqu’au bout des ongles, Wreckling Ball aboutit à cette richesse des textes et une orchestration qui renoue avec le Springsteen de Born To Run. À coup sûr l’une des livraisons les plus belles de l’année 2012.    

Wrecking Ball. Bruce Springsteen.1 CD Sony.