Geneviève Brisac et Agnès
Desarthe se sont penchées sur les textes de l'écrivain anglais (1882-1941) avec
beaucoup de subtilité. Soixante-trois ans après son suicide, qui a encore peur
de Virginia Woolf ?
Virginia Woolf est un immense mystère littéraire.
Une sorte de génie habité par la mort et la douleur. Approcher l’oeuvre, c’est
toucher aussi du même coup du bout des doigts la femme Virginia. A la fois un être
et un artiste inclassables. La création littéraire de Virginia Woolf est arrivée
au moment où deux géants des lettres humaines étaient en passe de léguer à la
postérité la quintessence de leurs arts: James Joyce avait livré Dédalus, son
Ulysses avait pris place au centre du Panthéon littéraire et Finnegan’s Wake était
en gestation avec pour secrétaire Samuel Beckett en personne. Au même moment, s’élaborait
l’Homme sans Qualité de Musil. Sur un autre plan, Marcel Proust avait achevé sa
Recherche et le monde des Lettres ressentait la force d’une telle avalanche. C’est
dans ce contexte qu’il faudra replacer le monde imaginaire de Virginia Woolf.
Geneviève Brisac et Agnès Desarthe touchent le fond
de cette oeuvre en axant leur travail sur l’importance de l’enfance dans une
telle écriture. Il y a à la fois la peur et la souffrance de la perte précoce
de la mère, la rigidité et la froideur du père, les agressions sexuelles des
deux demi-frères, la mort du frère tant aimé... et d’autres mutilations précoces.
“L'aptitude à recevoir des chocs est ce qui a fait de moi un écrivain.” Une
telle phrase pourrait résonner comme le “j’écris parce que la mort me talonne”
de Proust. L‘écriture remplit ici son rôle de réceptacle de la douleur.
On
couche sa vie sur du papier et on en exorcise la teneur amère, purulente,
cruelle et inoubliable. Car l’écriture n’est à ce moment qu’un paravent contre
les attaques de la mémoire et ne les annihile pas. Et le travail de Virginia
Woolf de Mrs Dalloway, à La Promenade au phare en passant par Orlando, les
Vagues, autant que ses nouvelles, son journal et sa correspondance, n’est qu’une
tentative de comprendre le passé, l’enfance, le berceau de la vie. Cette
catharsis de soi dans le mot pourrait s’avérer intéressante quand le chemin
pris pour atteindre qui nous sommes n’est pas tronqué. Chez Virginia Woolf l’exigence
vis-à-vis de soi revêtait l’aspect d’un sacerdoce. Et ce n’est qu’à ce moment
et à travers un tel rapprochement avec soi-même qu’écrire peut être une prise
de possession de soi et de son existence.
Pour Geneviève Brisac et Agnès Desarthe, c’est la
grande maîtrise de l’entourage, la grande observation qui sont les clés de
l'univers woolfien. Elles mettent en avant sa capacité de tout comprendre, de
tout voir sous le prisme de l’analyse lucide et subtile. Et c’est cette suprême
intelligence qui devait lutter constamment contre la douleur de l’enfance, les
cicatrices des jours passés, mais qui ne veulent pas mourir. Dans les écrits de
Woolf, la douleur n’est pas transmuée en bonheur. Loin de là, elle n’est pas
non plus une assommante mélancolie de pacotille pour faire de l’effet. Mais de
l’art avec ce qu’il a en lui de grande vérité sur l’être et l’existence.
VW, Le mélange des genres, de G. Brisac et A.
Desarthe, éd. de l'Olivier, 274 p
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