mardi 30 juin 2015

Parution : « Les territoires de Dieu » de Abdelhak Najib Hay Mohammadi, centre du monde

 « Les territoires de Dieu » de Abdelhak Najib 
Hay Mohammadi, centre du monde 




Dès les premières pages de ce roman, le ton est donné. Abdelhak Najib, journaliste, chroniqueur et animateur télé, n’y va pas par quatre chemins. Tout en prend pour son grade : la société, la famille, la religion, la liberté, la politique, les valeurs humaines… Seule l’amitié semble trouver crédit dans «Les Territoires de Dieu». C’est simple, cette histoire éclatée de plusieurs amis d’enfance, qui luttent pour se créer une place au soleil, passent de découverte en découverte, de déconvenue en déconvenue, mais ne laissent jamais tomber. Ils ont appris sur le macadam que la vie s’arrache et que seul celui qui veut se relever est digne qu’on lui tende une main salvatrice. Abdelhak Najib connaît très bien son sujet. Hay Mohammadi, qui est l’écrin grandiose de cette histoire devient du coup n’importe quel autre quartier dans le monde. On peut y trouver des personnes comme vous et moi, des citoyens déçus, des hommes amoureux, des femmes libres, des enfants blasés à un âge précoce et un véritable conflit identitaire et référentiel par rapport à des valeurs qui semblent biaisées, contradictoires et hypocrites, par moments. 
Ce qui frappe dans « Les territoires de Dieu », c’est cet écheveau de lignes qui se coupent et se recoupent pour construire des paysages humains à la fois imaginaires et réels, mais qui sont tous suspendus et comme en apesanteur. Abdelhak Najib décortique un Maroc connu et méconnu, une époque trouble de notre histoire récente. Il va au fond des choses, raconte un pays en friche, un pays en gestation, un monde à naître. Il procède par des raccourcis qui se multiplient comme autant de lignes de fuite pour raconter le passé et l’avenir. D’ailleurs, quand on y regarde de près, toutes les situations dans ce roman à la fois fort, grinçant et très revanchard, sont des lignes de fuite, des échappées pour creuser d’autres brèches dans la fatalité des jours. Il s’agit en fait de sinuosités de la mémoire, un jeu subtil sur ce qui a pu avoir lieu, ce qui a été revu à la loupe du présent et ce qui sera, dans une optique différente de celle dictée par le fatalisme ambiant. Abdelhak Najib multiplie les procédés narratifs. Il passe de tracés linéaires, à coups de ratures pour réparer le déjà-vu en passant par des empreintes dans le corps même de la vie, telles des visions d'évasion qu'aucune perspective heureuse ne saurait retenir ni arrêter. Mais sans amertume, sans rancune aucune, ce roman regorge de passages drôles, où les éclats de rire le disputent à une imagination folle qui transforme la douleur en rire fou. Abdelhak Najib, qu’on ne présente plus, journaliste, essayiste, chroniqueur et animateur télé, signe avec ces « Territoires » un roman puissant avec des consonances universelles, qui font de lui un auteur majeur de la littérature marocaine d’expression française. 

« Les territoires de Dieu », Abdelhak Najib, Editions Les Infréquentables. 182 pages. 80 dhs. Actuellement en librairie.

samedi 27 juin 2015

Joints contre alcools : le grand dilemme du ramadan

Chronique

Par Abdelhak Najib



C’est une loi quasi scientifique : à l’approche du ramadan, il faut compenser la faim par d’autres excès. On sait qu’on va trimer, qu’on va avoir les crans et les crocs parce qu’on n’a rien de substantiel dans le corps, alors il faut se lâcher. C’est naturel. Terrible dilemme. Il faut arrêter de boire, mais on va fumer des tonnes de haschich, paraît-il ce n’est pas « 7ram ». Pour moi, qui suis néophyte dans les affaires religieuses, je demande conseil à un Fqih tant ce paradoxe sur fond de drogue me pose problème (juste dans le sens strict de mon désir de saisir de quoi il en retourne). Alors monsieur l’homme religieux : alcool et haschich, c’est quoi la différence ? « Ils sont tous les deux 7ram. » Voilà qui a le mérite d’être limpide. Alors comment ça se fait que des millions de Marocains arrêtent de boire, mais doublent au moins leurs doses de cannabis durant ramadan. C’est une drogue comme une autre, mais, on en consomme comme la chebbakia, les briwates et autres dates durant le mois sacré. D’ailleurs, le cannabis a tellement la côte durant les 30 jours de jeûne que plusieurs se recyclent pour l’occasion en dealers. Ça rapporte, ça crée des liens sociaux, ça fait monter d’un cran le statut social de certains. Bref, il paraît que les joints servent de ciment humain à tous les niveaux. Mon ami chauffeur de taxi me dit  que : «c’est pour ça que c’est toléré. On sait qu’on est complètement pété avec quelques joints corsés, mais on ne peut pas tout interdire d’un coup. On risque une sacrée pagaille. Alors, pas de vin, ni bière, ni aucun autre tord-boyaux, mais on roule, on s’enfume, on calme les esprits chauffés, dans l’éther de l’herbe». Mon ami taxi driver devient lyrique quand il parle de joints. Je le soupçonne d’y goûter des fois, mais il  jure ses grands saints que non. Je le crois. Sauf que nous n’avons toujours pas notre réponse. Mon acolyte semble avoir trouvé la bonne parade : « tu sais mon ami, du haschich on en produit à revendre. Normal d’en consommer douze mois sur douze. Quant aux alcools, l’histoire est compliquée. Le texte sacré en parle, on ne peut pas faire comme si on n’a pas bien lu. Alors on choisit, on fait dans la mesure et on laisse aux gens le choix. Tu ne boiras pas, mais tu fumeras. Tu fumeras toute ta race si le cœur t’en dit. Et le jour de l’Aid Al Fitr, tu peux même te faire un cocktail à base de joints, de bière, de vin rouge, de Whisky, de Ma7ya et tout ce que tu veux.»
Et il n’y a pas  que cela qui est vécu avec frénésie durant le mois sacré. Tous les interdits deviennent coriaces. Ils s’imposent aux pauvres jeûneurs. Avez-vous remarqué cette braderie du sexe durant ramadan. Ça commence à draguer dès le matin. On flirte en douce, on se passe des numéros, on programme l’après la rupture du jeûne. On fomente des orgies. Le pourquoi est clair pour les analystes de l’âme humaine. Mais pour mon ami taxiste, il y a plus : «On affame le corps, mais on nourrit l’âme avec du sexe », qu’il me sort. Je vous ai dit qu’il a l’âme d’un poète mon ami aujourd’hui. Ce qui ne change rien à la donne, puisque nous avons beau donner dans les discours dogmatiques, rabâcher des thèses sur la sacralité, redoubler d’hypocrisie et de slogans sacro-saints : pour de très nombreuses personnes, ramadan est devenu juste un mois où l’on fait bombance, on se shoote à tout et on se paie des parties de jambes en l’air.   


Complot sur fond de sexe


 Par Abdelhak Najib


Ne me dites pas que c’est juste un hasard de calendrier cette succession de folies qui frappent le Maroc et les Marocains de tous poils. Much Loved et ses conséquences à la fois humaines, dogmatiques, religieuses, judiciaires. L’arrière-train de Jennifer Lopez et ses fatwas. Mawazine et ses fantasmes nourris de rumeurs débiles. Des scènes de vindicte publique dans les rues pour le jeûne et les libertés individuelles. Des manifestants en banderoles noires, avec de l’écriture en blanc, qui dit non aux bikinis, même portés par des touristes dans les plages marocaines… et ce n’est que la partie émergé d’un gros Iceberg dont en mesureras dans les semaines et les mois à venir toute la hauteur et l’étendue.  Si je suis le raisonnement de mon ami Chauffeur de Taxi, avec qui j’aurai passé une belle année en discussions vaines, riches, passionnées, oiseuses, parfois inutiles, mais elles sont toutes eu le mérite de nous faire passer du temps. Pendant le ramadan, le temps est l’ennemi à abattre, alors pour le passer encore une discussion sur les soubassements de ce qui se trame dans d’autres sphères alors que le Marocain lambda, vous et moi, on n’y voit que du feu. Je vous le jure, les amis, c’est en substance ce que dit la Taxi Driver. « Vous croyez vraiment au hasard ? J’irai même jusqu’à dire que cette histoire de film x marocain est une orchestration de toutes pièces pour amuser la galerie, créer  la diversion sur des choses plus corsées qui se jouent en sourdine, derrière des voiles opaques ». Je rétorque à mon ami chauffeur que sa théorie de complot fait vielle. Il faut qu’il trouve mieux pour me convaincre. Mais juste balancer une thèse aussi bancale sans fondements, sur un jeu politiciens pour duper les Marocains, encore une fois, non, je veux plus costaud et là, je peux dire Amen. «Tu ne vas tout de même pas me dire que c’est normal. On confisque les libertés des gens. On émet des lois salées pour punir les impénitents, on permet à des illuminés de lancer des fatwas, on encourage les scissions sociales entre catégories humaines, on sacrifie des décennies de combat pour la modernité et on nous sert cette ratatouille éculée sur la tolérance à la Marocaine.  Ailleurs, tout le monde a compris que le Maroc est en train de virer de bord ». Là, mon ami y va fort. C’est l’effet ramadan. Il a faim. Il a soif. Il ne sait plus ce qu’il dit. Pardonnez-lui ses égarements ramadanesques. C’est humain. C’est même chimique. Pardonnez-lui, il ne sait pas ce qu’il dit. Pourtant, cette saillie mise de côté, il faut bien trouver une explication à ce que traverse ce pays depuis des mois. A un moment ou un autre de notre histoire qui se profile, il faut trancher. Quel Maroc et pour quels Marocains ? « Un Maroc islamiste avec la charia comme fondement ? Qu’on nous le dise ! Un Maroc modéré, qui respecte les différences des uns et de autres et qui vit dans la sérénité ? Qu’on nous le dise aussi ! Un Maroc qui navigue à vue, qui joue à des jeux troubles, un Maroc multi-céphale, ne sachant pas à quel saint se vouer comme d’autres ratages arabes dans le voisinage, pourquoi pas ? Mais qu’on nous le dise ! » Mon ami veut savoir à tout prix à quoi s’en tenir. Il a peur. Je le sens. J’ai beau le rassurer que le Maroc a toujours été un pays insaisissable, limite bizarre, face auquel on est toujours surpris, même  quand on croit avoir pigé quelque chose, le taximan a les jetons. Il dit que son esprit n’est pas tranquille, qu’il sent des choses venir, qu’il  prie pour que tout ceci ne soit qu’une manière comme une autre de passer le temps, gagner du temps, et que le statut quo restera le credo final dans le plus beau pays du monde ! Amen

dimanche 21 juin 2015

Signature du roman: "Les territoires de Dieu" de Abdelhak Najib



Signature du roman: "Les territoires de Dieu" de Abdelhak Najib, le vendredi 3 juillet 2015, à 22 heures, à la librairie Carrefour des livres à Casablanca.


mardi 16 juin 2015

Interview de Abdelhak Najib, par Fahd Yata, La Nouvelle Tribune

 Abdelhak Najib, le journaliste et animateur-télé, vient de publier un premier roman, « Les territoires de Dieu »,  qui connaît un franc succès critique.  Il jette la lumière dans cet entretien sur son passé, la place qu’occupe Dieu dans son roman, le sexe, les femmes, l’espoir et la survie par la passion.
La Nouvelle Tribune : A la lecture de votre roman : Les Territoires de Dieu, on sent une grande nostalgie pour un certain Hay Mohammadi, qui peut-être n’existe plus ?
Abdelhak najib
 Abdelhak Najib : Ce roman est né de ma fascination pour mon enfance avec tout ce qu’elle a charrié dans son sillage comme vie et viatique. Gamin, j’étais pris dans cette histoire de quartier  que je voyais déjà comme un destin universel. Le soir, tard, quand je rentrais chez moi, seul, alors que toute le monde avait fermé les yeux, je me racontais ma vie autrement comme pour jouer avec le destin et ses nombreuses fatalités, toutes changeables à souhait, d’ailleurs. C’est là que je trouvais ma nourriture, une certaine profondeur couplée à une réelle prise sur ma vie. Plus tard, j’ai peaufiné cette vision du monde et cela a donné corps à une certaine mémoire collective enfouie au cœur de la vie de Hay Mohammadi, qui est ici un simple ancrage spatial. Sans oublier qu’au début, ce désir de remodeler le mythe Hay Mohammadi, était très fantasmatique.
L’idée semblait au début simple. Mais elle était périlleuse aussi. Il fallait revenir sur mon passé, revivre des choses que je n’avais pas forcément envie de me rappeler. Mais il fallait se remettre encore une fois en jeu, ressusciter ce désir originel du passé. Il fallait renouer avec cette révolte inquiète pour me propulser corps et âme dans le présent avec une lecture conditionnée par le passé. Ecrire « Les territoires de Dieu » c’est aussi prendre le risque en revivant mon fantasme, de faire tomber l’illusion et de me retrouver nu face au réel.
 Pourquoi Dieu et pourquoi ses Territoires ?
De bout en bout, ce roman est une affaire de territoire, ou pour être plus précis, de déterritorialisation sans relâche pour que la mémoire se fasse et surtout passe à autre chose.  Mais pour y arriver, il a fallu comme pour toute épreuve initiatique, opérer une profonde perte de repère, sans quoi aucune métamorphose n’est possible. Autrement dit, c’est en renonçant à mon passé que j’arrive à lui donner un territoire. Dieu est ici un prétexte pour donner corps à mon histoire, lui conférer une teinte, certes métaphysique, mais sans la moindre religiosité. A moins de prendre l’espoir et la vie comme religions suprêmes face  à l’absurdité de l’existence.  C’est dans ce sens que j’ai évité d’écrire un roman sagement linéaire et inlassablement introspectif. Je voulais à tout pris éclater la vision du monde, par le prisme de Dieu, en jetant des viaducs vertigineux sur des  frasques formelles qui épousent les contours les plus infimes de tous les récits éclatés de ce roman. Et les territoires de Dieu sont cet éclatement, cet effritement de qui nous sommes, face à l’inanité de toute réponse logique devant le vide du monde. D’où les liens entre religion et érotisme dans ce roman. Il y a cette pétulance dans le langage, ce coloris phrastique qui drape le tout d’une ironie acide.
Le sexe et l’érotisme sont très présents, les femmes occupent une place de choix dans ce roman…
 Quelqu’un m’a dit que mon roman était celui du désespoir le plus rassurant. Au-delà de la beauté de la formule, il y a là une grande part de vérité. Les femmes, venons-en, elles se jouent de la désespérance ambiante. Elles ouvrent grandes les portes de la perception comme cet épisode que je narre sur une terrasse où le jeune gamin découvre les portes du paradis à travers le corps d’une femme. Un autre critique m’a dit que les femmes font ce que Dieu n’a pas fait. Absolument. Et c’est là que se croisent le flot de la conscience et l’énergie de la colère. L’amour avec l’érotisme qui y est ici soudé, forment ce rempart contre la perdition. Il se nourrit des deux flux, celui de la conscience du monde et celui du refus d’abdiquer. On le voit bien dans tous  ces passages où le narrateur prend à son compte l’histoire et dissèque ses états d’âme sans la moindre compassion ni concession. Avec une ironie écorchée, il s’auto-caricature et écorche tout le monde au passage. Seul l’amour échappe à cette razzia.
La politique occupe aussi une grande place dans ce roman, vous êtes très critique à l’égard des politiciens de tous bords.
Dans « Les territoires de Dieu » la politique et l’existence sont des espèces de frères siamois qui sont lancés dans une folle quête existentielle pour sauver ce qui encore peut l’être. Les personnages de ce roman créent entre eux des passerelles narratives  sans idéologies bruyantes. Ils tentent de vivre. Leur voix devient du coup, celle de la révolte sans nombrilisme aucun. Et c’est très important  de souligner que les protagonistes de ces Territoires ne se font aucune illusion sur qui ils sont et qui sont ceux qui les manipulent et gâchent leurs vies. L’épisode politique à haute teneur symbolique de juin 1981 sert ici d’ancrage temporel pour marquer une rupture entre le rêve et l’illusion. Le gamin qui vit cela à 12 ans, porte en lui les stigmates de la dépression économique et sociale d’une époque. Et curieusement, elle est  plus amplifiée aujourd’hui, d’où la projection des Territoires dans ce que sera demain.
C’est un roman noir, en somme, peu de gens s’en sortent et ça finit très mal sur une note tragique.
La fin est sans concession. Il ne s’agit pas pour moi de donner dans le Happy ending. La mort qui frappe à la fin du roman et l’amnésie collective qui en résulte, sont deux révélations crues de la perte absolue du lien, de ce qui fait que nous vivons. Il y a là une douleur sourde qu’aucune autre n’égale,  celle de la perte de l’innocence. C’est pour moi le moment exact où la mort est matériellement la mort. Le souvenir qui en résulte est tailladé par le ressassement et les regrets, mais il est béant face à l’horreur de ce qui vient toujours. Il y a des blessures difficiles à soigner, le passé est une blessure difficile à soigner, c’est ce que je dis, c’est ainsi que je ferme le roman. Tout ce qui viendra après découle d’un long processus de guérison. Guérison du passé, de tout un pays, malade, portant en lui le bacille de sa propre ruine. Comment on s’en sort alors : la passion de vivre, de se créer des portes de sorties, la force de sauter par les fenêtres, faire éclater des brèches et appeler les autres à s’y engouffrer. C’est un roman actuel, qui sort à un moment où le Maroc et le Monde arabe sont dans l’oeil du cyclone. Pour échapper à la catastrophe, il ne reste qu’à faire corps avec l’onde de choc.
Propos recueillis par Fahd YATA
Les territoires de Dieu. Abdelhak Najib. 182 pages. 80 dhs. Actuellement dans les librairies