Entretien avec Abdellatif Laâbi, écrivain et prix
Goncourt de poésie en 2009
Abdellatif Laâbi
est poète, romancier, homme de théâtre, traducteur, et fondateur de la revue
Souffles en 1966. Sa récente sortie
sur la religion musulmane et les libertés individuelles de chacun a
suscité de nombreuses questions. Voici les réponses de l’intéressé.
Abdelhak Najib : Une certaine presse vous
a reproché de vouloir, après votre mort, être enterré sans l'intrusion des rites religieux?
Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit au juste?
Abdellatif
Laâbi : J’ai été suffisamment explicite là-dessus dans mon texte
sur la « liberté de conscience, dans la vie et face à la mort »,
publié récemment dans la presse nationale. J’y plaidais effectivement pour le principe de l’enterrement civil
si tel est le choix d’une
personne détachée des croyances
religieuses. Cette personne a droit au respect de ses dernières volontés. Ceux
qui ont essayé de détourner ma proposition de son vrai sens sont prisonniers de l’intolérance. Ils
pratiquent l’invective au lieu d’accepter le débat.
Abdelhak Najib : On vous a
aussi taxé d'athéisme et de négation de l'islam? Est-ce le cas?
Abdellatif
Laâbi : Je considère que la question de la croyance religieuse
ou de la non croyance est une affaire privée. Elle relève de la conscience de
chacun. On ne peut pas forcer une personne à l’étaler sur la place publique. Le
message humaniste de l’islam n’insiste-t-il
pas lui-même sur le fait qu’« il n’y a pas de contrainte en
matière de religion » ? Par ailleurs, n’ai-je pas clairement
argumenté dans mon texte en faveur
d’un islam reprenant à son compte les principes de laïcité et de démocratie ?
En fait, le vrai problème est de savoir de quel islam nous parlons. Celui qui a
permis à la civilisation qui en a émané de faire avancer la pensée, la quête
spirituelle, les arts et les sciences à l’échelle universelle, ou celui au nom
duquel certains illuminés détruisent des temples religieux, brûlent des
manuscrits précieux, coupent des mains et lapident des femmes en plein vingt et
unième siècle ? A ces derniers, je pourrai dire effectivement : vous
avez votre religion, et j’ai la mienne !
Abdelhak Najib : Que
pensez-vous aujourd'hui de tous ces débats sur l'islam en Occident?
Abdellatif
Laâbi : Le débat sur l’islam en Occident est brouillé par les
peurs liées au terrorisme et aux
difficultés qu’ont les communautés musulmanes de s’adapter à la culture ainsi qu’au contrat social qui est à
l’œuvre dans leur pays d’adoption.
Cela dit, il faut se garder de généraliser, car il y a Occident et Occident. N’oublions
pas qu’en face des préjugés et d’un certain racisme ordinaire, il y a de vraies
ouvertures, un travail remarquable sur le patrimoine civilisationnel de l’islam
beaucoup plus rigoureux et pointu que ce qui se fait chez nous, de moins en
moins d’ailleurs.
Abdelhak Najib : Pensez-vous
que l'islam soit une religion non tolérante?
Abdellatif
Laâbi : C’est absurde. Il n’y a pas de religion qui soit non tolérante
par essence. Par contre, chez les pratiquants de n’importe quelle religion,
nous trouvons des individus, des courants intolérants qui portent un tort
considérable à leur religion.
Abdelhak Najib : Votre compagne est chrétienne de
naissance, vous avez émis le souhait de partager le même cimetière avec elle. Est-ce
vrai ? Si oui, comment cela serait-il possible?
Abdellatif
Laâbi : C’est mon vœu le plus cher, et que
ce vœu soit exaucé dans mon pays auquel je crois avoir tout donné, parmi les
miens, dans la terre qui m’a vu
naître. Comment ? Je n’en sais rien. Mais j’aurai au moins posé la question clairement et sans détour. Maintenant, c’est aux
concitoyens qui ont quelque estime pour moi de faire en sorte que cette
dernière volonté mienne soit honorée, même si elle heurte certaines de leurs
habitudes de pensée, voire de leurs convictions.
Abdelhak Najib: Nous avons remarqué que les intellectuels
arabes ont été absents des débats sur ce fameux printemps arabe. Pourquoi un
tel silence? Et quelle est votre position sur les mutations que traversent
aujourd'hui certains régimes arabes ?
Abdellatif
Laâbi : De quel silence parlez-vous ?
Beaucoup d’intellectuels arabes non seulement ne se sont pas tus mais ont
participé activement à l’insurrection des consciences à laquelle nous avons
assisté lors du déclenchement de ce que l’on appelle « printemps
arabe ». Certains d’entre eux, notamment en Syrie et en Tunisie, ont payé
de leur vie cet engagement. Lisons au moins ce qu’ils ont produit à ce
sujet dans différents domaines de
la réflexion et de la création au lieu de les incriminer.
Quant aux mutations que connaissent
nos sociétés à l’heure actuelle, je pense, contrairement au pessimisme dominant
de nos jours, qu’elles finiront par déboucher sur des changements qualitatifs allant dans le sens de vraies
avancées démocratiques. Cela se fera nécessairement par étapes, mais ce
qui est déjà acquis pour nos
peuples, c’est le sens de la dignité retrouvée et le goût de la liberté, c’est le refus sans appel de régimes
tyranniques, quelle que soit leur coloration politique et
idéologique.
Abdelhak Najib : Pensez-vous que le Maroc soit une
exception dans le monde arabe?
Abdellatif
Laâbi : En quoi, pourquoi serait-il une
exception ? Les causes qui ont produit le « printemps arabe »
ailleurs sont-elles absentes chez nous ? La seule exception que j’appelle de mes vœux, c’est que les
changements auxquels aspire notre peuple se fassent pacifiquement. Mais cela
dépendra de beaucoup de facteurs que j’explicite dans mon nouveau
livre intitulé « Un autre Maroc » et qui va paraître le mois
prochain.
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