vendredi 1 mars 2013

« La croyance religieuse ou de la non croyance est une affaire privée »


Entretien avec  Abdellatif Laâbi, écrivain et prix Goncourt de poésie en 2009


Abdellatif Laâbi est poète, romancier, homme de théâtre, traducteur, et fondateur de la revue Souffles en 1966. Sa récente sortie  sur la religion musulmane et les libertés individuelles de chacun a suscité de nombreuses questions. Voici les réponses de l’intéressé.





Abdelhak Najib : Une certaine presse vous a reproché de vouloir, après votre mort, être enterré sans l'intrusion des rites religieux? Pouvez-vous nous expliquer de quoi  il s'agit au juste?

Abdellatif Laâbi : J’ai été suffisamment explicite là-dessus dans mon texte sur la « liberté de conscience, dans la vie et face à la mort », publié récemment dans la presse nationale. J’y plaidais effectivement  pour le principe de l’enterrement civil si tel est le choix  d’une personne  détachée des croyances religieuses. Cette personne a droit au respect de ses dernières volontés. Ceux qui ont essayé de détourner ma proposition  de son vrai sens sont prisonniers de l’intolérance. Ils pratiquent l’invective au lieu d’accepter le débat.

Abdelhak Najib : On vous a aussi taxé d'athéisme et de négation de l'islam? Est-ce le cas? 

Abdellatif Laâbi : Je considère que la question de la croyance religieuse ou de la non croyance est une affaire privée. Elle relève de la conscience de chacun. On ne peut pas forcer une personne à l’étaler sur la place publique. Le message humaniste de l’islam  n’insiste-t-il  pas  lui-même sur le fait qu’« il n’y a pas de contrainte en matière de religion » ? Par ailleurs, n’ai-je pas clairement argumenté dans mon texte  en faveur d’un islam reprenant à son compte les principes de laïcité et de démocratie ? En fait, le vrai problème est de savoir de quel islam nous parlons. Celui qui a permis à la civilisation qui en a émané de faire avancer la pensée, la quête spirituelle, les arts et les sciences à l’échelle universelle, ou celui au nom duquel certains illuminés détruisent des temples religieux, brûlent des manuscrits précieux, coupent des mains et lapident des femmes en plein vingt et unième siècle ? A ces derniers, je pourrai dire effectivement : vous avez votre religion, et j’ai la mienne !


Abdelhak Najib : Que pensez-vous aujourd'hui de tous ces débats sur l'islam en Occident? 

Abdellatif Laâbi : Le débat sur l’islam en Occident est brouillé par les peurs liées au terrorisme  et aux difficultés qu’ont les communautés musulmanes de s’adapter à la culture  ainsi qu’au contrat social qui est à l’œuvre dans leur pays d’adoption.  Cela dit, il faut se garder de généraliser, car  il y a Occident et Occident. N’oublions pas qu’en face des préjugés et d’un certain racisme ordinaire, il y a de vraies ouvertures, un travail remarquable sur le patrimoine civilisationnel de l’islam beaucoup plus rigoureux et pointu que ce qui se fait chez nous, de moins en moins d’ailleurs.

Abdelhak Najib : Pensez-vous que l'islam soit une religion non tolérante?

Abdellatif Laâbi : C’est absurde. Il n’y a pas de religion qui soit non tolérante par essence. Par contre, chez les pratiquants de n’importe quelle religion, nous trouvons  des individus, des courants intolérants qui portent un tort considérable à leur religion.

Abdelhak Najib : Votre compagne est chrétienne de naissance, vous avez émis le souhait de partager le même cimetière avec elle. Est-ce vrai ? Si oui, comment cela serait-il possible? 

Abdellatif Laâbi : C’est mon vœu le plus cher, et que ce vœu soit exaucé dans mon pays auquel je crois avoir tout donné, parmi les miens,  dans la terre qui m’a vu naître. Comment ? Je n’en sais rien. Mais j’aurai au moins  posé  la question clairement et sans détour. Maintenant, c’est aux concitoyens qui ont quelque estime pour moi de faire en sorte que cette dernière volonté mienne soit honorée, même si elle heurte certaines de leurs habitudes de pensée, voire de leurs convictions.


Abdelhak Najib: Nous avons remarqué que les intellectuels arabes ont été absents des débats sur ce fameux printemps arabe. Pourquoi un tel silence? Et quelle est votre position sur les mutations que traversent aujourd'hui certains régimes arabes ?

Abdellatif Laâbi : De quel silence parlez-vous ? Beaucoup d’intellectuels arabes non seulement ne se sont pas tus mais ont participé activement à l’insurrection des consciences à laquelle nous avons assisté lors du déclenchement de ce que l’on appelle « printemps arabe ». Certains d’entre eux, notamment en Syrie et en Tunisie, ont payé de leur vie cet engagement. Lisons au moins ce qu’ils ont produit à ce sujet  dans différents domaines de la réflexion et de la création au lieu de les incriminer.
Quant aux mutations que connaissent nos sociétés à l’heure actuelle, je pense, contrairement au pessimisme dominant de nos jours, qu’elles finiront par déboucher sur  des changements qualitatifs allant dans le sens de vraies avancées démocratiques. Cela se fera nécessairement par étapes,  mais ce qui est déjà acquis  pour nos peuples, c’est le sens de la dignité retrouvée et le goût de la liberté,  c’est le refus sans appel de régimes tyranniques, quelle que soit leur coloration politique et idéologique.


Abdelhak Najib  : Pensez-vous que le Maroc soit une exception dans le monde arabe? 

Abdellatif Laâbi : En quoi, pourquoi serait-il une exception ? Les causes qui ont produit le « printemps arabe » ailleurs sont-elles absentes chez nous ?  La seule exception que j’appelle de mes vœux, c’est que les changements auxquels aspire notre peuple se fassent pacifiquement. Mais cela dépendra de beaucoup de facteurs que j’explicite dans mon nouveau livre intitulé « Un autre Maroc » et qui va paraître le mois prochain.



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