vendredi 15 mars 2013

Interview de Latifa Ibn Ziaten, mère de Imad Ibn Ziaten, soldat, tué par Mohamed Merah


Latifa Ibn Ziaten publie un livre sur la mort de son fils, Imad, assassiné par Mohamed Merah, le 11 mars 2012. Un an plus tard, elle revient sur son deuil, la légion d’honneur posthume de son fils et son association pour lutter contre la haine.




Légende photo: Latifa Ibn Ziaten photographiée par Pierre-Anthony Allard pour Polka Magazine

Abdelhak Najib  : Un an après l’assassinat de votre fils Imad, par Mohamed Merah, la France, lui décerne la légion d’honneur à titre posthume. Comment le prenez-vous ?

Latifa Ibn Ziaten : Je suis à la fois triste et fière. Mon fils me disait toujours qu'il avait une deuxième famille, et cette famille, elle est ici. C’est le régiment de mon fils.  C'était sa famille, c'est ma famille à moi aujourd'hui.

 Avez-vous pardonné à l’assassin de votre fils ?
Latifa Ibn Ziaten : Oui j’ai pardonné. C’est aussi grâce à mon fils, Imad, que j’ai eu la force de pardonner. Mon fils me donne du courage. C'était un soldat fier de servir son pays, il est mort debout, je n'ai pas le droit de rester assise. Mon fils est mort pour la France. J’ai décidé de me battre pour son honneur.

C’est dans ce sens que vous avez fondé une association ?

Latifa Ibn Ziaten : il ne pouvait en être autrement. Je devais créer un espace pour combattre la haine. Mon combat vise d’abord à faire tomber les murs qui séparent une certaine jeunesse du reste de la société. Tous ces jeunes qui sont pris dans des prisons en béton. Ils sont encerclés dans des ghettos où la violence et la haine ont atteint de très graves proportions. Pour moi, il est primordial de casser ces murs invisibles. Je veux aller à la rencontre de ces jeunes. Je veux leur parler. Je veux surtout les écouter. Savoir qui ils sont. Quels sont leurs rêves s’ils en ont encore.  Je veux aussi qu’ils soient  sensibles à ma douleur.

D’après-vous de quoi ont besoin, ces jeunes des cités en France, livrés à eux-mêmes ?

Latifa Ibn Ziaten : Ils ont un besoin viscéral qu’on leur dise qu’ils ne sont pas perdus et qu’ils peuvent encore s’en sortir. C’est pour cette raison, que je compte aller dans les écoles, visiter des jeunes en prison, leur donner de l’espoir. Je veux tout simplement créer un lien.  

Vous pointez du doigt les parents et surtout les mères  qui ont démissionné laissant leurs enfants en proie à toutes les dérives mêmes les plus extrêmes comme la drogue et l’extrémisme religieux ?

Latifa Ibn Ziaten : En tant que mère, je veux sensibiliser sur l'importance de l'éducation. L'éducation, c'est la base. Ce n'est pas à l'école d'éduquer nos enfants. J'ai cadré mes enfants, quand j'ai senti qu'ils étaient capables, je les ai laissés trouver leur chemin tous seuls.   Je veux épauler toutes ces mères qui ont un rôle très important pour montrer la voie à leurs enfants. Parfois les enfants reçoivent un mauvais apprentissage dans la rue, même si, à la maison, les parents font bien leur travail. La vie est tellement dure pour de très nombreuses familles qui sont obligés de laisser les enfants seuls, de travailler en horaires décalés ou font des heures supplémentaires. Les enfants restent seuls, parfois dehors, en proie à tant de tentations. Les parents aussi ont besoin d'aide.  Il y attellement de mères qui laissent leurs fils dormir toute la matinée, et ensuite leur donnent de l’argent pour aller traîner, parce qu’ils ont peur d’eux. Voilà comment on fabrique des jeunes dangereux.

Et vous comment avez-vous élevé vos enfants ?

Latifa Ibn Ziaten : Mes enfants, je les ai élevés dans le respect de l’autre, des valeurs de la République. Quand ils étaient petits, on célébrait ensemble les fêtes musulmanes, et aussi Noël. Je mettais le sapin, les cadeaux. Pour que quand ils parlent avec leurs amis à l’école, il n’y ait pas de différence. Le Maroc, c’est les racines, on y va en vacances. Mais on a fait des enfants ici, donc la vie, c’est ici en France.

Vous reprochez à d’autres familles issues de l’immigration de refuser de s’intégrer. Pourquoi ?

Latifa Ibn Ziaten : On ne peut pas venir vivre dans un pays et le haïr. On ne peut accepter d’y travailler, d’y gagner sa vie, d’y élever ses enfants en refusant ses valeurs. Il ne s’agit pas pour moi de nier qui je suis et d’où je viens, mais il faut aussi se nourrir de la culture et des richesses du pays d’accueil. C’est une chance d’ »avoir deux cultures. Il faut en être conscient. Et c’est dans ces deux cultures, que mes enfants ont grandi.

Vous avez été dans la cité où a vécu Mohamed Merah, le jeune qui a tué votre fils. Pourquoi ?
Latifa Ibn Ziaten :  Je suis allé demander aux jeunes s’ils connaissaient Mohamed Merah. Ils m’ont répondu que c’était «un héros de l’islam». Je leur ai appris qu’il était l’assassin de son enfant. Là, face à moi, je les ai vus changer d’un coup. Ils sont devenus tout doux. Ils m’ont dit : "On est désolés.". Je suis restée avec eux, je leur ai parlé, je les ai écoutés dire qu’ils n’étaient rien, qu’ils n’avaient plus d’espoir. Ils étaient sales, délabrés, perdus. Il y en a un qui m’a pris la main pour me dire : "Madame, je n’ai pas de formation, pas de travail, je me drogue, je sors et je rentre en prison, à quoi voulez-vous que je croie ?"».

Que peut-on répondre à une telle vérité ?
Latifa Ibn Ziaten : J’ai surtout compris que si on ne venait pas en aide à ces jeunes dont des milliers de cités en France sont pleines, il y aura parmi eux un autre Mohamed Merah.  

Vous êtes finalement un soldat en talons.
Latifa Ibn Ziaten : (Rires). Si vous voulez. Mais je suis prête comme un soldat à servir ma cause jusqu’à ma mort. Cela je peux vous le garantir. Je ne laisserai jamais tomber mon combat pour montrer à tous les jeunes que Mohamed Merah n'est pas un exemple pour la jeunesse.

Et la responsabilité de la République dans tout cela ?
Latifa Ibn Ziaten : La France doit s’occuper de sa jeunesse. Sans cela, elle doit faire face à des Merah en série, qui peuvent ensanglanter ce pays. Il faut leur trouver des emplois, les former, les écouter, savoir qu’elle sont leurs rêves et travailler, avec eux à les réaliser.

En 7 dates 
1er janvier 1960 Naissance à Tétouan
1977 Mariage.
1978 Arrive en France.
26 décembre 1979 Naissance du premier de ses cinq enfants, Hatim.
29 juillet 1981 Naissance de son deuxième fils, Imad.
11 mars 2012 Mort d’Imad, assassiné par Mohamed Merah.
22 avril 2012 Création de l’Association Imad-ibn-Ziaten pour la jeunesse et pour la paix.

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