Latifa
Ibn Ziaten publie un livre sur la mort de son fils, Imad, assassiné par Mohamed
Merah, le 11 mars 2012. Un an plus tard, elle revient sur son deuil, la légion
d’honneur posthume de son fils et son association pour lutter contre la haine.
Abdelhak Najib :
Un an après l’assassinat de votre fils Imad, par Mohamed Merah, la France, lui
décerne la légion d’honneur à titre posthume. Comment le prenez-vous ?
Latifa Ibn
Ziaten : Je
suis à la fois triste et fière. Mon fils me disait toujours qu'il avait une deuxième famille, et cette
famille, elle est ici. C’est le régiment de mon fils. C'était sa famille, c'est ma famille à moi aujourd'hui.
Avez-vous
pardonné à l’assassin de votre fils ?
Latifa Ibn
Ziaten : Oui
j’ai pardonné. C’est aussi grâce à mon fils, Imad, que j’ai eu la force de
pardonner. Mon fils me donne du courage. C'était un soldat
fier de servir son pays, il est mort debout, je n'ai pas le droit de rester
assise. Mon fils est mort pour la France. J’ai décidé de me battre pour son
honneur.
C’est dans ce sens que vous avez
fondé une association ?
Latifa Ibn
Ziaten : il ne pouvait en être autrement. Je devais créer un
espace pour combattre la haine. Mon combat vise d’abord à faire tomber les murs
qui séparent une certaine jeunesse du reste de la société. Tous ces jeunes qui
sont pris dans des prisons en béton. Ils sont encerclés dans des ghettos où la
violence et la haine ont atteint de très graves proportions. Pour moi, il est
primordial de casser ces murs invisibles. Je veux aller à la rencontre de ces
jeunes. Je veux leur parler. Je veux surtout les écouter. Savoir qui ils sont.
Quels sont leurs rêves s’ils en ont encore. Je veux aussi qu’ils soient sensibles à ma douleur.
D’après-vous de quoi ont besoin, ces jeunes des cités en France, livrés à
eux-mêmes ?
Latifa Ibn
Ziaten : Ils ont un besoin viscéral qu’on leur dise qu’ils ne sont
pas perdus et qu’ils peuvent encore s’en sortir. C’est pour cette raison, que
je compte aller dans les écoles, visiter des jeunes en prison, leur donner de
l’espoir. Je veux tout simplement créer un lien.
Vous pointez du doigt les parents et surtout les mères qui ont démissionné laissant leurs
enfants en proie à toutes les dérives mêmes les plus extrêmes comme la drogue
et l’extrémisme religieux ?
Latifa Ibn
Ziaten : En tant que mère, je veux sensibiliser sur l'importance
de l'éducation. L'éducation, c'est la base. Ce n'est pas à l'école
d'éduquer nos enfants. J'ai cadré mes enfants, quand j'ai senti qu'ils étaient
capables, je les ai laissés trouver leur chemin tous seuls. Je veux épauler toutes ces mères qui ont un rôle très
important pour montrer la voie à leurs enfants. Parfois les enfants reçoivent
un mauvais apprentissage dans la rue, même si, à la maison, les parents font
bien leur travail. La vie est tellement dure pour de très nombreuses familles
qui sont obligés de laisser les enfants seuls, de travailler en horaires
décalés ou font des heures supplémentaires. Les enfants restent seuls, parfois
dehors, en proie à tant de tentations. Les parents aussi ont besoin d'aide. Il y attellement de mères qui laissent leurs fils dormir
toute la matinée, et ensuite leur donnent de l’argent pour aller traîner, parce
qu’ils ont peur d’eux. Voilà comment on fabrique des jeunes dangereux.
Et
vous comment avez-vous élevé vos enfants ?
Latifa Ibn
Ziaten : Mes
enfants, je les ai élevés dans le respect de l’autre, des valeurs de la
République. Quand ils étaient petits, on célébrait ensemble les fêtes
musulmanes, et aussi Noël. Je mettais le sapin, les cadeaux. Pour que quand ils
parlent avec leurs amis à l’école, il n’y ait pas de différence. Le Maroc,
c’est les racines, on y va en vacances. Mais on a fait des enfants ici, donc la
vie, c’est ici en France.
Vous reprochez à d’autres
familles issues de l’immigration de refuser de s’intégrer. Pourquoi ?
Latifa Ibn
Ziaten : On
ne peut pas venir vivre dans un pays et le haïr. On ne peut accepter d’y
travailler, d’y gagner sa vie, d’y élever ses enfants en refusant ses valeurs.
Il ne s’agit pas pour moi de nier qui je suis et d’où je viens, mais il faut
aussi se nourrir de la culture et des richesses du pays d’accueil. C’est une
chance d’ »avoir deux cultures. Il faut en être conscient. Et c’est dans ces
deux cultures, que mes enfants ont grandi.
Vous avez été dans la cité
où a vécu Mohamed Merah, le jeune qui a tué votre fils. Pourquoi ?
Latifa Ibn
Ziaten : Je
suis allé demander aux jeunes s’ils connaissaient Mohamed Merah. Ils m’ont répondu que c’était «un héros de l’islam». Je leur ai
appris qu’il était l’assassin de son enfant. Là, face à moi, je les ai vus changer d’un coup. Ils sont devenus tout
doux. Ils m’ont dit : "On est désolés.". Je suis restée avec eux, je
leur ai parlé, je les ai écoutés dire qu’ils n’étaient rien, qu’ils
n’avaient plus d’espoir. Ils étaient sales, délabrés, perdus. Il y en a un qui m’a pris la main pour
me dire : "Madame, je n’ai pas de formation, pas de travail, je me drogue,
je sors et je rentre en prison, à quoi voulez-vous que je croie ?"».
Que peut-on répondre à une telle vérité ?
Latifa Ibn
Ziaten : J’ai surtout compris que si on ne venait pas en aide à
ces jeunes dont des milliers de cités en France sont pleines, il y aura parmi eux un autre Mohamed
Merah.
Vous êtes finalement un soldat en
talons.
Latifa Ibn
Ziaten : (Rires).
Si vous voulez. Mais je suis prête comme un soldat à servir ma cause jusqu’à ma
mort. Cela je peux vous le garantir. Je ne laisserai jamais tomber mon combat
pour montrer à tous les jeunes que Mohamed
Merah n'est pas un exemple pour la jeunesse.
Et la responsabilité de la
République dans tout cela ?
Latifa Ibn
Ziaten : La France doit s’occuper de sa
jeunesse. Sans cela, elle doit faire face à des Merah en série, qui peuvent
ensanglanter ce pays. Il faut leur trouver des emplois, les former, les
écouter, savoir qu’elle sont leurs rêves et travailler, avec eux à les
réaliser.
En 7 dates
1er janvier 1960 Naissance à Tétouan
1977 Mariage.
1978 Arrive en France.
26 décembre 1979 Naissance du premier de ses cinq enfants, Hatim.
29 juillet 1981 Naissance de son deuxième fils, Imad.
11 mars 2012 Mort d’Imad, assassiné par Mohamed Merah.
22 avril 2012 Création de l’Association Imad-ibn-Ziaten pour la jeunesse et
pour la paix.
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