L’acteur américain
d’origine mi-roumaine, mi-italienne, Harvey Keitel, a reçu un hommage le 8
décembre 2010, au festival international du film de Marrakech. Une occasion de
lui poser des questions sur ses rôles atypiques, ses croyances, Dieu et le
Maroc.
Abdelhak Najib : Quel sens
a pour vous cet hommage qui vous a été rendu à Marrakech ?
Harvey
Keitel : Evidemment, je suis honoré et fier. Mais au-delà de la joie que
l’on ressent lorsqu’on est reconnu par la profession et les gens qui nous aiment
ou aiment notre travail, cet hommage à Marrakech est très important pour moi.
Dans ce sens, où il m’est offert dans un pays que j’aime particulièrement. Et
depuis longtemps. Dans les années 80, j’ai tourné la bataille des trois rois
ici au Maroc et depuis, je suis tout ce qui se passe ici.
Qu’est-ce qui vous
intéresse au Maroc, alors ?
Vous savez, ce pays est le seul à sortir du lot dans le monde
arabe. Politiquement, l’image que j’en ai est celle d’un royaume stable et
tolérant. Je sens que le peuple est soudé et que la magie
opère entre la monarchie et les gens. Et c’est là la force du Maroc.
Lors de votre hommage vous
avez beaucoup parlé d’Allah. Pourquoi ?
Je me sens proche d’une
certaine sacralité ici, chez vous. Allah est présent partout. Et cela me touche
au plus haut point. Allah, c’est aussi ce qui unit tout ce peuple et fait que
le Maroc est une terre d’amour.
Venons-en à vos
rôles au cinéma. Vous jouez des personnages complexes aux prises avec la vie,
la religion, la société. C’est un choix ?
Je ne veux pas perdre du
temps à jouer des personnages qui ne me touchent pas. J’incarne des caractères
qui me remettent en question, qui m’obligent à apprendre sur qui je suis. En
jouant, il faut que je me révèle à moi-même.
D’où le choix de jouer avec
des réalisateurs comme Abel Ferrara ou Théo Angelopoulos.
Tout
à fait. Et j’ai joué avec d’autres cinéastes qui ont compris mes préoccupations
d’acteur. Pour moi, affronter les épreuves de la vie est la seule manière
d'espérer se révéler et évoluer. Je ne me préoccupe que du moi, qui a besoin de
se comprendre et d'explorer des territoires que je ne connais pas. Ce besoin
est plus fort maintenant que jamais. Cela ne signifie pas que je n'ai jamais
connu de sentiment d'accomplissement, mais il y a toujours plus de choses que
je désire connaître et comprendre. Je ne sais pas exactement à quoi, mais
j'aspire à quelque chose. Je suis un croyant.
Pratiquant aussi ?
Croyant car la vie est une
question de croyance. Vous savez, il est impossible que les choses soient
autrement. Nous sommes tous connectés à ce qui se passe là-haut. Je me sens
pour ma part proche des dieux et les dieux sont proches de moi.
Pourtant la religion divise
les hommes, donne naissance à des guerres, enflamme le monde depuis la nuit des
temps et encore plus aujourd’hui ?
Je me pose des questions,
tous les jours. Pourquoi la religion est-elle mêlée à tout ce chaos ?
N'était-elle pas censée être tolérante et aider les uns à comprendre les autres? Pourquoi de tels
ravages? Et à quelle fin ? Voilà
ce qui me fascine. Je pense que nous devons tous, constamment, nous pencher sur qui nous-sommes au fond,
aller au plus profond de nos tripes et prendre conscience de nos dynamiques
intérieures. Face à des guerres et des massacres, il faut savoir que le sang de
nos enfants n'est pas différent de celui des autres enfants. C'est ce sang que
nous devons tous adorer, et non pas des noms comme "orthodoxe",
"non-orthodoxe", "musulman" ou "juif". C’est
cette bêtise qui crée le chaos.
Comment lutter contre ces
dérives humaines qui créent les clivages et la séparation au risque de décimer
des génération au nom de quelques fausses vérités ?
Je n’ai pas de solution
miracle face à la folie des hommes. Mais ce que je sais, c’est que nous venons tous
du même endroit. Et il n'y a qu'une seule et même source qui nous a tous
nourris. Mais la plupart des gens aujourd’hui vénèrent des dieux locaux, et non
la source inconnue. Qui diable sont les dirigeants de ces nations qui tuent ?
D'où viennent-ils ? A quoi ressemblent-ils ? Ce ne sont que des idiots, des
putains d'idiots.
Pourtant ils dirigent le
monde à coups de guerre et de lutte pour des intérêts évidents ?
Comment osent-ils se
comporter en leaders de nations ? Il faut croire que les choses sont sens dessus-dessous.
Je vois devant moi des leaders
qui, au lieu de s'occuper des affaires du peuple, tuent des enfants ? Si ces
hommes s'occupent des affaires du peuple, eh bien, nous, les gens de théâtre,
sommes l'âme du peuple. Nous devons poursuivre notre périple, persévérer. Il
est plus puissant que le leur.
L’art contre la mort, en
somme ?
Il n’y a que cela de vrai.
Il faut créer du beau, poser des questions, remettre des choses en cause,
trouver des moyens sérieux pour faire contrepoids à la barbarie, le massacre et
la bêtise des hommes.
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