mercredi 20 mars 2013

Interview de Harvey Keitel


L’acteur américain d’origine mi-roumaine, mi-italienne, Harvey Keitel, a reçu un hommage le 8 décembre 2010, au festival international du film de Marrakech. Une occasion de lui poser des questions sur ses rôles atypiques, ses croyances, Dieu et le Maroc.



Abdelhak Najib : Quel sens a pour vous cet hommage qui vous a été rendu à Marrakech ?

Harvey Keitel : Evidemment, je suis honoré et fier. Mais au-delà de la joie que l’on ressent lorsqu’on est reconnu par la profession et les gens qui nous aiment ou aiment notre travail, cet hommage à Marrakech est très important pour moi. Dans ce sens, où il m’est offert dans un pays que j’aime particulièrement. Et depuis longtemps. Dans les années 80, j’ai tourné la bataille des trois rois ici au Maroc et depuis, je suis tout ce qui se passe ici.

Qu’est-ce qui vous intéresse au Maroc, alors ?
Vous savez, ce pays est le seul à sortir du lot dans le monde arabe. Politiquement, l’image que j’en ai est celle d’un royaume stable et tolérant. Je sens que le peuple est soudé et que la magie opère entre la monarchie et les gens. Et c’est là la force du Maroc.

Lors de votre hommage vous avez beaucoup parlé d’Allah. Pourquoi ?
 Je me sens proche d’une certaine sacralité ici, chez vous. Allah est présent partout. Et cela me touche au plus haut point. Allah, c’est aussi ce qui unit tout ce peuple et fait que le Maroc est une terre d’amour.

Venons-en à vos rôles au cinéma. Vous jouez des personnages complexes aux prises avec la vie, la religion, la société. C’est un choix ?
Je ne veux pas perdre du temps à jouer des personnages qui ne me touchent pas. J’incarne des caractères qui me remettent en question, qui m’obligent à apprendre sur qui je suis. En jouant, il faut que je me révèle à moi-même.

D’où le choix de jouer avec des réalisateurs comme Abel Ferrara ou Théo Angelopoulos.
Tout à fait. Et j’ai joué avec d’autres cinéastes qui ont compris mes préoccupations d’acteur. Pour moi, affronter les épreuves de la vie est la seule manière d'espérer se révéler et évoluer. Je ne me préoccupe que du moi, qui a besoin de se comprendre et d'explorer des territoires que je ne connais pas. Ce besoin est plus fort maintenant que jamais. Cela ne signifie pas que je n'ai jamais connu de sentiment d'accomplissement, mais il y a toujours plus de choses que je désire connaître et comprendre. Je ne sais pas exactement à quoi, mais j'aspire à quelque chose. Je suis un croyant.  

Pratiquant aussi ?
Croyant car la vie est une question de croyance. Vous savez, il est impossible que les choses soient autrement. Nous sommes tous connectés à ce qui se passe là-haut. Je me sens pour ma part proche des dieux et les dieux sont proches de moi.

Pourtant la religion divise les hommes, donne naissance à des guerres, enflamme le monde depuis la nuit des temps et encore plus aujourd’hui ?
Je me pose des questions, tous les jours. Pourquoi la religion est-elle mêlée à tout ce chaos ? N'était-elle pas censée être tolérante  et aider les uns à comprendre les autres? Pourquoi de tels ravages?  Et à quelle fin ? Voilà ce qui me fascine. Je pense que nous devons tous, constamment,  nous pencher sur qui nous-sommes au fond, aller au plus profond de nos tripes et prendre conscience de nos dynamiques intérieures. Face à des guerres et des massacres, il faut savoir que le sang de nos enfants n'est pas différent de celui des autres enfants. C'est ce sang que nous devons tous adorer, et non pas des noms comme "orthodoxe", "non-orthodoxe", "musulman" ou "juif". C’est cette bêtise qui crée le chaos.


Comment lutter contre ces dérives humaines qui créent les clivages et la séparation au risque de décimer des génération au nom de quelques fausses vérités ?
Je n’ai pas de solution miracle face à la folie des hommes. Mais ce que je sais, c’est que nous venons tous du même endroit. Et il n'y a qu'une seule et même source qui nous a tous nourris. Mais la plupart des gens aujourd’hui vénèrent des dieux locaux, et non la source inconnue. Qui diable sont les dirigeants de ces nations qui tuent ? D'où viennent-ils ? A quoi ressemblent-ils ? Ce ne sont que des idiots, des putains d'idiots.

Pourtant ils dirigent le monde à coups de guerre et de lutte pour des intérêts évidents ?
Comment osent-ils se comporter en leaders de nations ? Il faut croire que les choses sont sens dessus-dessous.  Je vois devant moi des leaders qui, au lieu de s'occuper des affaires du peuple, tuent des enfants ? Si ces hommes s'occupent des affaires du peuple, eh bien, nous, les gens de théâtre, sommes l'âme du peuple. Nous devons poursuivre notre périple, persévérer. Il est plus puissant que le leur.

L’art contre la mort, en somme ?
Il n’y a que cela de vrai. Il faut créer du beau, poser des questions, remettre des choses en cause, trouver des moyens sérieux pour faire contrepoids à la barbarie, le massacre et la bêtise des hommes.  

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