mardi 12 mars 2013

Interview de Jean-Christophe Rufin, auteur de Katiba, un livre sur la menace terroriste dans le Sahel.


 «Aqmi est une mance pour la région »


Médecin, écrivain et diplomate français, Jean-Christophe Rufin est également membre de l’Académie française depuis 2008. Prix Goncourt en 2001, ancien président d’Action contre la faim, il est actuellement ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie. il vient de publier chez Flammarion Katiba, un roman sur les groupes terroristes dans le Sahel. Il revient avec nous sur le terrorisme en Afrique, Aqmi et les trafics de tous genres qui gangrènenet cette région du monde.

Médecin du monde, créateur d'idées, un homme engagé dans l'action humanitaire,  président d'Action contre la faim, administrateur de la Croix-Rouge, actuellement ambassadeur de France à Dakar au Sénégal et à Banjul en Gambie, Jean-Christophe Rufin  a mené la carrière littéraire la plus brillante de ces dernières années. Le Goncourt 1997 du premier roman pour L'Abyssin, l'Interallié 1999 pour Les Causes perdues, le Goncourt 2001  pour Rouge Brésil.  On n'oublie pas l'élection à l'Académie française en 2008 au siège d'Henri Troyat, ni les succès de librairie de Globalia en 2004  et du Parfum d'Adam  en 2007. Avec cela, un statut d'écrivain voyageur. Sans oublier  des essais qui font date comme Le Piège humanitaire  et La Dictature libérale, une autobiographie cinglante, Un léopard sur le garrot, nous sommes face à un homme qui scrute le monde où il vit et l’explore en réel spéléologue des idées.
 
 Katiba est inspiré de faits réels. Qu’est-ce qui a motivé une telle œuvre ?
 Jean-Christophe Rufin : Je tiens d’abord à préciser une chose. Je parle en tant qu’écrivain et non  en tant que diplomate représentant la république française au Sénégal et en Gambie. Il est important pour moi de faire cette distinction pour éviter d’inutiles amalgames. En effet, Katiba est une fiction. Elle est inspiré de plusieurs faits réels. C’est aussi le fruit d’observations, de documentations et d’expériences de terrain. Rien de nouveau, non plus dans ce que j’apporte. Les faist sont connus. Des journaux  en parlent, des rapports sont écrits à ce sujet. Donc, pour moi, il s’agit d’un travail romanesque, inspiré de la réalité. Tout a commencé, le 24 décembre 2007.  Quatre Français ont été abattus lors d’un attentat suicide devant l'ambassade en Mauritanie. Cela a été le déclencheur qui m’a mis devant un acte terroriste. Il y avait un survivant, le seul, du reste. Un homme de 73 ans qui avait reçu une balle dans la jambe. C’était la nuit de Noêl, j’ai pris la décision de ramener ce vieil homme dans l’ambassade pour le soigner. Ce qu’il m’a raconté m’a touché, bouleversé. Comme vous le savez, les auteurs du crime sont passés par le Sénégal pour aller en Guinée-Bissau où nous avons pu les interpeller. C’est là qu’est né Katiba. Il a fallu regrouper des morceaux épars et construire une histoire  à partir de cet attentat. 
Votre métier de diplomate vous a facilité la tâche pour avoir les informations qu’il faut sur les Katibas qui opèrent dans le Sahel ?
Certainement. Mais, comme je vous ai dit, le sujet est connu de l’opinion publique. Les analyses que je fais, on peut les lire sur Internet et on connaît l'existence des katibas sahariennes qui sont le produit de la guerre d'Algérie, dès 1952. Il ne s’agit pas de divulguer un secret. Mais il faut aussi savoir que j’ai voyagé dans des régions sensibles du monde. Et cela ma mis en prise directe avec des situations dures. Tout ceci m’a permis de cerner mon histoire pour en créer un univers romanesque.
En tant qu’ambassadeur, avez-vous reçu des consignes strictes pour ne pas divulguer certains secrets d’Etat ?
 Non, pas du tout. Vous savez, j'ai même offert le livre à Bernard Kouchner, mon chef direct aux Affaires étrangères. Il est clair qu’il y a des liens avec mon poste d’ambassadeur dans cette région très sensible. Il faut dire aussi qu’il y a du vécu dans cette histoire, mais il s’agit d’écrire un roman. Et là, je suis obligé de mettre une forme de distance. Mon rôle de diplomate me contraint à  une certaine réserve. D’ailleurs,  je n’ai jamais été intéressé par les secrets et je n’ai jamais pensé en révéler. Katiba n’est pas un reportage sur les services secrets. N’importe qui peut lire ce livre sans rien connaître de la situation ni des services.
C’est dans cette optique que vous avez changé des noms…
Absolument. Comme vous l’avez constaté, j'ai changé les noms des personnes. Et je ne donne pas de numéros de téléphone, non plus, Ce qui permettrait de remonter la filière. Ceci dit, je peux affirmer que les services secrets algériens sont très bons techniquement. Mon travail m’a permis de voir de près que la diplomatie algérienne est très présente en Afrique. Ils sont aussi très actifs dans la gestion des conflits sur le continent.
Finalement Katiba est un roman d’espionnage qui peut être adapté au cinéma.
C’est vrai que le livre est écrit à la manière d'un scénariste. Mais vous savez, mon modèle dans le genre, c’est John le Carré qui m’a toujours touché. C’est un type de littérature que j’aime particulièrement. Mais je n’ai pas écrit Katiba dans le but de le voir porté sur grand écran.
 Un ambassadeur qui écrit sur des terroristes, des secrets, des espions, c’est un polar noir.
C’est une approche qui flirte avec ce type de romans. On retrouve des ambiances floues et on essaie de découvrir au filet à mesure où  tout cela nous mène. C’est comme les katibas elles-mêmes. Ce sont des ramifications multiples qui obéissent à des codes secrets, des règles qu’elles ont établies pour échapper à leurs ennemis. Et comme ils versent dans tous les trafics, cela crée des situations fortes d’un point de vue romanesques, en effet.
Quels types de trafics ?
De nombreux trafics existent dans cette région aussi grande que l’Europe. Le Sahel est une zone incontrôlable. Les frontières sont poreuses, des groupes armés peuvent se réfugier d’un Etat à l’autre, selon les menaces et les situations. Et toute cette activité est financée par les trafics. Les armes, les humains, le tabac. C’est comme ça que les groupes armés tiennent le coup et deviennent de plus en plus présents dans la région. Il faut aussi dire que la géographie facilite la tâche pour les katibas du Sénégal au Tchad en passant par la Mauritanie, l’Algérie, le Mali et le Niger. C’est une zone désertique qui échappe aux contrôle des Etats. Donc un refuse rêvé pour le maquis et le trafic.
Al Qaîda dans le Maghreb Islamique est donc une réelle menace pour vous?
Ces groupes armés qui kidnappent des touristes et s’adonnent au trafic existent. Cela ne fait aucun doute. Ces dernières années, leur nombre est de plus en plus grand. Tous les Etats le savent. Il faut dire que cette menace est aujourd’hui internationale. Le radicalisme maghrébin est devenu un label international. Non seulement, il est présent en force dans la région, mais il recrute dans d’autres pays. Et le fait de se réclamer d’Al Qaîda lui octroie une légitimité plus forte et consolide ses liens avec des objectifs mondiaux.  Les katibas sont des débris de groupes rebelles qui se sont réfugiés dans le Sahara et dans les montagnes au nord. Ce sont des maquisards qui s'appuient sur le morcellement de cette région du monde pour être forts. Ils sont invulnérables. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que  ces réseaux sont très surveillés.
Et le Maroc dans cette configuration ?
Vous savez, je ne suis pas spécialiste du Maroc, mais c’est un pays pour lequel j’ai beaucoup d’amour. Le royaume m’intéresse beaucoup pour de nombreuses raisons. J’y ai des amis. Et je voudrais y aller plus souvent. Ce que je constate, lis et suit dans les médias, les avancées réalisés dans votre pays dénotent d’une volonté certaine de faire du Maroc un pays phare en Afrique. Ce qu’il est déjà à plusieurs égards. C’est un pays où la modernité suit un chemin certain, la politique y est crédible avec une réelle place pour les femmes. Et sur le plan sécuritaire, le royaume est un pays stable et un bon partenaire pour l’Europe et les Etats-Unis.

C’est dans ce sens que les maneouvres militaires se multiplient dans cette zone avec l’appui de l’armée américaine.
Il s’agit d’aider ces pays du Sahel et du Maghreb à se sécuriser et lutter efficacement contre les groupes terroristes. Comme je vous ais dit, les katibas sont observés et leurs activités suivies de très près par les grandes puissances. Il est hors de question pour les USA et l’Europe de laisser cette région en proie aux bandes armées.
Ce qui revient à dire que le terrorisme n’est pas seulement l’Afghanistan et l’Irak comme on veut nous le faire croire ?
Absolument. Car la menace islamiste ne réside pas uniquement en Irak ou en Afghanistan. Elle est très près de nous, sous une forme nouvelle. A partir du Sahara, des groupes terroristes peuvent s’en prendre à des intérêts mondiaux des grandes puissances, sans parler des pays africains touchés au quotidien par les actions terroristes.
Des rapports internationaux font état de connexions entre le Polisario et Aqmi, qu’en pensez-vous ?
Je n’ai pas d’informations précises à ce sujet. On lit des choses, mais je n’ai pas fait de recherches dans ce sens. Toujours est-il que les activistes d’Aqmi et les autres katibas, présens dans la région profitent des conflits territoriaux qui sévissent dans le Maghreb et le Sahel. Il ne faut pas perdre de vue que toute cette zone est en proie à des conflits armés, le Maroc et le Polisario, l’Algérie, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et le Soudan. On le voit bien, c’est une situation rêvée pour Aqmi qui peut engager de nouveaux activistes, leur trouver des refuges dans un territoire immense.
Quels liens existent entre ces groupes et des cellules qui peuvent se trouver en Europe ?
C’est à cela que nous travaillons tous dans cette région. Les Etats concernés sont vigilants et mobilisés pour définir les ramifications de ces katibas.  Ce sont des questions cruciales et c’est là le véritable enjeu de notre sécurité à tous.
Finalement, Katiba est un témoignage sur une époque et une région ?
Je pense que les ambassadeurs sont tous des témoins de leurs époques et des régions où ils travaillent et vivent. Ils sont immergés dans l’action et possèdent une vision très complète de la situation qui les entoure. Quand on fait venir des gens comme moi de l’extérieur pour ce qu’ils apportent, ce n’est pas pour qu’ils deviennent formatés. Ils expriment un regard, une sensibilité, une liberté qui, chez moi, se traduit par un livre.
Cela demande une grande liberté. L’avez-vous cette marge de liberté qui fait le point entre le diplomate et l’écrivain ?
Je tiens à ma liberté plus que tout. Un écrivain qui ne jouit pas de sa liberté se doit de changer de métier. Là, j’ai écrit un roman. Il a été bien accueilli par les politiques, le Quai d’Orsay et mon chef direct. Cela veut-il dire qu’ils acceptent cette indépendance. Je suis persuadé que oui. J’ai rempli cette fonction avec beaucoup de loyauté, d’engagement et de rigueur. Je n’ai pas abandonné ma liberté en faisant ce métier. Je suis à la fois témoin et écrivain.

Craignez-vous pour votre vie et votre famille après la sortie d’un tel livre ?
Nous sommes exposés en tant que diplomates. Mais on est aussi protégés et la sécurité fait partie de notre quotidien. Il faut dire aussi que j'ai pris un certain nombre de précautions entre l'information et la fiction.
Vous arrivez à la fin de votre mandat au Sénégal,  qu’allez-vous faire ? Un poste dans un autre pays ?
Oui, j’ai bouclé mes trois ans de service à Dakar. Il faut dire que je n'ai jamais fait une carrière aussi rectiligne. Ce travail m’a beaucoup apporté à plusieurs niveaux. J’ai aimé le faire et le vivre.  Cela m’a permis d’être en prise directe avec le monde. Et surtout, cela m’a permis d’écrire un roman. On verra au moment voulu ce que je ferai. Pour le moment, je n’ai reçu aucune offre. 
Et la politique ? Envisagez-vous une carrière plus poussée ?
(Rires) Non, je ne suis pas  fait pour la politique. Il faut être animé par d’autres ambitions et avoir les dents acérées pour un tel exercice.

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