Le plasticien irakien, Imad
Mansour, qui vit au Maroc depuis dix ans, expose ses travaux à la galerie Rê de
Marrakech et en Lituanie, jusqu’au 31 juillet 2013. L’occasion de revenir sur
une décade de créativité pour un artiste cosmopolite.
Des
pieds. Les uns à côté des autres. Des pieds coupés. Des pieds, les uns derrière
les autres. En cercle, en triangle, sur le sable, sur l’argile. Des pieds qui ne
disent ni la vie ni la mort. Juste une partie d’une existence, toujours dans un
entre-deux. Tout le travail de Imad Mansour se joue dans une frontière. Faut-il y voir l’empreinte
inachevée d’un exil loin de sa Mésopotamie natale ? Il y a à coup sûr un peu
de cela. Et plus. Imad Mansour qui expose
jusqu’au 31 juillet 2013 à la galerie Rê de Marrakech, chez Lucien
Viola, fête ses dix ans de vie au Maroc. Que ce soit dans Anine(Gémissments),
Tadafouk ( chute d’eau) ou encore portes avec ce jeu subtil de l’oeil de bœuf
qui ouvre sur différents univers insoupçonnées, c’est constamment, une vision
dramatique du monde. Sans drame. Sans pathos. Mais un témoignage en filigrane
sur l’absurdité du monde. D’ailleurs, c’est à Imad Mansour que l’on doit un
autre beau travail intitulé à juste titre Godot attend (un pied de nez à «En
attendant Godot de Samuel Beckett»).
Constat tardif
C’est
un travail de sculpture et d’installations, avec de la photographie, de la
peinture et de la vidéo pour dire toute la complexité du sens face à la vacuité
du monde et de la perdition de l’humain. «On parle trop de l’homme, mais on se
rend compte tout le temps, qu’il n’est jamais là. Il est toujours avant ou
après, jamais au bon moment et au bon endroit ». Une manière de dire, que l’humain en
nous a déjà quitté la scène. Reste le constat tardif de son absence. Mais là,
non plus, l’absence n’est pas que physique. Elle est aussi celle de l’esprit.
On
peut aisément lire dans ce travail les stigmates de la guerre. Celle-ci,
présente dans le travail de Imad Mansour a façonné son regard. Morts, cadavres,
restes d’humains, habits disloqués, parties éparses d’existences passées. C’est
ce champ sémantique très particulier qui imprime une vision non pas sombre du
monde, mais sa ns
compromis. Le monde n’est ni beau, ni laid. Il n’est pas plus bien que mal, il
est là. Il se suffit à lui-même. A la limite, il peut se passer des humains.
Reste nt les traces, comme ces chemises figés dans le temps qui rappellent tant
de dépouilles inconnues.
L’Homme, cet inconnu
Cette
réflexion sur le temps qui passe a un côté kafkaïen chez Imad Mansour. Encore
une fois la notion de l’aberrant, le non-sens, qui au fond, devient une
signifiance. Mais pour Mansour, c’est peut-être facile de jouer cette nuance
par trop évidente. Il va au-delà. Il montre le monde dans son sens onirique,
entre cauchemar et frayeur. Un univers en suspend.
C’est
ce même travail sur le temps et la présence-absence de l’Homme qui est aussi
présenté par Imad Mansour en Lituanie depuis le 24 juin 2013. « Il n’est
pas question de transfigurer le monde
ni de créer une nouvelle place pour les hommes que nous sommes. Il s’agit juste de regarder par un trou
et de voir la face non-révélée de ce qui nous entoure. On peut tout mettre de
l’autre côté d’une porte. On peut vérifier en regardant. Ou ne pas aller jusque-là
et laisser l’imagination habiller
l’espace comme elle le désire ». C’est une gageure. Il est aisé de le
dire, mais l’homme qui se méconnaît, tente par tous les moyens de
maîtriser ce qui l’entoure.
Arrive-t-il à cerner la vie ? Rien n’est moins sûr. D’où la profondeur de
ce travail plastique chez Imad Mansour qui se situe, encore une fois, à une
frontière entre l’esthétique du chaos, la métaphysique, la phénoménologie et la
dialectique. On est même tenté de parler ici du monde conçu et appréhendé comme
représentation de ce qui n’est pas et volonté d’affirmer une vision unilatérale
qui ne sera jamais acquise. Tout le dilemme de l’Homme est là. Aussi sa force.
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