C’est un essai bien documenté sur une figure unique dans
les annales de la poésie et de la pensée arabes. Abou Tayeb Al Mutanabbî, poète
de la bravoure et du défi.
La
rumeur toujours invérifiée sur une hypothétique auto-proclamation en tant que
prophète, a été à l’origine de beaucoup de tort causée à l’oeuvre de l’un des
poètes arabes les plus atypiques. Les plus inspirés, les plus profonds, aussi.
Abou Tayeb al Mutanabbî (915-965), n’aura vécu que 50 ans. Il est mort
assassiné, très jeune. Mais son œuvre occupe une place de choix chez les
connaisseurs de la poésie arabe. Son diwan reste son œuvre maitresse, son
graal, une pièce de choix à une époque où la poésie était sur le déclin, après
l’âge d‘or pré-islmaique des Moallakate, celle de Antara Ibnou Chaddad, Imroo
Al Kays, Annabigha Doubiani et d’autres. Le poète aura souffert d’un terrible manque d’intérêt pour un
travail ontologique à la fois ancré dans la tradition arabe et très novateur
par rapport à toute cette période de troubles où il a vécu. Certains exégètes
ont donné dans la diatribe gratuite faute d’arguments pour lire et analyser une
œuvre qui vit au-delà du temps, alors que d’autres poésies portées aux nues ont
sombré à travers les siècles étant dénué d’universalité.
Quête de soi
Al
Mutanabbî était un poète épique dont le travail était centré sur lui-même.
Ouvert sur le monde, voyageur ayant vécu dans plusieurs palais, jouant tantôt
au courtisant, tantôt aux détracteur, tout son Diwan ne parle que de lui. C’est
en somme une autobiographie poétique qui trace une vie, un parcours. Un
cheminement artistique, fait de bravoure et de défi qui va au-delà de cette
époque pour se projeter dans l’avenir. Un témoignage à vif de la profondeur
d’un regard qui a su capter les
failles de ses semblables, les dérives politiques et sociales de son époque
pour en rendre compte dans un voyage presque homérique.
D’un
autre côté, il faut voir dans l’œuvre d’Abou Tayeb Al Mutanabbî, la volonté
certaine de vouloir penser autrement les doctrines de l’islam. Sans être un opposant ni un simple athée, le
poète ne voulait pas se contenter d’une lecture basique d’une religion beaucoup
plus complexe qu’il n’y paraît. La notion même de la foi était pensée et
réfléchie différemment. Il ne s’agissait pas pour le poète de croire bêtement,
mais il a élevé la foi au rang de philosophie, de pratique quotidienne dictée
par un sens aigu de l’existence entre devoir, absurdité, passage du temps et
quête infini de soi, dans la paix. Aujourd’hui, Patrick
Mégarbané signe un ouvrage bien mené qui donne une autre lecture de ce poète
souvent maudit par tant de mauvaises lectures. Ce n’est là que justice pour un
penseur arabe qui a marqué l’histoire avec de magnifiques saillies poétiques,
toujours de mise, aujourd’hui.
Editions Actes Sud.
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