Choses vues : plusieurs
bureaux de paris sur les jeux e hasard battent son plein en ce moment. C’est la
grande rentrée des courses des cheveux. Les turfistes marocains se frottent les mains entre miettes gagnées
et pertes sèches. Balade dans le milieu infernal des joueurs au hasard.
Les
mines sont grises. Les têtes des mauvais jours. La course à Vincennes bat son
plein. Les jockeys cravachent les croupes de leurs montures. C’est une course
de Steeple Chase. La chaine Equidia qui transmet la course en direct de la
banlieue parisienne est le centre
de tous les intérêts. Chacun y va de son commentaire. Tel jockey est un raté,
tel cheval est un bâtard quand à cette jument, numéro 13 qui file vers la
victoire est un tocard, qui va rafler la mise. Evidemment, tout le monde ou
presque a misé sur les favoris. Le 5, le 8 e, le 6 et 2. Dans l’ordre. Si le 13 gagne, le parieur inconnu peut
se faire un joli pactole. Mais rien n’est moins sûr.
Vieux de la vieille
Nous
sommes sur le boulevard de Paris,
pas loin du conservatoire de musique de la ville. Des jeunes filent vers les
cours quelques violons sous les bras. A côté, à dix mètres, il y a les
parieurs, les joueurs du hasard, les accros de la chance qui finira, peut-être
par tourner, un jour. Allal est un vieux briscard. Un « kemmar »
invétéré. Il est presque la mascotte du coin. Il est aussi célèbre boulevard de
Paris, que du côté de l’autre «trou au hasard » de la rue du Prince
Moulay Abdellah ou encore boulevard Roudani. Une vie au hasard. Plus de 30 ans de jeux. Tiercé, quarté,
Quinté. Il lit le Paris-Turf comme d’autres le Coran. C’est son livre de
chevet. Il connaît les jockeys, les juments, les hongres, les outsiders, les
grands analystes du cheval dans le monde. C’est un pro. Quand il parle, il
aligne les noms de célébrité, Soumillon et Peslier sont des connaissances. Oui,
les deux meilleurs cavaliers du moment sont « de la famille. C’est eux qui
me font gagner quand la chance tourne», assène Alla, un brin vexé par notre
ignorance dans le domaine. Très vite,
il critique deux autres coureurs qui répondent aux noms de Schmidlin et Nabet. Pour
lui, « ce ne sont pas de vrais champions. Ils truquent les jeux et font
des combines ». On l’a bien compris, pour un parieur, c’est toujours la
faute à pas de chance. Et les autres sont constamment pointés du doigt.
L’histoire
de Allal est cella de milliers d’autres. Tous accrocs aux jeux. Lotto, Toto foot,
grattage, jeux en ligne, tiercé, chevaux et chiens, là où on peut miser sur
quelque chose, il y a addiction. Certains ont ruiné des vies. Comme le cas de
cette célébrité casablancaise, très connu boulevard Abderrahim Bouabid, un
pilier de bar, qui roulait sur l’or après un héritage et qui a tout joué en 6
ans. Aujourd’hui, il vend des cigarettes en détails pas loin de la gare de
l’oasis. C’est que le goût de la gagne est terrible. On y goûte une fois et le pli est prix. On
joue, on rejouer, et toute une vie est passée en un clin d’oeil. Plus rien ne
compte «il faut trouver de quoi acheter un ticket. On peut vendre ses
souliers, hypothéquer sa télévision, certains ont été plus loin et ont sacrifié
femme et enfants pour un ticket». Sauf que le ticket en question était, bien entendu,
perdant.
Coups de malchance
Tous
les parieurs rêvent du destin de cet autre vendeur de clopes de Bouchentouf qui
est devenu millionnaire en un
instant. Il a acheté un ticket. Il a joué. Il a gagné plus de 100 briques. Coup
de chance. Mais rare. Mais cela ne démotive pas les risquilleurs. Toujours
boulevard de Paris. La course est sur le point de finir. Le 13 mène la danse.
Les gens s’insultent. L’atmosphère tourne vite au vinaigre. Quand la ligne
d’arrivée est franchie. Pas un seul qui ait gagné un kopek. «J’ai perdu 300 dhs
dans ce jeu. Mais je vais me refaire pour le second départ, celui de 13
heures », précise, Ali, un jeune parieur qui a bien potassé son manuel du
turfiste optimiste. Ali, 24 ans est tombé dedans comme d’autres dans une potion
magique. Mais s’il a gagné à deux reprises des sommes assez rondelettes
n’excédant pas les 50 000 dhs, il jure ses grands saints et tous les jockeys du
monde, les chiens et les juments, que le gros lot lui tend les bras. «Ca va
venir, je vais gagner. Je le sais ». Comment ? Un secret que lui seul
peut déchiffrer. Mais il s’y accroche. C’est sa raison de vivre.
Pertes sèches
Quand
on lui montre tous les autres qui ont tous su qu’ils allaient casser la
tirelire et qui ont fini clodos, il riposte : » il faut savoir
s’arrêter. C’est le seul secret dans ce domaine. On attend de gagner le bon
coup et on tourne la page ». C’est vrai. Mais presque tous les parieurs
veulent gagner plus. Alors, la page
n’est jamais tournée. Plutôt leurs vies filent droit dans l’enfer. Car
le quotidien d’un joueur est simple. Il ouvre les yeux, il saute du lit. Il
sort. Il pointe au « trou ». Il est reste jusqu’à 10 heures du soir.
Il mange au trou. Il se repose au trou. Il se bagarre au trou. Et parfois y
passe la nuit, quand on baisse les
rideaux et qu’il n’y pas de lit douillet ailleurs pour l’accueillir.
Quand
on quitte les lieux, ce jour là, dans l’après-midi, un air de désolation plane
sur cet endroit. Des papiers jonchent le sol par milliers. Des vendeurs de
cacahuètes et de cigarettes font la tournée. Des mômes sont cramponnées à des
vieux pour aller prendre les
tickets contre quelques pièces de monnaie. Mais pas un sourire. Pas un seul
visage qui respire la santé. Teint blafard dû au stress et à la perte qui les
ronge tous les jours.
On
ravale sa colère. On peste contre la terre entière. On sait qu’il n’y plus de
retour possible quand on a été agrippé par l’enfer du hasard. Il faut aller
mourir chaque jour, à petit feu, on attendant la roue de la fortune. Où elle
sourit ou alors c’est un rouleau compresseur qui apporte le coup de grâce.
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