lundi 17 mars 2014

Le diplomate, l’acteur et la maîtresse

En 48 heures, les relations entre le Maroc et la France ont pris un sérieux coup de froid. Entre l’affaire Abdellatif Hammouchi, patron de la DGST et les propos «blessants » de l’ambassadeur de France à Washington traitent le royaume de « maîtresse », la sortie de crise semble improbable.


 


Incompréhensible. Cette descente de police à la résidence de l’ambassadeur du Maroc à Paris, sise Villa Said, entre le Bois de Boulogne et Neuilly sur Seine, le jeudi 20 février 2014, a pris tout le monde de court. Le but de cette action policière à laquelle ont pris part 7 agents était d’emmener Abdellatif Hammouchi,  le directeur de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) au commissariat pour l’auditionner dans le cadre de plaintes déposées à Paris relatives à des faits présumés de torture au sein du centre de détention marocain de Temara. M. Hammouchi accompagnait lors de cette visite à Paris, le ministre marocain de l’Intérieur Mohamed Hassad pour une rencontre avec ses homologues français, espagnol et portugais qui porte essentiellement sur les enjeux sécuritaires entre les quatre pays. Une coopération quadripartite dans laquelle le directeur de DGST joue un rôle important.
Cette démarche policière fait suite à la demande d’une ONG française, l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) qui a profité  du déplacement en France du patron du contre-espionnage marocain pour demander aux autorités d’entendre ce responsable qu’elle accuse de «complicité de torture».


Timide recadrage

           
Le lendemain, le vendredi 21 février, c’est autour du ministère des Affaires étrangères marocain de réagir en qualifiant l’affaire d'«incident rare et inédit» dans les relations avec la France. A Rabat, en l’absence du chef de la diplomatie marocaine, Salaheddine Mezouar en voyage avec Sa Majesté le Roi pour sa tournée africaine, c’est la ministre déléguée Mbarka Bouaida, qui a convoqué l’ambassadeur de France, Charles Fries, pour lui signifier que cet incident est «de nature à porter atteinte au climat de confiance et de respect mutuel qui a toujours existé».  Première conséquence du courroux marocain,  la visite au Maroc de « l'envoyé spécial du président français pour la planète », Nicolas Hulot, prévue pour lundi 24 et mardi 25 février, est « reportée » sine die.  

Le samedi 22 février, le ministère français des Affaires étrangères a enfin réagi qualifiant l’affaire d’un «incident regrettable». Dans un communiqué succinct,  le porte-parole du ministère, Romain Nadal a indiqué qu’«En réponse à la demande des autorités marocaines, nous avons immédiatement demandé que toute la lumière soit faite, le plus rapidement possible, sur cet incident regrettable…».

Fierté nationale

L’histoire d’Abdellatif Hammouchi n’est pas encore tirée au clair, qu’un deuxième incident vient se greffer dessus. Le protagoniste que personne n’attendait dans cet imbroglio, sur fond de contre-espionnage et de torture, est l'acteur espagnol Javier Bardem. Le mardi 18 février, lors d'une conférence de presse à Paris pour présenter un documentaire consacré à la situation dans le Sahara occidental, intitulé, « Les enfants des nuages, la dernière colonie », produit par ses soins et dont la sortie en France est prévue pour le 30 avril 2014, l’acteur-défenseur de la cause sahraouie est intervenu, aux côtés de la pasionaria sahraouie, Aminatou Haidar pour déclarer que "L'ambassadeur de France aux Etats-Unis, François Delattre, qu'on a rencontré en 2011, nous a dit que le Maroc est une maîtresse avec laquelle on dort toutes les nuits, dont on n'est pas particulièrement amoureux mais qu'on doit défendre. Autrement dit, on détourne les yeux".


Coup de fil

Lundi 24 février, la tension est au plus fort. Rien n’est venu l’apaiser. François Hollande se devait de sortir de son silence. Il s’entretient au téléphone avec Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Un entretien qui a eu lieu à l’initiative du président Hollande. Le but en est de « dissiper tous les malentendus et assurer le Roi du Maroc de l’amitié constante entre la France et le Maroc » comme l’a précisé un responsable à l’Elysée.   

Pour l’opinion publique marocaine et l’ensemble de la classe politique, ce n’est pas suffisant. Il y a affront et hostilité flagrante à réparer. Mardi 25 février 2014, plusieurs milliers de personnes ont manifesté devant l'ambassade de France à Rabat pour protester contre les propos "blessants" sur le Maroc, attribués au diplomate français. Ce n’est que le 26 février que le Quai d’Orsay donne enfin des explications précises sur toute cette affaire. Romain Nadal, le porte parole du ministère des Affaires étrangères français, affirme que le diplomate français, François Delattre, en poste à Washington, n’avait pas rencontré M. Bardem et n’avait, par conséquent, pas pu tenir les propos qui lui sont prêtés ». Erreur grave d’interprétation ou simple bévue de journalistes, il se trouve que lesdits propos n’ont pas été prononcés par M. Delattre. Ils ont été dits par Gérard Araud, ambassadeur de France aux Nations unies, donc à New York et non à Washington.


« Compétence universelle »

Mais qu’en est-il des dessous de l’Affaire Abdellatif Hammouchi ? Tout remonte à une des plaintes auxquelles s’est associée Acat, déposée avec constitution de partie civile par Adil Lamtalsi, un Franco-Marocain de 33 ans. C’est ce qui a donné lieu à l’ouverture fin 2013 d’une information judiciaire à Paris.   Adil Lamtalsi affirme avoir été arrêté en octobre 2008 près de Tanger, puis torturé pendant trois jours à Temara. Il explique également qu’on l’a « obligé  à signer des aveux. » En novembre 2008, il est condamné à 10 ans de prison ferme pour détention et trafic de cannabis. Il est ensuite transféré en France pour y purger le reste  de sa peine. M. Lamtasi a été transféré en France et libéré sous conditions début 2014.
Dans cette plainte Abdellatif Hammouchi est accusé de «complicité de torture.»
C’est également le cas dans une autre plainte déposée par un autre marocain de 44 ans, Ennaâma Asfari, un militant pour l'autodétermination du Sahara occidental, condamné en 2013 à trente ans de prison au Maroc.  Deux plaintes qui ont été suivie par une troisième déposée le 21 février par Zakaria Moumni,  condamné  à 2 ans de prison entre 2010 et 2012 et gracié après 17 mois par Le Roi Mohammed VI.  Son avocat, Patrick Baudouin, affirme que l’ancien champion du monde de boxe thaïe, accuse directement le patron de la DGST non « de complicité de torture », mais de « torture».











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