La loi
contre le harcèlement sexuel est renvoyée aux calendes grecques. Des points de
discordes persistent sur la mouture finale. Pas étonnant si les principales ONG affirment ne pas avoir
été consultées pour apporter leurs expériences.
Jeudi 7 novembre 2013. Conseil du gouvernement. Un rendez-vous attendu par des millions de femmes marocaines
et par toute la société civile. A l’ordre du jour, des discussions sur le
projet de loi contre le harcèlement sexuel des femmes au Maroc. Un vaste
chantier. Très attendu par toute la population et les ONG. Mais qui aura
avorté. Motif. Des dissensions au sein du gouvernement d’Abdelilah Benkirane
sur des détails, importants, selon le chef du gouvernement. D’abord, le premier
point soulevé est ce point qui incrimine l’un des conjoints en cas de
conflit à propos de biens commun.
Si la nouvelle loi devait qualifier de vol tout abus de la part d’un des époux,
plusieurs sensibilités au sein du gouvernement pensent qu’on ne peut pas parler
de vol au sein d’un couple marié. Les liens sacrés du mariage étant au-dessus
des contingences matérielles.
En effet, de nombreuses affaires, traitées devant la justice ont mis ce
point sur la table. Les époux s’attaquent et s’accusent de faire main basse sur
de l’argent, un compte en banque ou encore des meubles… Difficile, certes de
parler de vol quand on a partagé une vie et fondé un foyer. Mais il reste qu’il
y a souvent des abus contre les femmes. D’où l’importance de poser un tel sujet
sur la table pour déterminer la procédure à suivre.
Points de
discorde
L’autre pomme de discorde dans ce projet de loi
concerne les peines. Pour plusieurs membres du gouvernement, elles sont jugées
«trop sévères». Les harceleurs dans les rues
pourraient risquer une peine d’un mois à deux ans d’emprisonnement ainsi qu’une
amende de 1 000 à 3 000 dirhams. Il faut aussi préciser que «cette peine est doublée si ce délit est
commis par un collègue dans le cadre professionnel ou par des personnes
chargées de veiller à l’ordre ou à la sureté dans les espaces publics», peut-on
lire dans la mouture reportée dudit projet de loi. Et pour éviter toute
confusion, le gouvernement a
défini le harcèlement comme suit : le harcèlement sexuel est «tout acte importun à l’encontre d’un tiers
dans les espaces publics à travers des actes, des propos ou des gestes à
caractère sexuel ou dans le but d'obtenir un acte de nature
sexuelle». Le seul hic pour certains responsables d’ONG, est le fait que
parfois, le harcèlement n’est pas à sens unique, visant uniquement les femmes.
Il peut aussi être commis contre des hommes. Alors dans ce cas, que prévoit la
loi ? Il faudra donc attendre que la commission ad hoc, désignée par le
gouvernement, étudie le projet des lois et trouver les bonnes formules pour
établir une loi sans failles au services de tous les citoyens.
Résistances islamistes
Ce projet de loi portant sur le harcèlement
sexuel a été élaboré par le ministère de la Solidarité, de la Femme et du
Développement social, en collaboration avec le ministère de la Justice et des
Libertés. Il est donc une émanation du parti du PJD en la personne de deux
ministres pjdistes, Bassima Hakkaoui et Mustapha Ramid. Il aurait été, selon de
nombreuses associations et ONG nationales, un travail en solo par madame
Hakkaoui sans consultations préalables avec des acteurs du terrain. De
nombreuses entités comme l’Association marocaines de lutte contre la violence à
l’égard des femmes, ou encore l’Association démocratique des femmes du Maroc
(ADFM) affirment ne pas être du tout au courant de ce projet de loi. Pire,
plusieurs militantes, connues pour le travail sur le terrain, au contact
quotidien avec les femmes, soulignent qu’elles ont appris qu’il y a un projet
quand elles ont lu la presse nationale. Ce qui fait dire à Samira Bikardem de
l’AFDM, que : «A notre connaissance, il n’y a jamais eu un projet de
ce genre. Le seul projet dont nous sommes informées aborde le harcèlement
sexuel dans le cadre d’une loi globale contre le phénomène de la violence à
l’égard des femmes, élaboré du temps de Yasmina Badou au poste de ministre de
Développement social, de la Famille et de la Solidarité (2002- 2007). Seuls
quelques paragraphes y étaient consacrés au harcèlement sexuel. A ce jour, nous
ne savons pas ce qu’il en est.».
Réalités du terrain
On
comprend aisément que les ONG marocaines montent au créneau et dénoncent ce travail
en solo de Madame Hakkaoui. Ce sont ces femmes militantes qui maîtrisent les
réalités quotidiennes du harcèlement, qui n’est pas uniquement sexuel, amis
aussi moral et psychologique. Cela va au-delà d’une drague poussé à l’extrême
et mâtinée d’insultes voire de violence physique. Le harcèlement se vit au travail par des patrons qui
insultent, invectivent, rabaissent leurs employées femmes. Les hommes aussi y
passent souvent. Dans ce sens, il aura fallu au moins contacter des centres
d’écoute comme Nejma et d’autres qui reçoivent chaque jour des plaintes de
femmes appartenant à toutes les catégories sociales et toutes les tranches
d’âge. Pourtant, les préparatifs de ce texte de loi ont été faits sont que les
militantes marocaines ne soient impliquées ni dans les concertations, ni pour
affiner des points précis.
Certains militants y voient la main mise du PJD sur cette loi. Pour eux,
«le parti islamiste au pouvoir a même voulu revoir à la baisse les peines pour
les harceleurs. Tout comme cet aspect d’abus sur les biens de la femme par
l’époux. On voit bien qu’on veut appliquer la charia à la lettre alors que les réalités marocaines demandent une
vision différente, certes en respect de la religion, mais adaptés au monde où
on vit ». Autrement dit, et c’est
là un point commun à presque tous les militants contre la violence faite aux
femmes, il faut des lois sévères, à tous les niveaux, contre la violence verbale, psychologique, morale et
matérielle, pour stopper l’hémorragie vécue par les victimes féminines dans une
société au lourd passif machiste et pour qui seuls les mâles ont raison.
« Curieux quand même qu’une femme ministre cautionne un tel état de fait
qui laisse traîner les choses alors qu’entre temps des millions de femmes
souffrent au quotidien », concluent plusieurs activistes de la société
civile.
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