mardi 26 février 2013

Neiges de Saint-John Perse



Saint John Perse est l'une des voix les plus oraclesques de la poésie modernes. Son recueil Anabase 

Et puis vinrent les neiges, les premières neiges de l’abscence, sur les grands lés tissés du songe et du réel ; et toute peine remise aux hommes de mémoire, il y eut une fraicheur de linges à nos tempes. Et ce fut au matin, sous le gel gris de l’aube, un peu avant la sixième heure, comme en un havre de fortune, un lieu de grâce et de merci où licencier l’essaim des grandes odes du silence.

Et toute la nuit, à notre insu, sous ce haut fait de plume, portant très haut vestige et charge d’âmes, les hautes villes de pierre ponce forées d’insectes lumineux n’avaient cessé de croître et d’exceller, dans l’oubli de leur poids. Et ceux-là seuls en surent quelque chose, dont la mémoire est incertaine et le récit est aberrant. La part que prit l’esprit à ces choses insignes, nous l’ignorons.

Nul n’est surpris, nul n’a connu, au plus haut front de pierre, le premièr affleurement de cette heure soyeuse, le premier attouchement de cette chose fragile et très futile, comme un frôlement de cils. Sur les revêtements de bronze et sur les élancements d’acier chromé, sur les moellons de sourde porcelaine et sur les tuiles de gros verre, sur la fusée de marbre noir et sur l’éperon de métal blanc, nul n’a surpris, nul n’a terni.

Cette buée d’un souffle à la naissance, comme la première transe d’une lame mise à nu… Il neigeait, et voici, nous en dirons merveilles : l’aube muette dans sa plume, comme une grande chouette fabuleuse en proie aux souffles de l’esprit, enflait son corps de dahlia blanc. Et de tous les côtés il nous était prodige et fête. Et le salut soit sur la face des terrasses, où l’Architecte, l’autre été, nous a montré des oeufs d’engoulevent !

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