Entre
manque d’infrastructures, démission des autorités de tutelle, absence d’un réel
débat de société sur la culture, l’espace créatif marocaine souffre de
plusieurs maux qui consacre un état d’inculture quasi généralisé.
On
déplore souvent le faible niveau de culture des citoyens marocains. Il y a
pourtant là un paradoxe, car tout membre actif d’une société multiculturelle
comme la nôtre est amené à développer un niveau d’expertise élevé et multiple
qui lui permet d’aborder le paysage culturel et artistique avec plus ou moins
d’aisance.
Qu’on
se le dise rapidement, dans l’état actuel de la culture à la marocaine, le
niveau d’ignorance concernant un domaine particulier est pratiquement aussi
élevé dans la collectivité artistique que parmi les profanes. Une question de
bases éducatives solides que plusieurs générations marocaines n’ont pas eu la
chance d’avoir.
Partant
de ce postulat, pour évaluer sérieusement le niveau moyen de compétence de la
société, il ne faut pas oublier que le savoir est intrinsèquement contextuel,
et que la signification d’une question ne peut être appréciée dans l’abstrait.
Et
sur le terrain du concret, le diagnostic est alarmant. Il est certes opportun d’attester
que la culture marocaine est malade, moribonde, mais il est plus judicieux
aujourd’hui de mettre le doigt sur
ce qui cause ses nombreuses pathologies.
Vide officiel
D’abord,
au Maroc, en termes de culture, ni l’Etat ni le ministère de tutelle n’ont
jamais lancé mêmes de simplistes sondages d’opinion pour connaître les limites
et les failles de la culture nationale. Ses sondages sur l’état de la culture
au Maroc n’ont jamais eu lieu et il faut le dire, personne n’y songe pour le
moment.
C’est
dire que le souci de prendre le pouls culturel du pays n’est pas à l’ordre du
jour. Cette notion de sonder nos affinités électives, nos besoins en arts,
notre désir de célébrer la variété créative échappe aussi trop souvent à la
conscience des artistes eux-mêmes. Dans un sens, ce sont les artistes, les
créateurs, les intellectuels qui doivent amorcer de telles initiatives pour
contrer l’apathie officielle.
Dans
cette configuration paradoxale, il est grand temps pour le Maroc d’ajouter aux
études et activités visant à une meilleure connaissance de l’histoire, de
l’héritage culturel et de la mémoire collective par le public, des études et
activités visant à une meilleure connaissance du public par les scientifiques.
Plus
profondément encore, c’est toute la formation des artistes qui doit être
repensée pour y intégrer les éléments d’histoire, de philosophie, de
sociologie, d’économie des sciences, désormais indispensables au travail créatif
quelle que soit sa nature et ses objectifs.
Le
problème à résoudre est non tant celui d’un hiatus de savoir, qui sépare les
profanes des « connaisseurs », que celui du hiatus de pouvoir qui
fait échapper les développements générationnels et les mutations sociales au regard
de ce qui peut générer une rencontre entre les arts et les publics dans leur
diversité.
Historiquement,
on le comprend bien, le Maroc a fait montre d’un déni grandissant pour tout ce
qui est culturel. La culture, à juste titre, étant assimilée à l’éveil, à la
volonté du changement et au désir de se prendre en main.
Pseudo-sacralité
Il
faut également rappeler que la prétendue inculture commune au Maroc n’est en
rien, contrairement à une opinion courante, spécifique à la culture. Le manque
de connaissances est tout aussi impressionnant dans d’autres domaines de la vie marocaine.
Il
est tout aussi frappant de constater avec quelle relative aisance les gens se
débrouillent pour maîtriser un environnement « culturé » toujours
plus complexe et en évolution rapide.
Chacun
semble capable d’acquérir les compétences qui lui sont utiles pour apprécier
une peinture, un film, une œuvre littéraire, une pièce de théâtre ou une
chanson.
Mais il
faut bien le dire, la plupart de ces
capacités restent à l’état d’acquis pratiques et disconnectés. Elles ne sont pas
intégrées dans un cadre théorique et une vision du monde globale.
Reste
que ces mêmes capacités constituent, au fond, des savoirs efficaces et
appartiennent à la culture commune. Dans un sens, il faut bien commencer par
admettre et admirer ces réussites avant d’en déplorer les limites.
Ceci
peut faire office d’un socle sur lequel on peut poser certains jalons et
assises pour donner corps à une plate-forme culturelle résolument tournée vers
la modernité, l’exigence de la qualité et la célébration du renouveau, loin des
archaïsmes traditionnalistes et autres théories passéiste sur l’héritage et sa
pseudo-sacralité.
L’impératif du débat
Sur
un autre niveau celui de la réactivité à la misère culturelle, il faut dépasser
ce diagnostic sceptique et tenter d’élaborer de nouvelles stratégies. Lesquelles ne peuvent être mises en
pratique sans une radioscopie des déficits qui minent la culture et les arts au
Maroc.
Ce qui
manque au Maroc, ce sont des débats libres et réfléchis. Des rencontres entre
acteurs de la société, artistes, économistes, politiques, penseurs, financiers,
promoteurs artistiques dont les idées peuvent rendre vivante la culture. De
tels dialogues et échanges sont à même de ressouder les liens sociaux et former
un citoyen civilisé.
On le voit
bien, au Maroc, les espaces de rencontre sont rares. Entre absence de musées,
de bibliothèques, d’écoles d’arts, d’infrastructures dédiées à l’actions
culturelle, la culture est -pour
consacrer une idée aujourd’hui galvaudée eu Maroc- le parent pauvre.
Inutiles,
non plus de vouloir trouver des traces de clubs, du genre, think-thank et
d’études prospectives, où l’intelligentsia marocaine vient se pencher sur les
problèmes, les avancées, les modalités, les idées nouvelles de la culture au
Maroc. Avec le but avoué de contribuer
à la clarification des données et à la maitrise des questions de l’heure.
Inutiles de
chercher des noms d’intellectuels ou de visages politiques, qui vont à la
rencontre de la société du savoir, des figures du « savoir » qui
parlent aux gens, qui amorcent une dynamique d’échanges avec le peuple pour
l’éduquer et le sensibiliser.
Au Maroc,
durant des années, on a oblitéré les voies d’accès à la parole de tous ceux qui
tentent d’analyser objectivement, sans amalgames, les contradictions de notre temps,
les espérances et les besoins, les impasses, les contradictions, les questions
de justice, les extrémismes…
Ceux qui
refusent la démocratie, emprisonnent, limitent le droit de parole et
monopolisent les médias.
Face à ce
vide, la démission gagne du terrain, le vide culturel fait rage, et la religion
devient un refuge et l’inculture
un état normatif des choses.
Dans ce
contexte bien marocain, on constate de façon de plus en plus criarde que c’est
toujours, malgré des sursauts de mouvance, comme ce qu’a semblé vivre le pays
depuis le 20 février (malgré le ratage),
la langue de bois se propage au lieu de la critique constructive. Le bavardage
au lieu de la réflexion. La démagogie au lieu de la franchise.
Bref, en terme de culture, c’est un boulevard
qui s’ouvre devant les Marocains et qui nécessite que l’on fasse table rase
d’un surplus de ratages et de dérives, pour enclencher une dynamique qui va à l’essentiel.
L’essentiel
étant l’éducation, l’impératif de l’accès au savoir dans les écoles, la
formation solide pour lancer des générations bercées par le goût du beau, le
désir de créer et de s’élever par
les arts et la culture.
Pour y
arriver et pour
la crédibilité de l’Etat et le renouveau de la société, il est impérieux de
donner la priorité à la parole vraie, à la culture et à la liberté de création.
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