Sélectionné
lors du festival du film de Marrakech, lauréat de plusieurs prix internationaux,
Les chevaux de Dieu de Nabil Ayouch sort en salles le 9 février 2013. Un film
actuel sur les dérives terroristes.
On ne nait pas martyr. C’est vrai. Mais on le
devient. L’accroche du film, Les Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch, met très vite
un terme à la fatalité. Tout le film suivra le même cheminement idéel. Aucune
place pour le pathos.
Nul désir d’attendrir ou de donner dans le
pathétique de mauvais aloi. Tout juste un regard sans complaisance sur une
réalité implacable.
La caméra balaye dans un
geste dense une parcelle de Casablanca. Un bidonville. Le cœur battant d’une
cité aux facettes éparses. Nous sommes avec Yassine, 10 ans au compteur.
La télévision nous parle
de la mort de Hassan II. Une page est peut-être tournée. La mère est une brave femme. Comme toutes
ses semblables qui ont la misère pour carburant. Le père est une épave.
Nabil Ayouch nous livre
dans cet opus l’une des figures de la mort du père les plus marquantes du
cinéma local. Le père est absent, mais il est là, une ombre au tableau. Un
pantin. L’un des frères guerroie quelque part, peut-être au Sud du pays. L’autre
frangin est mal en point. Un peu dérangé, il vit aux crochets de sa radio. Il
jure par les infos.
Mais Hamid, lui, est un
dur. Il distribue les coups comme d’autres les prêches et joue au protecteur
d’un petit frère, féru de ballon rond. Gardien de but un peu loufoque, il a
pour idole un certain Lev Yachine, l’araignée russe.
L’enfer carcéral
Hamid se fait coffrer
par des flics ripoux et Yachine doit faire l’amer constat de la vie sans soutien. Il découvre la cigarette et
les joints, les joies du corps, les soirées miséreuses entre désœuvrés.
Quand Hamid refait
surface il est transformé. Gandoura et barbe. Un nouveau look et de nouveaux
rêves. La fracture entre les deux frères est aussi béante que le Grand Canyon.
C’est là qu’une figure tutélaire entre en scène. Abou Zoubeir, le chef
spirituel, qui recrute à tour de bras et prépare son coup.
Difficile de décrire
toute la complexité de la trajectoire morale des deux frères Yassine et Hamid.
Nabil Ayouch les caste vierges de tout formatage cinématographique. Il les choisit
aussi frères à la ville. On suit leur parcours avec tension.
Les personnages sont
contraints par les événements à prendre certaines décisions. Les deux frères,
séparés par la vie puis réunis par la promesse de la mort, sont écartelés entre
des fidélités contradictoires qui se paieront de trahisons.
Quels que soient les
choix à faire, Nabil Ayouch nous dit que les pertes sont potentiellement plus
considérables que les gains. Le rouleau compresseur a été mis en branle une
fois le frère a été endoctriné en prison.
Avec un numéro d’écrou,
il y a deux voies de salut possibles : la prière ou l’extase
hallucinatoire.
Tragédie humaine
Et c’est là que Nabil
Ayouch touche au fond de son sujet. La religion, comme les drogues peut nous
monter à la tête et nous faire naviguer dans des sphères où les réalités
s’éloignent à chaque psaume.
La mise en scène
elle-même vient consacrer cette descente aux enfers par telle dominante de couleurs
et de lumière, ou tel plan sur tel visage.
Comme dans toute
tragédie qui se respecte, les personnages sont pris dans des dilemmes sans
issue satisfaisante, et leurs destins sont gouvernés par un ensemble de
circonstances qui les dépassent.
On sent la fin de tout
ce beau monde approcher à pas de géant. Les dates défilent. Et Nabil Ayouch
accentue l’historicité de son film
par l’approche de cette nuit du 16 mai 2003.
Sans fards superfétatoires, encore
moins cette panoplie cache-misère qui fait office de trompe l’oeil quand on
veut coller à la véracité de l’histoire, le film se décline en paliers à
franchir. Ce sont les mêmes obstacles qui vont aplanir la route vers la nuit de
l’explosion. Sans artifices, ni oripeaux scénaristiques, on
colle au propos dans une
efficacité narrative qui ne laisse aucune place à la détente.
Et même lorsque les visions de l’apocalypse
anticipée par le spectateur affleurent, elles sont alors vouées à un exponentiel brouillage des plans
comme dans une volonté certaine
non pas de reconvoquer une sensation mais à en oblitérer la persistance.
Le mot de la
fin
Cette économie du dire rend la fin du film, entre
camps d’entrainements et ablutions finales avant le martyr présumé, d’un
tragique neutre.
Là, à ce moment précis
des bobines, les visages et les corps qui portent cette histoire humaine reflètent
une conscience douloureuse et déchirée parfaitement exprimée dans l’intériorité
des regards de plus en plus fermés des deux frères.
Nabil Ayouch signe là
son film le plus abouti. Il manie avec brio de lourds symboles, avec des personnages qui
finissent par devenir archétypiques fortement connotés comme s’ils étaient
légers comme une plume, que n’importe quel vent peut soulever et faire planer
au-dessus des contingences du réel.
Cette capacité à agencer la vie et la mort avec une
étrange finesse tout en contrastes, fait que ces Chevaux de Dieu sont lancés à
bride abattue dans les pâturages secs du bien et du mal.
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