vendredi 1 février 2013

Les chevaux de Dieu de Nabil Ayouch : Une saison blanche et sèche


Sélectionné lors du festival du film de Marrakech, lauréat de plusieurs prix internationaux, Les chevaux de Dieu de Nabil Ayouch sort en salles le 9 février 2013. Un film actuel sur les dérives terroristes.




On ne nait pas martyr. C’est vrai. Mais on le devient. L’accroche du film, Les Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch, met très vite un terme à la fatalité. Tout le film suivra le même cheminement idéel. Aucune place pour le pathos.

Nul désir d’attendrir ou de donner dans le pathétique de mauvais aloi. Tout juste un regard sans complaisance sur une réalité implacable.

La caméra balaye dans un geste dense une parcelle de Casablanca. Un bidonville. Le cœur battant d’une cité aux facettes éparses. Nous sommes avec Yassine, 10 ans au compteur.  

La télévision nous parle de la mort de Hassan II. Une page est peut-être tournée.  La mère est une brave femme. Comme toutes ses semblables qui ont la misère pour carburant. Le père est une épave.

Nabil Ayouch nous livre dans cet opus l’une des figures de la mort du père les plus marquantes du cinéma local. Le père est absent, mais il est là, une ombre au tableau. Un pantin. L’un des frères guerroie quelque part, peut-être au Sud du pays. L’autre frangin est mal en point. Un peu dérangé, il vit aux crochets de sa radio. Il jure par les infos.

Mais Hamid, lui, est un dur. Il distribue les coups comme d’autres les prêches et joue au protecteur d’un petit frère, féru de ballon rond. Gardien de but un peu loufoque, il a pour idole un certain Lev Yachine, l’araignée russe.

L’enfer carcéral
Hamid se fait coffrer par des flics ripoux et Yachine doit faire l’amer constat de la vie sans  soutien. Il découvre la cigarette et les joints, les joies du corps, les soirées miséreuses entre désœuvrés.

Quand Hamid refait surface il est transformé. Gandoura et barbe. Un nouveau look et de nouveaux rêves. La fracture entre les deux frères est aussi béante que le Grand Canyon. C’est là qu’une figure tutélaire entre en scène. Abou Zoubeir, le chef spirituel, qui recrute à tour de bras et prépare son coup.   

Difficile de décrire toute la complexité de la trajectoire morale des deux frères Yassine et Hamid. Nabil Ayouch les caste vierges de tout formatage cinématographique. Il les choisit aussi frères à la ville. On suit leur parcours avec tension.

Les personnages sont contraints par les événements à prendre certaines décisions. Les deux frères, séparés par la vie puis réunis par la promesse de la mort, sont écartelés entre des fidélités contradictoires qui se paieront de trahisons.

Quels que soient les choix à faire, Nabil Ayouch nous dit que les pertes sont potentiellement plus considérables que les gains. Le rouleau compresseur a été mis en branle une fois le frère a été endoctriné en prison.

Avec un numéro d’écrou, il y a deux voies de salut possibles : la prière ou l’extase hallucinatoire.

Tragédie humaine
Et c’est là que Nabil Ayouch touche au fond de son sujet. La religion, comme les drogues peut nous monter à la tête et nous faire naviguer dans des sphères où les réalités s’éloignent à chaque psaume.

La mise en scène elle-même vient consacrer cette descente aux enfers par telle dominante de couleurs et de lumière, ou tel plan sur tel visage.

Comme dans toute tragédie qui se respecte, les personnages sont pris dans des dilemmes sans issue satisfaisante, et leurs destins sont gouvernés par un ensemble de circonstances qui les dépassent.

On sent la fin de tout ce beau monde approcher à pas de géant. Les dates défilent. Et Nabil Ayouch accentue  l’historicité de son film par l’approche de cette nuit du 16 mai 2003.

Sans fards superfétatoires, encore moins cette panoplie cache-misère qui fait office de trompe l’oeil quand on veut coller à la véracité de l’histoire, le film se décline en paliers à franchir. Ce sont les mêmes obstacles qui vont aplanir la route vers la nuit de l’explosion. Sans artifices, ni oripeaux scénaristiques, on colle  au propos dans une efficacité narrative qui ne laisse aucune place à la détente.  

Et même lorsque les visions de l’apocalypse anticipée par le spectateur affleurent,  elles sont alors vouées à un exponentiel brouillage des plans  comme dans une volonté certaine non pas de reconvoquer une sensation mais à en oblitérer la persistance.

Le mot de la fin

Cette économie du dire rend la fin du film, entre camps d’entrainements et ablutions finales avant le martyr présumé, d’un tragique neutre.

Là, à ce moment précis des bobines, les visages et les corps qui portent cette histoire humaine reflètent une conscience douloureuse et déchirée parfaitement exprimée dans l’intériorité des regards de plus en plus fermés des deux frères.

Nabil Ayouch signe là son film le plus abouti. Il manie avec brio de lourds symboles, avec des personnages qui finissent par devenir archétypiques fortement connotés comme s’ils étaient légers comme une plume, que n’importe quel vent peut soulever et faire planer au-dessus des contingences du réel.  

Cette capacité à agencer la vie et la mort avec une étrange finesse tout en contrastes, fait que ces Chevaux de Dieu sont lancés à bride abattue dans les pâturages secs du bien et du mal.  

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