vendredi 10 mai 2013

L’héroïne afghane envahit le marché marocain Poudre noire pour mort blanche


50.000 doses d’héroïne quotidiennes au Maroc. 20.000 personnes sont toxicomanes. Les prix varient entre 50 dhs le très bas de gamme jusqu’à 700 dhs pour une poudre de qualité meilleure.  Tanger et Tétouan sont les villes les plus touchées. 

Le mythe de la poudre fine blanche étalée sur une plaque de verre que l’on coupe à l’aide d’une carte de crédit ou d’un billet de banque fait partie du décor du cinéma. Dans la vraie vie, la vie marocaine s’entend, l’héroïne est noire. On l’appelle dans le jargon des toxicomanes ‘Lka7la’. On peut se la procurer pratiquement dans toutes les grandes villes du Maroc. À Casablanca, Rabat, Marrakech, Fès, Agadir et Oujda. Mais ce sont Tanger et Tétouan qui sont les plus touchées par l’invasion de la poudre noire. Ce produit en provenance d’Afghanistan traverse des milliers de kilomètres avant d’arriver chez quelques dealers locaux. Les circuits sont déjà identifiés par les autorités marocaines en collaboration avec leurs homologues espagnoles qui affirment que la poudre arrive d’abord aux Pays-Bas. C’est là qu’elle est transformée et coupée avec d’autres substances chimiques. Elle est ensuite acheminée via des passeurs vers la France, l’Italie et l’Espagne. Le reste est une simple formalité, puisque de Sebta, les gens du Nord peuvent en acheter en toute liberté. Pour les associations actives à Tanger et à Sebta, comme l’association Hasnouna de soutien aux usagers des drogues (voir encadré), dirigée par Bendriss Moncef, « la poudre noir arrive d’Espagne. C’est la proximité qui fait que des villes comme Tanger, Tétouan ou encore M’diq sont très touchées.» Le profil des toxicomanes est le même partout. «Ce sont une majorité de jeunes, des filles et des garçons. Qui finissent dans les squats, vivant dans les rues.»
Modus operandi
Pour la plupart des addicts, ils se contentent de la pire forme de cette drogue dure, à savoir ders résidus, dont la dose est vendu à 25 dhs. Le modus operandi est le même. Rare sont ceux qui se piquent à cette substance. Ils la roule en papier et la fument. Les effets sont immédiats. L'usager  sent une vague de bien-être l’envahir au début. Celle-ci est suivie d'une sensation de faim intense. Aucune sensation de douleur. Les pulsions sexuelles sont absentes, et l’humeur devient changeante. La prise peut entraîner une certaine agitation, des nausées et des vomissements. Les médecins précisent que la tolérance à l’héroïne s’acquiert très vite et entraîne une très forte dépendance psychologique et physique. Ce qui fait dire à Bendriss Moncef de l’association Hasnouna, que « ce sont plus de 1700 toxicomanes qui ont été pris en main par l’association depuis sa création en 2006. Mais il faut savoir que ce n’est là que 20 pour cent des cas de toxicomanie à Tanger. C’est dire que les ravages sont énormes.»
Prise en charge
Les toxicomanes s’approvisionnent chez des dealers de la place qui écoulent leurs marchandises selon des codes bien définis. Les toxicomanes racontent qu’ils ne vont jamais directement chez les vendeurs, mais à chaque fois font appel à un nouveau revendeur qui change de quartier après avoir fourgué sa cargaison. C’est un système bien rôdé pour ne pas se faire repérer et éviter l’arrestation. Pourtant les forces de police ont neutralisés plusieurs dealers avec des quantités plus ou moins grandes. Certains consommateurs vont jusqu’à s’injecter les résidus durs dans les veines. Ils se présentent en état de choix, avec des cailloux de sang dans les bras, frôlant le décès. C’est là que les associations et autres centres d’addictologie entrent en action pour aider les toxicomanes à s’en sortir. «Dans certains cas, on arrive à sauver des vies. Dans d’autres, les problèmes de rechutes sont telles que les jeunes perdent tout espoir de guérir.», précise Bendriss Moncef.
Pour le professeur Jallal Toufiq, directeur du centre national de prévention, de traitement et de recherche en addictions et directeur de l'hôpital Arrazi  de Salé et directeur de l’observatoire national des drogues et addictions, « la toxicomanie touche  0,03 pour cent de la population marocaine  de plus de 17 ans. Aucun profil n’est privilégié. Cela touche  n’importe quelle classe sociale» En effet, selon les travaux des centres d’addictologie au Maroc, il ressort que les plus touchés ont entre 23 et 35 pour la majorité. Si un grand nombre d’entre eux fume l’héroïne et la sniffe, il ya aujourd’hui de plus en plus de personnes qui se l’injectent. « La majorité des jeunes ne respectent aucune protection. Ils sont souvent sujets à des infections à l’hépatite C. d’ailleurs, 15 à 30 au moins d’entre eux sont porteurs du VIH et de l’Hépatite C », explique le prof Jallal Toufiq.
Malades comme les autres
Aujourd’hui face à la recrudescence de ce fléau, les autorités marocaines, après plusieurs plaidoyers ont une volonté politique pour aider les toxicomanes. Des centres voient le  jour un peu partout dans le pays. Il y en a qui font de très bon travail à Salé, Casablanca, Rabat et surtout Tanger. Mais d’autres vont ouvrir à Tétouan, Nador, Oujda et Fès pour accompagner les toxicomanes.  C’est qu’il faut aujourd’hui prendre conscience que la toxicomanie est un réel problème de santé publique. « L’addiction est une maladie chronique. Les malades ne sont pas des déviants, ce sont des gens qui souffrent de leur maladie et qui ont besoin que le pays leur offre des traitements thérapeutiques. Il ne faut pas attendre qu’ils viennent vers nous. Il faut aller les chercher, les aider là où ils sont grâce à des programmes spécifiques», précise Pr Toufiq. D’ailleurs, le Maroc est doté aujourd’hui de cursus pour donner des diplômes universitaires d’addictologie.  30 addictologues sont formés tous les 18 mois à Rabat et Casablanca.  Un travail colossal est abattu chaque jour pour sauver des vies. Mais le Pr Toufiq tire une autre sonnette d’alarme : «Ce qui va poser problème au Maroc bientôt, c’est la cocaïne.» Celle-ci prend de plus en plus de place sur les marchés des drogues au Maroc. 

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