Shlomo Sand est
un écrivain israélien. Il est également historien travaillant sur l’histoire
contemporaine. Son parcours a été marqué par les deux premières années de sa vie
qu’il a passées dans un camp de réfugiés juifs polonais, en Allemagne. Ses
parents ont ensuite émigré en Israël où il a grandi. Après la guerre des Six Jours en 1967 à laquelle il a
participé comme simple soldat, il a milité dans l’extrême-gauche israélienne
favorable à un Etat palestinien. Il
affirme agir contre l’injustice d’Israël et sa politique de colonisation. Il
affirme aussi que les USA et l’Union européenne doivent imposer un Etat
palestinien pour assurer la sécurité des populations dominées par Israël. L’historien israélien soutient l’idée
d’une complicité accrue de l’Occident face à la situation dans les Territoires
occupés. Sans oublier de fustiger les différents gouvernements israéliens,
toutes tendances confondues, qui manipulent l’opinion publique mondiale en
écrasant les Palestiniens.
Abdelhak Najib : Votre dernier livre est
intitulé « Comment j’ai cessé d’être juif ? » Pourquoi ? Et
comment cesse-t-on d’être juif ?
Shlomo
Sand : Je ne peux pas supporter les lois
israéliennes qui m’imposent d’appartenir, malgré mes idées et mes principes, à
une ethnie fictive. Je refuse aussi d’être vu par le monde comme un être qui
appartient à un club d’élus. C’est dans ce sens, que j’ai décidé de présenter
ma démission et de cesser d’être Juif. Je suis Israélien et non Juif.
Abdelhak Najib : Quelle est la différence selon vous ?
Shlomo
Sand : Si je vous dis que les anciens Hébreux sont les ancêtres
des Israéliens, c'est comme si je vous disais que les Gaulois sont les ancêtres
des Français, c’est complètement faux. Mais le fait de l’attester est une
manipulation, une dénaturation de l’Histoire pour servir de basses fins
politiques.
Abdelhak Najib : Dans l’un de vos livres
vous affirmez qu'il n'y a pas de droit historique des Juifs sur la "terre
d'Israël", expliquez-nous pourquoi ?
Shlomo
Sand : Je pense qu’il est inconcevable d’avoir des droits historiques
sur une terre après 2000 ans. On le voit aujourd’hui avec les Serbes qui ne
peuvent plus affirmer un droit historique sur le Kosovo du simple fait que
leurs ancêtres ont habité sur cette terre il y a plusieurs siècles. Ou alors
les Allemands prétendre avoir des droits historiques sur l'Alsace Lorraine, ou
les Arabes sur l'Andalousie... Je vous le dis sans détours : le mythe du
retour à la terre promise a été la condition sine qua non de la colonisation sioniste. Et ça a marché.
MHI : Pour vous le mythe de l'exil
d'Israël et du peuple juif n’existe pas. Pourquoi ?
Shlomo
Sand : Quand j’ai écrit « Comment le peuple juif fut
inventé », j’ai essayé d’expliquer qu'il n'y a pas d'ethnos juif.
Autrement dit, il n’y a aucun lien génétique qui rattache les juifs du
monde entier aux anciens Hébreux. Dans ce sens, l'idée de l'exil du peuple juif, chassé par les
Romains en 70 après J.C. est un mythe. Chercher dans les annales de l’Histoire,
vous ne trouverez aucun livre d'historien sérieux pour vous parler de ce
supposé exil. D’ailleurs, le judaïsme a été, à ses débuts, une religion prosélyte,
qui s'est propagé par la conversion des autres peuples. Il est aberrant de
parler aujourd’hui de "peuple juif", pas plus qu'on pourrait parler
d'un "peuple hindou". Mais on peut parler de "peuple
israélien". L'utilisation de cette thématique ethnique était destinée à
justifier la conquête de la Palestine.
Abdelhak Najib: Vous êtes accusé de remettre
en cause l'existence de l'Etat d'Israël. Pensez-vous que l’Etat hébreu est un
Etat hors-la-loi ?
Shlomo
Sand : Je suis accusé à tort. Je n’ai jamais comparé la shoah et la
naqba (l'exode des Palestiniens en 1948). Mais la
shoah ne doit en aucun cas servir d’excuse historique pour la colonisation du
peuple palestinien. Je ne nie pas
le droit des Israéliens juifs d'aujourd'hui à vivre dans l'Etat d'Israël. Ce
serait une fatale erreur de revenir sur l'existence de l'Etat d'Israël. Cela
peut engendrer une nouvelle tragédie, une nouvelle catastrophe dans toute la
région. Vous savez, en 1988, j’ai
applaudi quand j'ai entendu Yasser Arafat dire qu'il acceptait l'existence de
l'Etat d'Israël. Mais je souhaite que cet Etat accorde les mêmes droits
démocratiques à tous ses citoyens, juifs comme palestiniens. Ce que je veux,
c’est qu'un Palestinien puisse se sentir à Tel Aviv comme un juif ailleurs dans
le monde, respecté et considéré comme un citoyen à part entière.
Abdelhak Najib: Pourquoi la paix entre le
peuple juif et le peuple palestinien devient de plus en plus impossible ?
À qui profite cet Etat des choses ?
Shlomo Sand : Je crois que la solution à deux Etats est la seule solution pour
la survie de l'Etat d'Israël. Il n’y a pas d’autres choix. Il est aussi
possible sur un plan moral de créer un Etat binational comme le pense l'extrême
gauche. Mais cela reviendrait à dire que les juifs deviendraient minoritaires sur
le plan démographique dans leur pays. Evidemment, les racistes en Israël ne vont
pas l’accepter. C’est que la vérité est que la société israélienne est
actuellement l'une des plus racistes du monde occidental.
Abdelhak Najib : Aujourd’hui, 42% des
terres de Cisjordanie ont été colonisées. N’est-il pas trop tard pour la
paix ?
Shlomo Sand : Je pense que oui. Regardez les principaux partis centristes comme le parti travailliste, le parti
laïc et le parti Hatnouah. Ils ont tous montré leurs limites pour résoudre le
conflit israélo-palestinien. Vous savez, même
Yitzhak Rabin, l'artisan des négociations d'Oslo, n’a rien fait dans ce sens.
Il n’a jamais osé toucher à une seule colonie. Et ce, même après le massacre de
29 Palestiniens au Caveau des patriarches à Hébron en 1994.
Il ne faut pas se
leurrer, la gauche sioniste n'a jamais été moins colonialiste que la droite.
Abdelhak Najib: Finalement, c’est la même idéologie qui prédomine en Israël…
Vous savez ce qu’on dit en Israël ? La
vraie différence entre la gauche et la droite sionistes, c'est que pour la
droite, Dieu n'est pas mort, tandis que pour la gauche Dieu est mort. Sauf qu’avant
de mourir, il leur a promis la terre d'Israël.
Abdelhak Najib : Pensez-vous que la paix
aura lieu un jour ?
Shlomo
Sand : Je peux vous dire que je suis vraiment pessimiste. Mais pas fataliste. Il reste un unique
espoir. Il faut absolument que le président américain Barack Obama, fasse
pression sur Israël pour négocier avec les Palestiniens. Sans une réelle
détermination extérieure, il n'y aura pas de changement en Israël. Ni de paix. Mais si on laisse les Israéliens poursuivre
leur aveugle politique de colonisation, cela mènera à sa propre destruction. Vous
savez le spectre de la guerre est aussi un leurre. Il n'y aura pas de solution armée
à ce conflit. La négociation est la seule voie pour la survie de l'Etat
d'Israël.
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