Une plainte pour « association de malfaiteurs » a
été déposée, le 3 janvier 2014, contre Serge Dassault, le sénateur et grand
homme d’affaires français. Elle vise également Jean-Pierre Bechter, l’actuel
maire de Corbeil-Essonnes, dans le Sud-Est de Paris, le directeur des sports de
la ville, Machiré Gassama, et le chargé d’affaires à l’ambassade du Maroc, à
Paris, Riad Ramzi.
Ce n’est pas la première
éclaboussure. Cela peut même être l’amorce d’une grosse sortie de piste pour
l’homme d’affaires, magnat de l’aéronautique et sénateur UMP. Déjà soupçonné de
tentatives d'homicides et d'achats de vote dans la ville de Corbeil-Essonnes, à vingt kilomètres au
Sud-Est de Paris, localité
dont il a été le maire de 1995 à 2009, Serge Dassault est dans la ligne de mire
de la justice française. Une plainte a été déposée contre lui pour association de
malfaiteurs ; le 3 janvier 2014. Le plaignant n’est autre qu’un citoyen
marocain, porteur de la double nationalité, Fatah Hou. Ce dernier accuse le
sénateur et son successeur à la mairie, Jean-Pierre Bechter d'avoir ourdi un
complot contre lui pour orchestrer son arrestation au Maroc. Le but, selon M. Hou est de le museler pour qu’il ne révèle
pas au grand jour «ce qu'il savait
sur le degré de corruption » à Corbeil-Essonnes.
Premier camouflet pour le
plaignant le refus du Sénat de lever l’immunité parlementaire sur M. Dassault.
En effet, treize des 26 membres du bureau du
Sénat se sont opposés, le 8 janvier 2014, à la demande de levée de l'immunité
parlementaire de Serge Dassault, 12 se sont prononcés pour et un s'est abstenu.
Celle-ci aurait permis aux magistrats du pôle financier de Paris, qui enquêtent
sur des achats présumés de votes à Corbeil-Essonnes, d'entendre l'ex-maire de
la commune sous le régime de la garde à vue.
Ecoutes téléphoniques
Mais comment le magnat français
s’est-il retrouvé au milieu d’une instruction qui a des allures d’affaire
d’Etat ? Tout remonte à une plainte, déposée par Marie Dosé, l’avocate d’un habitant de Corbeil victime d’une
tentative d’assassinat le 19 février 2013. Le citoyen en question est Fatah
Hou, l’homme par qui le scandale est déclenché. Dans ce même dossier, le
parquet détient une série d’enregistrements, issus d’écoutes téléphoniques
visant le sénateur et ses proches collaborateurs. Première grosse révélation
qui nous concerne au Maroc, c’est ce déjeuner qui a réuni Serge Dassault, et son successeur à la
mairie, Jean-Pierre Bechter, avec le chargé d’affaire de l’ambassade du Maroc à
Paris, Riad Ramzi. Pour Fatah Hou, l’une des personnes dont il est question
lors de ce déjeuner, Serge Dassault
et son entourage ont voulu faire arrêter tous ceux qui dérangent « le
système Dassault dans la région » de l’autre côté de la Méditerranée, au
Maroc, en les piégeant.
Corruption passive
Les
écoutes versent dans ce sens et le déjeuner avec le diplomate marocain aurait
été organisé dans cette optique. Alors Quels sont les services que peut bien
demander Serge Dassault aux Marocains ? L’ambassade du Maroc de Paris
a-t-elle toutes les latitudes pour «s’occuper» de ces «loustics» de Corbeil,
comme l’a précisé le sénateur de l’Essonne lui-m sur procès-verbal? Pour le
chargé d’affaires de l’ambassade du Maroc, Riad Ramzi, il n’y a jamais eu de
discussions lors de ce déjeuner sur les «affaires» de Corbeil-Essonnes. Riad Ramzi affirme que Serge Dassault
ne lui a rien demandé du tout. «Il n’a jamais été question de quoi que ce soit.
De toute façon, je ne peux rien faire. Ce n’est pas mon rôle.» Et
d’ajouter : «J’ai vu Monsieur Dassault, dans un cadre amical, c’est tout.
Comme je venais juste d’arriver en France, en septembre dernier, je voulais
rencontrer un certain nombre de personnes, y compris des capitaines
d’industries et des responsables politiques… J’ai été reçu par Monsieur
Dassault, dans ce cadre là. Nous avons parlé des relations entre le Maroc et la
France, des avions… de choses et d’autres.» La négation a le mérite d’être claire. Mais le communiqué de
l’ambassade du Maroc en France, daté du 8 janvier 2014 dont nous avons reçu une
copie, montre qu’effectivement M
Dassault a demandé l’intervention du diplomate marocain, Riad Ramzi pour jouer
les médiateurs entre lui et les franco-marocains qui « le
harcèlent ». Sans oublier les
propres dires des proches collaborateurs de Serge Dassault qui contredisent
cette thèse. L’écoute téléphonique datée du 14 février 2013, à 19h06, est limpide à ce sujet:
Jean-Pierre Bechter, le successeur de Serge Dassault dit ce qui suit : «
Il (Riad Ramzi) m’a dit de donner trois fiches. Le mec, il se pourléchait déjà
les babines. Il disait à Serge [Dassault] : "Ah oui, on va s’en
occuper, Monsieur Dassault, ne vous inquiétez pas. Ces gens là vous font
chanter ? Ah bon…»
Echanges
de SMS
Le matin du déjeuner en
question, à 9h34, Machiré Gassama,
l’un des proches de Serge Dassault, envoie deux SMS à Jean-Pierre Bechter en lui indiquant le nom
de Fatah Hou, ainsi que des renseignements précis le concernant. À 12h07 et
12h09, le directeur de la jeunesse et des sports envoie deux nouveaux SMS
concernant, cette fois, un autre franco-marocain Rachid El Madhi. Le soir, dans
son compte-rendu à Machiré Gassama, Jean-Pierre Bechter évoque un troisième
habitant de Corbeil : Mamadou Kebe. Sur l’écoute téléphonique du 14 février 2013 à 19h06, on apprend ce qui
suit : «Il faut qu’on donne aussi Kebe (...) Je vais préparer les
trois fiches.», dit Jean-Pierre
Brechet.
Fatah Hou a donc porté plainte
contre Riad Ramzi pour «corruption passive par un agent public étranger». Au niveau du ministère des Affaires
étrangères marocain, les responsables affirment qu’ils ont appris ce dossier par
les médias et qu’il reste strictement une affaire franco-française qui ne
touche ni de près ni de loin le Maroc.
Quoi
qu’il en soit, les événements se suivent et apportent leur lot de surprises.
Cinq jours après cette fameuse rencontre au Rond Point pour le déjeuner, Fatah
Hou se fait tirer dessus par un certain Younes Bounouara, l'un des proches de l’homme
d’affaires, au centre-ville de Corbeil. Selon l’avocate de M. Hou, en apprenant
la nouvelle, Serge Dassault aurait ri : «Il fit mine d'avoir envie d'envoyer des fleurs
à la victime avant d’éclater de rire ». Serge Dassault, de son côté, lors
de son entrevue avec les enquêteurs, n’a du reste pas nié. « J'ai ri, c'est comme cela ». Mais « à l'heure d'aujourd'hui, il ne nous fait
plus chier », ajoute l'industriel devant les policiers.
Pour
le parquet français, l’enquête suit son cours et risque d’apporter d’autres
surprises sur ce qu’il est convenu d’appeler « le système Dassault »
et ses « connexions marocaines ».
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