En 48 heures, les relations entre le Maroc et la France ont pris
un sérieux coup de froid. Entre l’affaire Abdellatif Hammouchi, patron de la
DGST et les propos «blessants » de l’ambassadeur de France à
Washington traitent le royaume de « maîtresse », la sortie de crise
semble improbable.
Incompréhensible. Cette descente de police à la résidence de l’ambassadeur du Maroc à Paris, sise
Villa Said, entre le Bois de Boulogne et Neuilly sur Seine, le jeudi 20 février
2014, a pris tout le monde de court. Le but de cette action policière à
laquelle ont pris part 7 agents était d’emmener Abdellatif Hammouchi, le directeur de la Direction générale
de la surveillance du territoire (DGST) au commissariat pour l’auditionner dans
le cadre de plaintes déposées à Paris relatives à des faits présumés de torture
au sein du centre de détention marocain de Temara. M. Hammouchi accompagnait
lors de cette visite à Paris, le ministre marocain de l’Intérieur Mohamed
Hassad pour une rencontre avec ses homologues français, espagnol et portugais
qui porte essentiellement sur les enjeux sécuritaires entre les quatre pays.
Une coopération quadripartite dans laquelle le directeur de DGST joue un rôle
important.
Cette démarche policière
fait suite à la demande d’une ONG française, l’Action des chrétiens pour
l’abolition de la torture (Acat) qui a profité du déplacement en France du patron du contre-espionnage
marocain pour demander aux autorités d’entendre ce responsable qu’elle accuse
de «complicité de torture».
Timide
recadrage
Le lendemain, le vendredi 21 février, c’est
autour du ministère des Affaires étrangères marocain de réagir en qualifiant l’affaire d'«incident rare et inédit» dans
les relations avec la France. A Rabat, en l’absence du chef de la diplomatie
marocaine, Salaheddine Mezouar en voyage avec Sa Majesté le Roi pour sa tournée
africaine, c’est la ministre déléguée Mbarka Bouaida, qui a convoqué l’ambassadeur
de France, Charles Fries, pour lui signifier que cet
incident est «de nature à porter atteinte au climat de confiance et de respect
mutuel qui a toujours existé». Première conséquence du courroux
marocain, la visite au Maroc de «
l'envoyé spécial du président français pour la planète », Nicolas Hulot, prévue pour lundi 24
et mardi 25 février, est « reportée » sine die.
Le samedi 22 février, le ministère français des
Affaires étrangères a enfin réagi qualifiant l’affaire d’un «incident
regrettable». Dans un communiqué succinct, le porte-parole du ministère, Romain Nadal a indiqué qu’«En
réponse à la demande des autorités marocaines, nous avons immédiatement demandé
que toute la lumière soit faite, le plus rapidement possible, sur cet incident
regrettable…».
Fierté
nationale
L’histoire d’Abdellatif Hammouchi n’est pas encore tirée au clair,
qu’un deuxième incident vient se greffer dessus. Le protagoniste que personne
n’attendait dans cet imbroglio, sur fond de contre-espionnage et de torture, est
l'acteur espagnol Javier Bardem. Le mardi 18 février, lors d'une conférence de
presse à Paris pour présenter un documentaire consacré à la situation dans le
Sahara occidental, intitulé, « Les enfants des nuages, la dernière colonie »,
produit par ses soins et dont la sortie en France est prévue pour le 30 avril
2014, l’acteur-défenseur de la cause sahraouie est intervenu, aux côtés de la
pasionaria sahraouie, Aminatou Haidar pour déclarer que "L'ambassadeur de France aux Etats-Unis,
François Delattre, qu'on a rencontré en 2011, nous a dit que le Maroc est une
maîtresse avec laquelle on dort toutes les nuits, dont on n'est pas
particulièrement amoureux mais qu'on doit défendre. Autrement dit, on détourne
les yeux".
Coup de fil
Lundi 24 février, la
tension est au plus fort. Rien n’est venu l’apaiser. François Hollande se
devait de sortir de son silence. Il s’entretient au téléphone avec Sa Majesté
le Roi Mohammed VI. Un entretien qui a eu lieu à l’initiative du président
Hollande. Le but en est de « dissiper tous les malentendus et assurer le
Roi du Maroc de l’amitié constante entre la France et le Maroc » comme l’a
précisé un responsable à l’Elysée.
Pour l’opinion
publique marocaine et l’ensemble de la classe politique, ce n’est pas
suffisant. Il y a affront et hostilité flagrante à réparer. Mardi 25 février 2014, plusieurs milliers de personnes ont
manifesté devant l'ambassade de France à Rabat pour protester contre les propos
"blessants" sur le Maroc, attribués au diplomate français. Ce n’est
que le 26 février que le Quai d’Orsay donne enfin des explications précises sur toute
cette affaire. Romain Nadal, le porte parole du ministère des Affaires étrangères
français, affirme que le diplomate français, François Delattre, en poste à Washington,
n’avait pas rencontré M. Bardem et n’avait, par conséquent, pas pu tenir les
propos qui lui sont prêtés ». Erreur grave
d’interprétation ou simple bévue de journalistes, il se trouve que lesdits
propos n’ont pas été prononcés par M. Delattre. Ils ont été dits par Gérard Araud, ambassadeur de France aux Nations unies,
donc à New York et non à Washington.
« Compétence
universelle »
Mais qu’en est-il des dessous de l’Affaire Abdellatif
Hammouchi ? Tout remonte à une des plaintes auxquelles s’est associée
Acat, déposée avec constitution de partie civile par Adil Lamtalsi, un
Franco-Marocain de 33 ans. C’est ce qui a donné lieu à l’ouverture fin 2013
d’une information judiciaire à Paris. Adil Lamtalsi
affirme avoir été arrêté en octobre 2008 près de Tanger, puis torturé pendant
trois jours à Temara. Il explique également qu’on l’a « obligé à signer des aveux. » En novembre
2008, il est condamné à 10 ans de prison ferme pour détention et trafic de
cannabis. Il est ensuite transféré en France pour y purger le reste de sa peine. M. Lamtasi a été transféré en France et libéré sous
conditions début 2014.
Dans cette plainte Abdellatif Hammouchi est accusé de «complicité
de torture.»
C’est également le cas dans une autre plainte déposée par un autre
marocain de 44 ans, Ennaâma Asfari, un militant pour l'autodétermination du Sahara occidental, condamné en 2013
à trente ans de prison au Maroc. Deux
plaintes qui ont été suivie par une troisième déposée le 21 février par Zakaria
Moumni, condamné à 2 ans de prison entre 2010 et 2012 et gracié après 17 mois
par Le Roi Mohammed VI. Son avocat, Patrick Baudouin, affirme que l’ancien champion du
monde de boxe thaïe, accuse directement le patron de la DGST non « de
complicité de torture », mais de « torture».
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