Les
agressions spectaculaires aux épées se multiplient dans les villes marocaines.
Un climat de peur s’installe et la police nationale lance des coups de filet
pour mettre hors d’état de nuire des centaines de criminels.
Mardi
1er avril 2014. Trois individus qui figurent sur les photos des pages
intitulées “Tcharmil” sur Facebook, ont été arrêtés, come le précise le service
préfectoral de la police judiciaire à Casablanca. Traqués depuis le 29 mars,
d’autres individus ont été arrêtés, parmi eux, trois ferronniers à Derb Sultan.
Ce qui a permis de saisir 8 coutelas, presque identiques à ceux dont les photos
font le tour de d’Internet. Les images se passent de commentaires.
Sur les réseaux sociaux, plusieurs individus arborent, avec grande fierté leur
butin de guerre. Des billets de banques, des bijoux, des téléphones portables
et des machette et autres épées confectionnés de manière artisanale, pour faire
étalage de leur actes criminels. C’est à qui va montrer le plus comme dans une
surenchère du crime. A chacun d’épater la galerie avec le maximum de prises. Et
cela peut faire des émules. L’utilisation des réseaux sociaux pour montrer le
crime montre qu’un cap a été franchi au Maroc. On est passé de la criminalité
cachée à une nouvelle forme de criminalité qui veut être vue. Une criminalité
revendiquée et qui, dans un sens, appelle d’autres à suivre le même chemin.
C’est cette nouvelle dimension qui crée un climat de peur dans le pays. Pas
plus tard que le mardi 25 mars 2014, les rumeurs ont fait état d’une attaque
spectaculaire faite par trois voleurs, armés d’épées, prenant d’assaut un salon
de coiffure pour femmes. Ils auraient dévalisé tout le monde et emporté la
caisse. En plein quartier Maarif, à deux pas des Twin Center et en plein
jour. Pour la majorité des
Casablancais, c’est là crime qui vient s’ajouter à d’autres, perpétrés dans la
ville, avec toujours ces épées qui planent sur la tête des citoyens, tous
paniqués par la multiplication des agressions violentes. Pourtant les forces de
police ont démenti cet acte. Il n’ya pas eu la moindre attaque dans un tel lieu
et certains cafés de la ville, eux aussi, cités par la fantasmagorie des gens,
n’ont pas subi le même sort. Mais cela indique à quel point, c’est devenu le
seul débat dans les cafés, les restaurants, les rédactions et les lieux
publics. On ne parle plus que des
épées et de ce nouveau mot à la mode : « Tcharmil », qui veut
dire, attaque avec un sabre.
Nouvelle
mode
En effet, si l’attaque de ce salon n’est pas avérée, il
n’en demeure pas moins que d’autres lieux publics ont fait les frais d’autres
attaques, toujours avec le même mode opératoire. On ne compte
plus les assauts dangereux dans les rues du pays. Des taxis dévalisés, des bus
immobilisés par des bandes armées, des vols à l’arraché dans les boulevards,
des agressions au petit matin contre des ouvriers et des ouvrières, les
plaintes sont très nombreuses et le nombre d’arrestations du premier trimestre
2014 sont éloquents à cet égard. La Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) a publié ses
chiffres montrant que les interventions opérées par les différents services de
sécurité sur l’ensemble du territoire marocain ont permis l’interpellation, de
103.714 suspects. Le chiffre donne une idée sur l’ampleur du crime au Maroc.
Quelle est donc
cette nouvelle mode d’attaque au sabre ? La technique est déjà éprouvée
dans d’autres pays. En Asie et en Amérique Latine, les guerres de gangs au
sabre ont fait leur temps et ont cédé le pas aux armes à feu. Au Maroc, le
phénomène ne date pas de cette année. Cela fait plusieurs années que l’on parle
des épées. Ce sont des bouts de ferrailles travaillés artisanalement avec des
manches. On les polit, on les aiguise et on veille à ce qu’ils ne soient pas
très longs pour pouvoir tenir sous la manche d’un blouson ou d’un survêtement.
Ils sont attachés généralement à la poignée de l’agresseur avec un fil en cuir ou une fine corde pour que
l’assaillant puisse garder constamment son arme sur lui. Là, non plus, le
criminel marocain n’a pas inventé la poudre. La technique est vieille a fait le
tour des cités en Europe avant de prendre corps dans les villes marocaines. Car
le phénomène n’est pas casablancais. A Fès, à Marrakech, Tanger, Méknes, El
Jadida, Rabat, Salé… c’est le même mot d’ordre. Pour voler avec efficacité, il
faut choisir son arme fatale. Et c’est le sabre qui remporte tous les
suffrages.
Bandes organisées
Mais pratiquer
le vol au sabre requiert de l’entrainement. Les criminels ont compris que pour
être dangereux, il faut maitriser leurs armes. Ils passent alors des mois à
s’appliquer pour faire corps avec
leurs sabres. Certains pratiquent des arts martiaux, font régulièrement du
sport pour être en forme. Voler, c’est aussi courir, dévaler des pentes,
prendre des risques, se mettre à découvert. Mieux vaut être bien formé. Les
criminels d’aujourd’hui l’ont bien saisi. Ils opèrent en bandes. Ce sont
aujourd’hui des gangs bien organisés. Une structuration interne bien huilée qui
ne laisse pas de place à des initiatives individuelles. On ne peut pas
travailler en solo. Que l’on soit repris de justice, drogué, chômeur, pauvre ou
fils de riche délinquant, il faut se mettre au pas. Les quartiers sont connus
et ciblés. Et les gangs quadrillent par zones. Entre eux, ils connaissent tous
les crimes qui ont lieu sur leur zone de travail. Et les bandes n’empiètent pas
sur les plates-bandes d’autres gangs. C’est un réseau maffieux bien ficelé,
sauf qu’ici il n’y a pas de parrain. Mais des chefs de bandes criminelles. La
cagnotte est commune et le butin est partagé entre tous, peu importe qui vole
et qui prend le risque. Reste que d’autres actes épars sont commis par du menu
fretin, qui pratique le crime occasionnellement, au jour le jour, selon les
occasions, sans entrer dans le cadre d’une bande organisée. Ce type de criminel
ne dure pas longtemps. Soit, il est bon, à ce moment, on le recrute et on
l’accueille au sein d’un groupe. Soit, il est mauvais et on lui fait comprendre
que le coup qu’il vient de terminer est son dernier. Cela se conclut par un
passage à tabac et le recyclage de l’apprenti voleur en autre chose de plus
soft et light. L’autre point important est de faire en sorte de ne jamais
porter de coup. Et si il ‘y a un cas de force majeur, on évite le meurtre. Car
pour ces nouvelles bandes organisées, un vrai professionnel ne tue pas. Le bon
est celui qui peut perpétrer son
crime sans avoir recours à la violence. Il peut intimider en dégainant son
sabre, il peut insulter les gens, faire peur à ses victimes. Mais le meurtre,
est un pas à ne jamais franchir. Cela équivaut pour le gang à la fin de leurs
activités. Représailles solides de la part de la police, enquêtes,
arrestations, pour finir à Oukacha, Ain Kadouss, Ain Ali Moumen, Al Ader ou
ailleurs.
Mode opératoire
Quant au mode
travail, il est simple et efficace. Les voleurs travaillent en groupe.
Généralement deux individus passent du temps à repérer des zones de travail.
Là, où ils peuvent se faire du fric sans trop de risques. Ils prennent leurs
cibles en filature, quadrillent des quartiers, étudient les va-et-vient des
gens et attendent, aux aguets le moment de frapper. On passe à l’acte quand le
chef le décide. On braque une
bagnole en moto. On accule des passants dans la rue, on s’engouffre dans un
immeuble, on montre son sabre, on prend le butin et on monte en moto. Au bout
de quelques ruelles. On change de moyen de locomotion. On monte dans une
voiture qui attend de prendre le relais. N’importe quel crime ne doit pas
dépasser les 2 à 3 minutes à tout casser. Il faut être rapide, agile et avoir
le sens du timing en tête. On prend ce qui se présente et on ne s’attarde pas
sur les lieux. Un bon criminel, pour ces bandes armées, est un criminel
toujours opérationnel.
Le crime a donc
évolué au Maroc. C’est une nouvelle donne qui se présente aujourd’hui. Nous ne
sommes plus devant des individus paumés qui jouent aux risquilleurs. Non, le
crime est abordé de manière professionnelle. Un criminel d’aujourd’hui estime
qu’il travaille dans une entreprise. Il est assuré de son bifteck pourvu qu’il fasse bien son boulot et évite
de se faire alpaguer. Mais les forces de sécurité, eux aussi, ont compris que
les données ont changé. Ils s’adaptent à la nouvelle criminalité, avec une
nouvelle philosophie. Il est clair que la police marocaine s’est métamorphosée.
Nous sommes aujourd’hui face à une police de professionnels. Une police de
métier, de terrain, une police d’action. Une police dirigée par des normes
rationnelles et scientifiques. Le
flic marocain n’a rien à envier à un flic européen ou américain. Nous avons
aussi nous supers flics. Ils sont bien entrainés, ils sont intelligents, ils
ont l’instinct et le flair et savent y faire avec les changements de moeurs
criminelles. Avec l’arrivée d’un intellectuel à la tête de la DGSN, en la personne de Bouchaib Rmail, la
police s’est transformée davantage. Elle est dans une logique d’anticipation
pour mieux comprendre les mutations du crime. Cela passe par des stages à
l’étranger où de nombreux policiers marocains bénéficient des dernières
techniques de lutte contre le crime organisé. La police travaille aujourd’hui
sur la psychologie des criminels, étudient leurs profils, épluchent les bases
de données informatiques pour étudier l’évolution des phénomènes criminels et
leurs modes opératoires. Aujourd’hui, ce sont des unités spéciales qui sont
créées pour combattre le crime. Et les résultats sont là. Quand on sait par
exemple que durant les trois premiers mois de 2014, 75.750 personnes ont été prises en flagrant délit et 27.964 autres
étaient recherchées pour leur implication présumée dans différentes affaires
criminelles. Cela traduit aussi l’efficacité de la police marocaine. Il est
vrai que le nombre de personnes suspectes a augmenté de 14% par rapport au premier
trimestre de 2013, mais les coups de filet se poursuivent et évitent d’autres
crimes. La préfecture de police du Grand Casablanca a annoncé le 31 mars
2014, l'arrestation de 554 suspects, pris en flagrant délit pour notamment
agressions, trafic de drogue, port d’armes blanches... Elle a aussi annoncé
l'interpellation de 137 personnes faisant l'objet de mandats de recherches à
l’échelle nationale. Ce rapport de force entre criminels nouvelle génération et
la police nationale n’est qu’à ces débuts et tout porte à croire que c’est là
un phénomène passager, qui s’installera pas dans la durée.
Quelques chiffres
Les opérations
et interventions effectuées par les patrouilles mixtes de sécurité chargées du
contrôle des environs des établissements de l’enseignement jusqu’au 31 mars,
ont débouché sur l’arrestation de 737 personnes pour détention et trafic de
drogue. Les quantités de stupéfiants saisies dans des affaires liées au
contrôle de l’espace de l’enseignement se sont élevées à 4 kg et 483 grammes de
haschish, 3 kg et 578 grammes de poudre de tabac mélangée au kif, 307 grammes
de Maajoune, 11 sachets d’héroïne, un sachet de cocaïne et 216 comprimés
hallucinants.
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