J’ai
entendu une fille dans un café parler de plus de 10 000 amis qu’elle a sur les
réseaux sociaux. Elle connaît tout ou presque sur leurs vies. Elle sait avec
qui ils sortent, avec qui entrent, ce qu’ils aiment manger, comment ils
s’habillent, leurs couleurs préférés, leurs clubs de sport adulés, leurs états
d’âme, quand ils vont bien, quand ils accusent le coup… Bref rien ne lui
échappe sur ce qui fait l’existence des 10 000 amis qu’elle possède. Et puis les
dix mille, eux aussi, connaissent bien sa vie puisqu’elle ne rate aucune
occasion pour la leur étaler dans les moindres détails.
Vous
l’avez deviné, il s’agit de personnes qui n’existent que derrière un écran, par
clavier interposé. Mais en fait, dans la réalité des jours, au quotidien, cette
fille ne connaît presque personne. Même au sein de sa famille, il y a un canyon
entre elle et les siens, qui, de leur côté, ont leurs amis sur le Net. Sinon,
une copine par-ci, un pote par-là, mais rien de profond, ni de conséquent. Tout
se passe de façon virtuelle. On
pelure aux malheurs intangibles des autres. On compatit à la souffrance d’une
amie qui a perdu un copain, sur le Net, mais qu’elle n’a jamais vu, jamais
rencontré, mais dont elle a liké les 2000 photos postées. On se prend de
compassion pour une autre qui a découvert que celui qu’elle aimait (sur le Net)
en aimait une autre (sur le Net) et ne le lui avait pas dit (sur le net). C’est
en somme à cela que ressemble la vie de cette jeune fille de 20 ans qui a toute
l’existence devant elle, mais qui n’a encore pris aucun réel contact avec la
vraie vie ? Elle tourne sur une toile, comme dans une braderie de noms, un
circuit immense où elle se perd chaque jour davantage. Au final, peut-être
vat-t-elle se réveiller et redécouvrir le monde, le vrai, celui des os et de la
chair, d’une bonne poignée franche de main et des coups palpables qui nous
apprennent l’essence de notre passage sur
terre. C’est tout ce que je lui souhaite.
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