Qu'est-ce
qui frappe de prime abord dans "Les territoires de Dieu", le roman
que vient de publier le journaliste et animateur TV, Abdelhak Najib, aux
éditions les infréquentables? Sans hésiter, il y a cette langue si forte, si
enjouée, ce langage à la fois cru, lyrique, poétique et irrévérencieux par
moments, qui frôle la jubilation, dans des passages à souligner quand les
protagonistes multiples de ce roman s'adressent à Dieu, parlent de la vie,
conversent sur le sort et l'avenir, se racontent des blagues ou alors décrivent
leurs ébats amoureux et reviennent sur leurs parties de football qui avaient
des allures de guerres pour la survie.
Abdelhak Najib écrit avec
frénésie. Il y a chez lui une verve verbale qui rend compte des rêves de toute une génération,
née à l'orée des fameuses années 70. Mais l'auteur n'évoque jamais ce que
d'autres ont nommé "les années de plomb". Au contraire, à un moment donné
du récit, il parle de la mésaventure d'un des personnages, Momo le criminel,
qui va purger une peine de prison pour sa non participation aux émeutes de juin
1981. Comme un pied de nez du sort, celui qui était au moment des faits dans les limbes du haschich ne sachant même pas ce qui se passait dans le quartier quand
tout partait en fumée, paie pour les autres. Oui, l'auteur s'en moque
ouvertement et liquide le sort d'un fait d'histoire qui n'a rien changé à la
vie des uns et des autres.
C'est cette ironie, parfois grinçante, souvent
glaciale et ô combien légère dans des passages emprunts de grande profondeur
sur la mort, l'enterrement du père, la visite au cimetière et la rencontre de
l'amour dans le giron de femmes cultivant l'art et la manière de rendre heureux
des jeunes dont l'esprit était enveloppé dans les effluves d'étreintes
érotiques à leur couper le souffle, qui donne à ce livre toute sa puissance
narrative.
"Les
territoires de Dieu" est à coup sûr le roman d'une génération, d'un pays
et au-delà d'une partie du monde qui, si on venait à changer les noms des
acteurs de ce récit, on pourrait incarner leurs histoires un peu partout dans
d'autres univers, au fin fond de la pampa argentine, dans la banlieue de
Brooklyn, dans un quartier populaire du Caire, ou alors dans le coeur
vibrant de n'importe quelle mégapole moderne, tant le propos est universel,
avec des consonances humaines qui font fi des frontières géographiques.
"Les territoires de Dieu" est un roman solide, bien construit, avec
des méandres d'histoires qui se chevauchent, avec de nombreux personnages, tous
habités par la volonté de s'en tirer à bon compte, même en y laissant quelques
plumes, chèrement cédées sur le macadam des jours. A lire absolument.
"Les
territoires de Dieu", Abdelhak Najib. Editions Les Infréquentables. 184
pages. 80 dhs.
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