Par Abdelhak Najib
Ecrivain-Journaliste
Grand déballage d’émotions contradictoires et schizophrènes
de la part de plusieurs compatriotes sur le dernier film de Nabil Ayouch,
qu’ils n’ont pas vu comme tant d’autres,
d’ailleurs qui jouent aux avertis. Mais
cela n’empêche pas de se déverser, de laisser couler les vannes, qui par
méchanceté, qui par bêtise pure, qui par jalousie à peine déguisée. Que l’on
soit clair d’emblée : je ne vais pas défendre Nabil Ayouch dans ce texte.
Ce n’est pas du tout mon propos. Il est assez grand pour le faire tout seul. Et
pour ceux d’entre nous qui le connaissent un tant soit peu, ils savent, ils ont
la conviction qu’il en a largement les moyens humains et intellectuels pour
rentrer dans le lard à plus d’un détracteur, avec l’art et la manière. On le
sait, ce n’est un secret pour personne, en dehors des ignares parmi nous qui
ont toujours la fâcheuse tendance de se gargariser, de se la ramener à tout
propos, Nabil Ayouch est un garçon intelligent. Il a le verbe, il a la
culture, il a la formation qu’il faut
pour remettre les pendules à l’heure quand il s’agit d’attaques à son égard. Et
si certains d’entre vous veulent me traiter de tous les noms d’oiseau possibles
et imaginables, allez-y, faites vous plaisir, je suis immunisé. Et pour être
encore plus clair : j’emmerde avec jubilation tous ceux qui vont user de
ce texte pour me tomber dessus.
Ce postulat de base
est clair. On peut donc passer au vif du sujet. Nabil Ayouch réalise un film.
C’est son métier. Il est réalisateur. Il a le droit de faire le film qu’il veut
que cela nous plaise ou pas. C’est cela le propre d’un artiste. Il fait ce
qu’il ressent le plus important pour lui. Alors qu’il fasse un film sur les
homosexuels, sur les prostituées, sur les enfants des rues, sur Sidi Moumen, sur
une danseuse, sur Israël et la Palestine, c’est son droit. Vous et moi, public
et cinéphiles, critiques et opportunistes, nous ne pouvons parler que de
l’œuvre, que du film, que de ce qui est donné à voir. Comme ce n’est pas encore
le cas, et que ce film a été projeté uniquement
à Cannes, lors d’un festival, et que son réalisateur a fait circuler des
extraits -ce qui est normal- pour qu’on en parle, les curieux, les fanatiques
de tous poils et d’autres dégénérés de la caboche, ont cru bon de donner de
la voix. Curieux comme ce sont toujours
les plus oisifs, ceux qui ne foutent rien, qui ne produisent rien, qui ne font
pas de films, pas de livres, qui trainent comme un boulet leur incapacité à
créer, qui sont les plus prompts à descendre en flèche ceux qui se donnent beaucoup de peine pour
travailler et apporter un tant soit peu de visibilité dans ce monde pourri et
gorgé de personnes aigries, incultes et viscéralement méchantes.
Sur la toile et les réseaux sociaux, tout le monde y va de
son commentaire sur les putes, « le film d’un Juif », le sionisme,
Israël, Gaza et j’en passe. Notez bien les amalgames. Et cela dépasse l’injure,
la diffamation, le crapuleux. On insulte un bonhomme et on parle de sa mère, de
sa famille, de son identité… On le juge, on lui fait un procès digne de
l’inquisition au temps du tristement
célèbre Bernardo Gui. Sans sourciller. Lisez les commentaires, vous allez vous
régalez pour les plus frustrés d’entre nous. Et pour les gens avec un tant soit
peu de bons sens, cela vous donnera envie de vomir sur ses conneries de bas
étage, animées par l’ignorance crade et la haine notoire.
Vindicte populiste
Que Nabil Ayouch soit juif, Majoussi ou moine tibétain, cela
ne m’intéresse pas le moins du monde. C’est le dernier de mes soucis. Le Nabil
que je connais est un citoyen marocain, un type qui fait des films, qui
participe à des conférences, un citoyen du monde dont le nom est associé,
toujours en bon, à l’image de ce pays. Point barre. Là, il a fait un film. On
va le voir et on va dire ce qu’on en pense. Ce qu’on pense du travail, du
traitement, de la mise en scène, de la qualité de l’œuvre, de sa force, de ses
faiblesses, de la direction des acteurs, de la photographie, de la musique, du
montage et de ce que ce travail a apporté comme vision, comme éclairage, comme
point de vue sur la société, à travers un sujet donné, en l’occurrence, le
marché du sexe, les travailleuses du plaisir, les histoires de fesses monnayées
en pièces sonnantes et trébuchantes.
Frustrés de tous
poils
Ce que l’on veut nous faire croire à chaque fois que l’on
traite de nu, de pairs de lolos, de parties de jambes en l’air, de désir et de
plaisir, c’est que ce n’est pas de chez nous. Mais réveillez-vous bande
d’hypocrites. Quoi, les putes cela ne court pas les rues ? Nous n’avons
pas de prostituées, pas de lesbiennes, pas d’homos, pas de dealers, pas de serial
killers, pas d’inceste, pas de perversité ni de corruption de tous genres ?
Sommes-nous dans la république selon Platon, dans un des cercles du paradis sur
terre où toutes ses manifestations humaines
sont bannies par quelque magie céleste ou un quelconque miracle de
pacotille ? Nous avons tout ceci et pire. Au Maroc, il y a des gens qui
violent, qui vont dans des bordels, qui créent des lupanars bas de gamme, qui
maltraitent les filles, qui on picolent sec, qui se droguent à la dure, qui
volent, oui, des gens qui tuent ruinent des vies… comme partout ailleurs. C’est
fou comme certains d’entre nous, beaucoup trop nombreux veulent se rincer les yeux et se pourlécher les
babines devant des films porno sur le net ou sur des chaines non
cryptées ! Ils veulent payer pour aller voir un pseudo film rose version
Los Angeles, le genre série B naze et débile pour êtres humains en mal de sexe… et quand c’est
un arabe, un Marocain qui leur montre un cul et une nana en mode je prends du
plaisir et j’en donne, waw ! il faut crier au scandale ! Que l’on
nous explique cette aberration mentale qui relève de la psychiatrie la
plus évidente ? On ne demande qu’à comprendre.
Offusqués et
choqués !
Il ne faut pas être Juif ou animiste de Papouasie Nouvelle
Guinée pour en parler. Il faut juste un Marocain lambda, avec un peu d’honnêteté
pour se dire : « Tiens ce Nabil a fait un film sur les
putes ! C’est vrai que j’en vois à
tous les coins de rues. Des putes pauvres, des putes moins pauvres, des putes
mal traitées, des putes de luxe, des putes dans l’âme, des putes sans le
savoir… » Fin du discours. Pourtant, ceux qui aujourd’hui jouent les
offusquées, les choqués, si ça trouve, ils courent les prostituées, ils
picolent sans arrêt, tabassent des femmes, se jointent et font plus,
baiseraient même avec des mineurs, et viennent faire la fine bouche, les âmes
sensibles et les patriotes au nom de la Ouma arabe face au sionisme. Franchement,
c’est du délire patenté. On se paie des cautions morales sur le dos des autres,
voilà ce que c’est. On se fout de la gueule du monde. C’est de la lâcheté
mâtinée à de la crasse dans les méninges, le tout estampillé à la sauce
dogmatique à la mord moi le nœud. Voilà ce que c’est, et il faut les avoir bien
callés pour le dire. Et il est temps de le dire, parce qu’il y en a assez de ce
marasme nauséabond qui ronge la société à coups de haine et de poison distillé
au compte goutte et parfois au débit d’un barrage détraqué, comme c’est le cas
à propos de Much Loved.
Cabale sans nom
C’est très dangereux de laisser la porte ouverte à ce type
de cabale sans nom, à ce lynchage en bonne et due forme et cette livraison
garantie à la vindicte publique et populiste. C’est une pente glissante. Mais
ce n’est pas la première fois dans le cas de Nabyl Ayouch. Souvenez-vous d’Une
minute de soleil en moins. Il a suffi
d’un godemichet, d’une verge et d’une baignoire pour soulever un déluge de
folie dans certains cercles. Que de fragilités dans ce Maroc où tout le monde
prétend être l’as des as, assis devant un clavier, dans un café pseudo select,
à faire l’inventaire de sa misère humaine et intellectuelle? On se la ramène
sur du vide, et quand il s’agit de sujets réels, de choses vraies et
véritables, on veut détourner le regard. « Non, cachez moi ce que je ne
saurai comprendre, parce que je suis
franchement attardé mental et je veux la jouer In et dans l’air du
temps ». Oui, en somme, c’est cela la triste réalité de tous ceux qui
parlent trop et ne font rien. Tous les
adeptes du Tag et des Like et des commentaires sur une page bleue. Mais levez-vous
et allez faire autre chose. Travaillez, trouvez-vous une occupation digne de ce
nom, utilisez le temps dans un truc qui ne soit pas que de la rancœur, du
voyeurisme à deux balles et de la haine déversée sur le dos des autres.
Encore une fois, je ne sais pas si Nabil Ayocuh a fait un
bon film ou pas. Mais il a le droit de faire ce qu’il a à faire. Par contre, lui
faire le procès de ses origines, de son identité qu’il est d’ailleurs le seul à
définir-ni vous ni personne n’en a le droit- c’est un crime. L’insulter et le
traiter de sioniste, c’est un crime passible de poursuites judiciaires et de
prison à la clef, pauvre débile ! Mais il se trouve aujourd’hui qu’au nom
d’une pseudo liberté d’expression sur les réseaux sociaux, on se permet de
salir des réputations. On va jusqu’à détruire des carrières, faire éclater des
familles, en toute impunité. N’importe quel malotru peut aligner des syllabes
et juger les autres. Pour ma part, je dis merde à tous les bonimenteurs, les
beaucoup trop nombreux, les contempteurs de l’esprit créatif… Oui, il faut dire
merde à ces penseurs de deux phrases, avec abréviations, sigles et smilys dans
tous les sens, pour masquer leur indigence humaine et mentale. Quand on a
quelque chose à dire, on prend ses responsabilités, on sort dans l’arène ou
dans l’agora, on parle à voix haute et
on dit la vérité sans fards ni lifting de façade. Amen. Quand on va dire des conneries, on est sommé
de se la boucler et d’aller se terrer derrière un ordi pour se sentir courageux
et moralisateur. s
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