« Les territoires de Dieu » de Abdelhak
Najib
Hay Mohammadi, centre du monde
Dès les premières pages de ce
roman, le ton est donné. Abdelhak Najib, journaliste, chroniqueur et animateur
télé, n’y va pas par quatre chemins. Tout en prend pour son grade : la
société, la famille, la religion, la liberté, la politique, les valeurs
humaines… Seule l’amitié semble trouver
crédit dans «Les Territoires de Dieu». C’est simple, cette histoire éclatée de
plusieurs amis d’enfance, qui luttent pour se créer une place au soleil, passent
de découverte en découverte, de déconvenue en déconvenue, mais ne laissent
jamais tomber. Ils ont appris sur le macadam que la vie s’arrache et que seul
celui qui veut se relever est digne qu’on lui tende une main salvatrice.
Abdelhak Najib connaît très bien son sujet. Hay Mohammadi, qui est l’écrin
grandiose de cette histoire devient du coup n’importe quel autre quartier dans
le monde. On peut y trouver des personnes comme vous et moi, des citoyens
déçus, des hommes amoureux, des femmes libres, des enfants blasés à un âge
précoce et un véritable conflit identitaire et référentiel par rapport à des
valeurs qui semblent biaisées, contradictoires et hypocrites, par moments.
Ce qui frappe dans « Les territoires de
Dieu », c’est cet écheveau de lignes qui se coupent et se recoupent pour
construire des paysages humains à la fois imaginaires et réels, mais qui sont
tous suspendus et comme en apesanteur. Abdelhak Najib décortique un Maroc connu
et méconnu, une époque trouble de notre histoire récente. Il va au fond des
choses, raconte un pays en friche, un pays en gestation, un monde à naître. Il
procède par des raccourcis qui se
multiplient comme autant de lignes de fuite pour raconter le passé et
l’avenir. D’ailleurs, quand on y regarde
de près, toutes les situations dans ce roman à la fois fort, grinçant et très
revanchard, sont des lignes de fuite, des échappées pour creuser d’autres
brèches dans la fatalité des jours. Il
s’agit en fait de sinuosités de la mémoire, un jeu subtil sur ce qui a pu avoir
lieu, ce qui a été revu à la loupe du présent et ce qui sera, dans une optique
différente de celle dictée par le fatalisme ambiant. Abdelhak Najib multiplie
les procédés narratifs. Il passe de tracés linéaires, à coups de ratures pour
réparer le déjà-vu en passant par des empreintes dans le corps même de la vie,
telles des visions d'évasion qu'aucune perspective heureuse ne saurait retenir
ni arrêter. Mais sans amertume, sans rancune aucune, ce roman regorge de
passages drôles, où les éclats de rire le disputent à une imagination folle qui
transforme la douleur en rire fou. Abdelhak Najib, qu’on ne présente plus,
journaliste, essayiste, chroniqueur et animateur télé, signe avec ces « Territoires »
un roman puissant avec des consonances universelles, qui font de lui un auteur
majeur de la littérature marocaine d’expression française.
« Les territoires de
Dieu », Abdelhak Najib, Editions Les Infréquentables. 184 pages. 80 dhs.
Actuellement en librairie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire