« Sur cette parcelle du
territoire de Dieu, il y avait tous ceux qui naviguaient entre les autres
quartiers, qui sont de véritables états indépendants avec leurs propres chefs, leurs cabinets ministériels,
leurs forces de l'ordre, leurs parrains, leur famille de gangsters et tout le
reste. Et tout ce beau monde ne cherchait que le bonheur. On aurait pu appeler
Bloc El Koudia: la dune du bonheur à deux sous. Il suffisait de se lever le
matin, passer de l'eau sur son visage pour l'épurer de la crasse du monde,
enfiler un soupçon de quelque chose, poser ses lèvres sur les mains tatouées de
la maman et filer défier Dieu et son monde de colère.
La ronde cruelle des jours
sous le soleil du grand seigneur avec pour seul viatique le désir que la journée soit longue et le lendemain meilleur
que la veille. Ou alors que ce lendemain
ne vienne jamais, que le jour s’étale indéfiniment jusqu’à la fin des temps,
dépassant, du même coup, le jour du jugement dernier. Car, comme le disait le
Criminel, nous avons déjà été jugés une fois ici-bas, là-haut, je veux couler
des jours paisibles ou alors qu’il me laisse sous terre sans jamais me
réveiller.
Bloc El Koudia dans toute sa
nudité manifestait la beauté d’une parcelle de terre coupée du reste du monde
comme d’ailleurs tous les autres quartiers de la ville. De véritables petites
îles en quarantaine où les rêves grouillaient et les malheurs s’amoncelaient,
mais c’était cela la vie, le bonheur des gens qui ne se souciaient guère de ce
qui se passait au-delà des frontières imaginaires qui ligotaient les esprits.
Il n’y avait pas une seule
personne qui trouvait à redire sur son sort, on n’imaginait pas que la vie
pouvait être clémente ailleurs. Pour
nous, les gosses qui avions entre six et dix ans à l’époque, le seul
thermomètre valable était le visage du voisin. On mesurait les degrés de la
résistance des uns et des autres rien qu’en jetant un furtif coup d’œil à la
démarche d’une voisine, le rire saccadé et nerveux de l’Haj, une plainte
masquée en boutade, un désir non formulé ou une douleur trop lancinante pour
passer inaperçue."