Toujours un taxi. Un autre. Les situations humaines s’y
suivent. Elles ne sont jamais les mêmes. C’est un réel laboratoire humain, un
rafiot rouge à Casablanca. Après l’épisode de la Rifaine et du Aroubi et leur
échange sans merci, en voilà une histoire à raconter. Vendredi matin. Journée
de grande sacralité. Même ceux qui ne
sont pas des adeptes de la prière s’y mettent. Histoire de sauver quelques
apparences. Ou alors en jeter plein la vue à d’autres. Bref, le chauffeur de
taxi est en goguette. Radio à fond. Prêche tonitruant. Et une histoire d’enfer
où tous les mécréants iront griller le jour du jugement dernier. Jusque-là tout
va bien. Rien de bien particulier sous le soleil de Dieu, dans un taco pourri
de la ville blanche. Sauf que nous sommes à Casa, et il est impensable de ne
pas se mettre quelque chose sous la dent. Il faut juste savoir là où il faut
regarder. Et surtout de quel côté tendre l’oreille. Monte un jeune homme, crâne
rasé, écouteurs aux oreilles. Il lance sa destination et remet la musique à
fond. Le chauffeur s’en offusque. Moi, derrière, je jubile. C’est repartit. Le
gamin en aura pour ses décibels. «Tu
n’as pas honte, avec ta coupe ! C’est de Dieu qu’il s’agit là, enfant
perdu. Il faut que tu te maîtrises ». « Mais je suis bien maîtrisé,
frère. Dieu est dans mon cœur, je l’aime autant sinon plus que Toi ». Là,
ça se corse. Le taxiste se met en rogne. Franchement. Avec véhémence. « Tu
n’es qu’un sale con ! ». Oh la la ! Ca va péter sec. « Un
con et toi tu es le roi des minables, avec ton taxi de rien du tout et ton
prêche auquel tu ne piges traître mot. Si ça se trouve tu ne fais jamais ta
prière, mais là tu la joue pieux pendant une hure et tu veux le crier
fort ». Bine lancé. Le gosse a de
la gnaque. Ce n’est pas un tendre. Cela promet. Le taximan encaisse et
lance : «Des comme toi, je les mange en ptit déj ». Là, je n’en pouvais
plus. Il fallait réagir. Les zygomatiques ont fait leur boulot. Je suis aux
anges. Quelle balade en taxi par un vendredi saint. Vivent les échanges entre
fidèles ! Je tente une percée dans le chaudron des idées :
« Mais mon frère dans l’islam, le petit a l’air sympa. C’est juste un
malentendu. C’est même possible que vers 13 heures trente, il va troquer sa
musique contre de bons versets du Coran et tout le monde il est heureux et tout
le monde il est pacifiste ». Le gamin me contredit : « Non
monsieur, tant que des incultes nous servent leur daube haineuse sur la
religion, je la leur laisse. Moi je suis musulman, je ne fais rien de mal, je
ne vole personne, je mens de temps à autre, comme tout le monde, mais je ne
fais aucun mal à personne. La prière finira par me retrouver, mais pour le,
moment j’apprends à vivre ». Ah, là, je suis ébahi. Ce gamin a cloué le
bec au chauffeur. En guise de rage, il lui jure comme un sort dont il le
secret : « tu es destiné au feu des enfers ». Le gamin ouvre la
portière, paie sa course et lui jette : «si tu les clefs du paradis,
garde-les ». Amen.
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