Interview de Abdelhak Najib, auteur de “Les territoires de Dieu”
Par Sarah Naamane, Illi Magazine
“Si tu t’en sors à Hay Mohammadi, tu peux t’en sortir partout ailleurs!”
Le journaliste et écrivain, Abdelhak Najib, vient de signer son roman à
succès: “Les territoires de Dieu” à la librairie Carefour des livres, en présence
d’une belle palette d’artistes, de peintres, d’écrivains, de cinéastes et
autres chanteurs. Il revient dans cet entretien sur son roman, son parcours,
des femmes et de la religion.
Votre roman peut-il être considéré comme une autobiographie ou juste une
fiction ? Où s’arrête la réalité et où commence l’imaginaire?
Soyons clair d’emblée: ce n’est pas
du tout une autobiographie dans le sens où
on l’entend. C’est-à-dire un roman qui raconte ma vie, sur 45 ans, avec
un début, une fin, dans les détails, avec tous les événements d’une vie et tous
les visages qui ont pu la peupler. “Les Territoires de Dieu” part de mon expérience
personnelle, revient sur quelques épisodes de mon existence, mais il y a une
grosse part de fiction et d’imaginaire. Le réel sert de point d’ancrage, tout
comme le quartier où j’ai vu le jour, Hay Mohammadi. Il y a des visages qui
m’ont marqués, qui ont inpiré de nombreux passages dans le roman, mais
l’histoire creuse d’autres sillons, crée d’autres réalités parallèles. Et c’est
là que l’écrivain intervient pour transmuer la réalité, lui donner d’autres
tonalités, la transfigurer, la remodeler à sa guise pour en faire sortir
d’autres vérités, d’autres réalités qui viennent s’ajouter au socle initial qui
est ma vie, telle que j’ai pu la vivre entre Hay Mohammadi et le reste du monde
où j’ai pu vivre, rencontrer d’autres cultures, d’autres visages, pour m’en
nourir et avoir assez de recul pour raconter ces territoires.
Connaissant votre parcours, comment êtes vous passé de l’enfant de Hay
Mohammadi à l’écrivain, l’essayiste et journaliste et le présentateur-télé?
Votre question suppose que lorsque
l’on sort d’un quartier aussi déshérité que Hay Mohammadi, il est très
difficile de s’en sortir. Je suis d’accord avec vous. Les chances ne sont pas
égales. Les dès sont pipés d’avance. Dans ce type de derbs, l’horizon est
souvent- pour ne pas dire toujours- bouché. On ne te donne pas le choix. On
t’impose une forme d’existence presque préétablie, à laquelle il faut que tu te
plies sans broncher. Ou alors, tu dis niet au destin et à la fatalité et tu te
révoltes. Tu fous alors un coup de pied dans la gueule du destin et tu lui dis
d’aller voir ailleurs. Le refus m’a sauvé la vie. J’ai dit non, très jeune, et
je me suis accroché au rêve, aux belles choses, j’ai aimé les arts et la
culture très tôt, et je rêvais de devenir écrivain pour raconter ce monde et en
créer d’autres. C’est le rêve qui m’a guidé pour faire des études, décrocher
des diplômes, voyager, découvrir d’autres choses.
C’est une histoire de passion alors?
C’est le fin mot de toute cette
histoire. D’ailleurs tout le roman est animé par la force de la passion. J’ai toujours
été très passionné. Les livres, le cinéma, la musique, la peinture ont bercé
mon enfance, sans oublier que Hay Mohammadi est une parcelle de terre qui a
donné naissance à de grands artistes. Il
faut dire que j’ai été bien inspiré. Il y avait certes la perdition sociale, le
désepsoir de certains, mais je voyais autour de moi d’autres y arriver par
l’esprit, la force du mental et l’amour des belles choses. On le voit bien dans
le roman, avec les scènes de cinéma que je créais enfant, les livres que je
lisais dans le noir à la lumière d’une bougie ou sous un lampadaire dans la rue
… La vie défilait pour moi comme dans un film et je savais qu’un jour j’allais
y arriver. Je n’ai jamais douté un seul instant, même quand je raclais le fond,
je savais intimemement qu’une lumière en moi ne demandait qu’à illuminer ma
route. Mais surtout ma famille, mes parents, mes frères qui ont nourri mon
imagination, qui m’emmenaient au cinéma, me donnaient des livres à lire et me
laissaient ma liberté pour découvrir la vraie vie, celles des ruelles, au
contact du bitumen, sur le macadam des jours.
"Les territoires de Dieu" présente beaucoup de personnages de
votre enfance, que sont-ils devenus ? Avez vous des nouvelles de Malika, votre
premier amour ? De Raouf et des autres?
Vous avez raison de souligner ce
foisonnement de personnages dans “Les territoires de Dieu”. Ils sont tous
toujours là, plus ou moins. Certains ont quitté le Maroc pour ne jamais
revenir, dégoûtés par leur vie d’avant. D’autres ont quitté Hay Mohammadi pour
aller vivre dans le Sud ou dans des régions montagneuses. Chacun a fait son bout de chemin. D’autres
sont morts quand certains font des aller-retours entre les rues et la prison. Mais Malika (vous devinez bien que ce n’est
pas son vrai prénom!) vit toujours, toujours aussi belle, aussi généreuse. Alia
aussi sillonne le monde, voyage beaucoup mais je prends souvent de ses
nouvelles. Raouf qui vit sa double vie, avec toujours autant d’aisance, le
vieux soldat est toujours là, les voisins des vieux jours, les amis d’enfance
que je salue ici et qui ont accompgané quelques unes des plus belles années de
ma vie. On se rencontre avec autant de plaisir et on partage des souvenirs, une
vieille aventure amoureuse et c’est comme ça que j’ai toujours des nouvelles de
tout le monde. Sans oublier que ma mère et mes frères vivent toujours dans le
coin. Alors j’y vais autant que je peux, avec toujours autant de bonheur.
Le roman parle beaucoup des femmes et de la religion, pourquoi tant de
références à Dieu?
J’ai toujours pensé que Hay
Mohammadi comme d’autres quartiers du même genre dans ce pays ont été oubliés
de Dieu. Oubliés de tout le monde du reste. Pourtant, malgré cette absence
notoire, la fatalité réglait la vie des uns et des autres. Le roman fait le
solde de tous comptes avec le sacré. On l’a tellement attendu cette déliverance
par la religion qu’elle n’est jamais venue. C’est cela en somme, la leçon
qu’ont bien assimilée tous les personnages de ce livre. Compter sur soi, que
sur soi et se débrouiller pour ne pas se faire très vite laminer par le rouleau
compressuer des jours. Dans ce vide de Dieu, il y a les femmes, cette belle
bouffée de joie et de bonheur. La beauté, la sensualité, l’érotisme, le désir
et la volupté pour tenir le coup, faire contre-poids contre la misère ambiante,
la misère sociale et surtout métaphysique. Encore la passion qui vient sauver
tout le monde. Et aujourd’hui, l’actualité nous montre à quel point les démagogies
religieuses peuvent être dangereuses, avec tout ce que cela crée comme
scissions sociales à un moment où les Marocains ont besoin d’être soudés pour
faire face aux dangers qui menacent un Monde arabe friable, fragile et aux
abois.
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