Interview de Abdelhak Najib, écrivain et journaliste
Vous venez de publier un nouveau livre « Ce que m’ont dit les
peintres… ». Pouvez-vous nous parler de cette expérience littéraire?
Absolument. Le livre porte le titre: "Ce que
m'ont dit les peintres". C’est un
voyage à travers les oeuvres picturales de 13 peintres majeurs du Maroc. Une
analyse et une lecture de leurs univers multiples, à travers l'évolution de
leurs travaux durant plus de 50 ans. De Farid Belkahia à Karim Marrakchi
en passant par des figures comme Mohamed Kacimi, Aissa Ikken, Miloud Lebied,
Saâd Hassani, Hossein Tallal, Bill West, Mahi Binebine, Omar Bouragba, Bouchta
El Hayani, Abdelhay El Mellakh, El Houssaine Mimouni et d'autres grands noms
qui ont écrit l'histoire de la peinture au Maroc. C’est aussi un choix de
traiter des travaux de tel ou tel peintre et de ne pas aborder d’autres
artistes tout aussi importants au Maroc. Le procédé est simple. Pour moi,
il s’agit de parler des peintures qui me touchent, des peintres qui me parlent,
des toiles qui me font réfléchir, qui appellent en moi ce besoin d’en parler,
cet impératif d’écrire pour les accompagner et donner d’elles une vision, une
approche, des points de vue.
Je parle de peintres que j’ai connus, dans leur vie de
tous les jours, d’artistes qui ont été des amis et qui ont disparu. Je pense à
Mohamed Kacimi, à Miloud Lebied, à Farid Belkahia et à Aissa Ikken. Nous nous
sommes souvent vus. Je parle aussi
d’autres figures telles que Saâd Hassani, Omar Bouragba, Bouchta El Hayani,
Abdelhay Mellakh, Bill West, Mahi Binebine, El Houssaine Mimouni, Houcein
Tallal qui sont aussi des amis, avec qui j’ai d’autres partages, d’autres
échanges sur leurs carrières, leurs évolutions, leurs différentes visions du
monde. Bref, en connaissant les hommes, j’ai aussi eu des clefs de
lecture pour leurs travaux, à différents degrés. C’est ce que je tente de faire
ressortir dans cet essai. Aborder la peinture à travers l’homme et inversement.
Trouver dans la vie ce qui explique telle époque, telle variation sur le même
thème, tel virage à 360 degrés. Puiser dans les jours ce qui a donné corps à
toutes ces réflexions sur soi, sur nous, sur l’humain en nous, à travers les
doutes, les questionnements, les hésitations, les essais, les expériences et les
arrêts.
Ce livre est édité par une nouvelle maison d'édition
« Orion ». Qui est cet éditeur ? Et pourquoi avez-vous choisi
cette maison ?
Orion est une nouvelle maison d’édition qui a
de très grandes ambitions. Dans un paysage littéraire où l’édition est le
parent pauvre en terme de visibilité, de diffusion et de retombées critiques et
médiatiques, la naissance d’une nouvelle structure, qui obéit à des standards
internationaux, avec des connexions internationales, pour diffuser et
distribuer les livres marocains ailleurs, est une bonne nouvelle. Orion Editions veut faire connaitre les
auteurs marocains au niveau mondial. Elle veut leur donner la chance d’aller
rencontrer d’autres lecteurs, un peu partout dans le monde. Orion Editions à
des relais en Europe, au Moyen Orient et en Amérique du Nord (USA et Canada)
pour la traduction, les salons de livres, les grandes messes dédiées à la littérature
et aux livres d’arts, avec au plusieurs collections toutes dirigées par des
Marocains: Poésie, Roman, Arts plastiques, Sciences Humaines, l’islam en
Question, Biographèmes et les grands entretiens, sans oublier bien sûr les livres
d’art. C’est ce qui m’a décidé de signer
un contrat de 10 ans avec mes nouveaux éditeurs pour dix ouvrages.
Comment s’est déroulé le processus de l’édition ?
Comme vous le savez, j’ai de nombreux romans achevés,
des essais, des enquêtes, plusieurs ouvrages sur des sujets divers comme la
peine de mort, le terrorisme et l’art. J’ai présenté mes travaux et ils ont été
acceptés par un comité de lecture. Vous savez cette maison d’édition qui vient
de signer son acte de naissance,
travaille depuis 2 ans sur ce grand chantier, avec de grands moyens et de très
grandes ambitions. J’ai rencontré les membres de ce comité de lecture, ici au
Maroc, puis en France et au Canada. Nous nous sommes entendus d’abord d’un
point de vue humain avant d’être d’accord
au niveau éditorial. C’est très
important pour les deux parties. Partant de là, les choses se sont très vite
enclenchées et des personnes de grande valeur ont rejoint la maison pour des
livres de choix. Orion Editions réserve de grandes surprises aux amoureux du
livre et de la littérature au Maroc. Bientôt de grandes figures de la littérature
marocaine et mondiale vont être publiées par Orion Editions et je suis heureux
de faire partie de cette aventure avec des noms aussi prestigieux.
Comment qualifiez-vous les conditions économiques de l’édition au
Maroc ?
L’édition se porte très mal au Maroc. Ce n’est
un secret pour personne. Les professionnels du secteur ne cessent de le
repeater, et ce, depuis de longues années. Les éditeurs luttent au quotidien
pour ne pas mettre la clef sous le paillasson, on le sait. Les Marocains ne lisent
pas et les chiffres sont terribles à ce niveau, faut-il encore le rappeler! C’est
une catastrophe le rapport du Marocain au livre. On n’achète pas de livres. On
ne lit pas de livres. Rares, très rares sont les passsionnés de la lecture, les
amoureux des livres, les aficionados. Les auteurs ne vivent pas de leurs
livres, cela aussi on le sait. Les
livres sont mal diffusés. Une distribution bancale et qui laisse à désirer. On
ne retrouve pas des livres partout au Maroc. Cela est généralement concentré
dans les grandes villes, avec un axe connu: Casa-Rabat-Tanger-Marrakech. Des
régions entières sont oubliées, marginalisées. Ce sont là les réalités que tout
le monde connait et dont on parle depuis longtemps. C’est affligeant et
décourageant pour de nombreux auteurs. Certains sont tellement dégoûtés qu’ils ne
publient plus.
En général, comment l’édition se porte-t-elle au Maroc ?
Encore une fois, je le dis, cela va très, très
mal. Il y a du pain sur la planche. L’urgence pour moi est de faire du livre un
réel projet de société. Cela ne peut se faire que si le livre et l’édition sont
soutenus par les politiques. Il nous faut prendre conscience que la culture est
un réel levier de développement tout aussi puissant que l’industrie et le
tourisme. Il faut investir dans l’art, dans la culture, dans les intellectuels,
leur donner de la visibilité, leur créer de véritables conditions de travail et
d’édition pour que leur travaux touchent le plus grand nombre, chacun dans son
domaine. Sans cela, on tourne en rond,
on balance des slogans et rien ne change. Il faut surtout éduquer les
générations futures pour aimer lire, aimer les livres, aller aux librairies,
fréquenter les bibliothèques, aller dans des musées, passer du temps dans des
galeries d’art…
Selon vous, quel avenir pour l’édition au Maroc?
Si on n’en fait pas une priorité politique,
c’est fichu d’avance. Les éditeurs font ce qu’ils peuvent. Ils travaillent, ils
résistant, mais jusqu’à quand? Il y a aussi le ministère de la Culture qui fait
des efforts avec des fonds d’aide à
l’édition et aux artistes, mais ce n’est pas suffisant. Il faut plus. Le privé
doit s’investir et investir pour faire de la culture au Maroc un grand projet
de société.
Avez-vous envie d’écrire un autre livre ? Si oui, quel sujet vous
inspire?
Les sujets sont nombreux. Ce n’est pas ce qui
manque. J’ai déjà signé pour dix livres pour les dix prochaines années avec
Orion Editions. J’ai mes ouvrages sur le Couloir de la mort qui vont sortir en
deux tomes sous le titre: “Vivre dans le couloir de la mort”. Une série de
portraits sur de nombreuses figures du crime au Maroc que j’ai réalisés au sein
du couloir de la mort dans la prison centrale de Kénitra. J’ai aussi mes travaux sur le terrorisme qui
vont voir le jour. Le fruit de plus de
17 ans de recherches, d’enquêtes et de documentation sur un sujet très actuel
pour lequel j’ai mené des investigations dans de nombreux pays dans le monde.
Mes écrits sur l’art et le cinéma. Et une bonne dizaine de romans don’t le
prochain qui ferme ma trilogie casablancaise, après “Les territoires de dieu”
et “Le printemps des feuilles qui tombent”. Après Hay Mohammadi, l’ancienne médina,
c’est le tour d’Anfa de servir d’ancrage géographique à mon roman qui sort dans
les prochaines semaines.
Un dernier mot ?
Longue
vie au livre et aux auteurs.